Hostname: page-component-7b9c58cd5d-9k27k Total loading time: 0 Render date: 2025-03-16T09:46:38.088Z Has data issue: false hasContentIssue false

Liberté, Égalité, Solidarité. Refonder la démocratie et la justice sociale Christian Nadeau Les Éditions du Boréal, Montréal, 2013, 268 pages.

Review products

Liberté, Égalité, Solidarité. Refonder la démocratie et la justice sociale Christian Nadeau Les Éditions du Boréal, Montréal, 2013, 268 pages.

Published online by Cambridge University Press:  16 December 2015

Étienne Schmitt*
Affiliation:
Université du Québec à Montréal (UQÀM)
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Reviews/Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2015 

Sans ambiguïté, Christian Nadeau débute son livre aux accents de manifeste par un aveu : « Je suis de gauche » (9) ; mais d'une gauche qui poursuit un idéal démocratique et cherche inlassablement à établir la justice sociale, car mue par un principe de solidarité. C'est ce même principe que le philosophe s'efforce d'analyser dans une partie théorique constituée des trois premiers chapitres, puis de mettre en œuvre dans une seconde prescriptive composée des trois derniers.

Le premier chapitre porte sur les contours descriptifs et normatifs de la solidarité, comprise par Christian Nadeau comme étant en continuité des théories du juste. Ici inspiré par la philosophie de John Rawls, l'auteur soutient que la solidarité est un principe étranger à toute conception de la vie bonne car elle établit une équité entre individus. Elle est plus précisément un ethos qui détermine la vie en société, lequel « exige nécessairement la médiation de nos échanges sociaux par des institutions » (27), et ce afin de ne pas affubler les seuls individus. Mais pourquoi la solidarité serait-elle davantage de gauche que de droite? Le philosophe la perçoit au centre d'un triptyque qui allie la liberté et l’égalité. Lorsque la droite repose justement sur des hiérarchies sociales ou se complaît dans un individualisme forcené, elle dément l’égalité et, par cela même, démonte le cadre conceptuel de la solidarité. En ressuscitant le solidarisme–doctrine politique qui naît en France au XIXe siècle, notamment sous la plume de Léon Bourgeois–, Christian Nadeau envisage en effet « la solidarité comme relation d'interdépendance entre êtres libres » (51) qui s'oppose autant à l'individualisme qu'au collectivisme.

Dans les deuxième et troisième chapitres, l'auteur poursuit sa réflexion afin de discerner la solidarité au sein de la démocratie, de la justice et de l’économie. Toutefois, Christian Nadeau se perd en considérations générales qui n'apportent pas grand-chose au développement conceptuel élaboré dans le premier chapitre. À titre d'exemple, il soulève la question pertinente du pluralisme contre l'uniformité sociale (85–87), considérant le discours sur « la paix sociale » comme un instrument dont les politiciens font usage pour intimer le silence à des revendications. Mais, plutôt que de s'interroger sur la formation d'une pluralité de solidarités et une censure qui tend à l'uniformité, l'auteur synthétise la complexité sociologique en termes moraux : « Une paix sociale sans justice sociale serait au mieux une simple accalmie, au pire la coercition des plus forts aux dépens des plus faibles » (86). Si le philosophe s’écarte de l'analyse pour faire des raccourcis–parfois des réquisitoires–contre la droite au pouvoir au Canada et au Québec, ceci s'explique probablement : Nadeau cherche à prescrire la solidarité dans la société québécoise, et plus précisément à insuffler un second souffle à la gauche grâce à elle.

En cela, la seconde partie de l'ouvrage est plus convaincante. Elle débute par un quatrième chapitre qui analyse les institutions politiques et sociales québécoises, faisant le constat d'une gauche locale divisée sur des enjeux conjoncturels et le pari d'une société coopérative. Plutôt que d'accroître vainement les antagonismes, l'auteur mise sur les corps intermédiaires pour renforcer l'institution de la solidarité. Il définit ceux-ci de la sorte : « (…) les corps intermédiaires forment un ensemble d'organisations officielles, et aussi non officielles, qui agissent comme des contre-pouvoirs, c'est-à-dire comme des instances permettant d’équilibrer les forces en présence et d'empêcher une hypertrophie artificielle d'une partie de la société au détriment des autres » (134). Pour que la solidarité réussisse, Christian Nadeau croit ainsi que les corps intermédiaires–dans lesquels il range les mouvements sociaux, les syndicats et, dans une certaine mesure, les institutions publiques indépendantes, les commissions d'enquête ou les fondations d'intérêt public–doivent être associés à la démocratie représentative.

Les cinquième et sixième chapitres s'intéressent aux luttes qui exigent de « penser la solidarité en actes » (164), notamment celles en faveur des luttes autochtones et féministes, de la lutte contre la pauvreté, pour la santé, l'aide aux immigrants, ainsi que celles relatives à la vie urbaine, au logement, au monde rural et à l'agriculture, à l'environnement et, finalement, contre la corruption. Malgré la grande diversité de sujets évoqués, l'analyse de Christian Nadeau reste limpide, bien documentée, et parfois cinglante. Le sixième et dernier chapitre s'interroge alors sur l’éducation dans toutes ses composantes : scolaire, universitaire et médiatique, mais aussi sur le rôle de l'intellectuel dans le débat public.

Justement, avec une aisance littéraire et par une perspicacité certaine, Christian Nadeau s'inscrit pleinement dans ce débat. Il nous livre ainsi un formidable témoignage sur enjeux de la société québécoise, de la convergence des luttes et de la solidarité qui s'y établit. Les nombreuses références littéraires et philosophiques agrémentent cet essai qui se veut intelligent, tout en étant accessible à un large public. Malgré ses qualités intrinsèques, sa définition de la solidarité n'est pas convaincante. Tout d'abord, l'auteur s'emploie à décrire le concept selon des prédicats moraux, mais refuse qu'il appartienne à une conception de la vie bonne à portée universelle. Par exemple, dans un court passage, il pose la question de la solidarité d’un groupe amoral, mais distingue immédiatement les individus des liens qui les unissent (31). C'est là percevoir une notion indubitablement vertueuse et transcendantale, excluant que la solidarité puisse être jugée négativement. Ensuite, l'auteur exclut toute analyse de la solidarité par le biais des sciences sociales, des sciences cognitives et de l’éthologie qui favoriserait probablement une perception un peu moins sommaire des luttes sociales. Ces deux points ne changent en rien la qualité de l'essai, mais confinent son registre à celui d'un manifeste. De son aveu de départ : « Je suis de gauche », à la grève étudiante de 2012 omniprésente dans ses pages, il incarne le renouvellement du solidarisme en contexte québécois.