Avec cette troisième édition d'un ouvrage déjà largement diffusé au préalable, Vincent Lemieux apporte une touche perfectionniste à son introduction aux politiques publiques. Davantage qu'une simple mise à jour de l'édition précédente, cette version de ce qui s'apparente finalement à un véritable manuel destiné aux étudiants et chercheurs débutant dans la matière, corrige une série de reproches qui pouvaient lui être formulés et se voit renforcée dans sa dimension pédagogique par l'ajout de nouvelles études de cas.
Les douze chapitres qui composent l'ouvrage peuvent se regrouper en trois grandes parties. Dans la première partie, l'auteur pose d'abord le cadre conceptuel proposé pour étudier les politiques publiques. Le premier chapitre présente les définitions des politiques publiques telles qu'elles sont données par différents auteurs, en s'attachant à en établir une qui satisfasse autant que possible à un objectif de généralisation. Le second chapitre s'attarde sur quelques concepts clés de l'étude des politiques publiques, tels que le pouvoir, les ressources, la régulation, ou encore les problèmes publics. Le chapitre 3 présente et utilise une modélisation réalisée par Kingdon pour nous initier aux notions d'acteurs intervenant dans les politiques publiques, et de courants (des problèmes, des solutions et de la politique) influant sur l'émergence éventuelle d'une politique publique. Le chapitre 4 complète le scénario obtenu par le biais de Kingdon en présentant d'autres approches permettant, quant à elles, d'insister sur la question du contrôle des décisions, à travers les notions de communautés, de réseaux et de coalitions. Le cinquième chapitre, enfin, s'attache spécifiquement aux règles qui régissent le pouvoir des acteurs et qui concernent respectivement les régimes politiques, l'institutionnalisation et les ressources.
La seconde partie est consacrée à une étude des processus de réalisation des politiques publiques, par leur émergence (chapitre 6), leur formulation (chapitre 7) et leur mise en œuvre (chapitre 8). Chacun de ces trois chapitres contient une nouvelle étude de cas par rapport à la seconde édition de l'ouvrage. Les quatre études de cas présentées par chapitre couvrent une aire géographique et de traditions de politique publique relativement large puisqu'elles concernent les États-Unis, le Canada, la France et un autre pays européen (soit les Pays-Bas, l'Allemagne et la Suède). L'auteur présente donc d'abord quatre études de cas, pour en tirer ensuite les leçons en matière de courants et d'acteurs politiques, puis en matière d'enjeux, d'atouts et de contrôle des décisions. Ainsi, le chapitre 6 aborde la question de l'émergence des politiques publiques au moyen d'études de cas reliées au secteur de l'environnement aux États-Unis et au Canada, au secteur électoral au Québec, à ceux de l'économie et de l'éducation en France, et enfin à celui du logement aux Pays-Bas. Le chapitre 7, quant à lui, approfondit la formulation des politiques publiques en examinant la crise des missiles de Cuba, la réforme de l'éducation au Québec, l'adoption d'un plan de câblage dans le secteur des communications en France, et le transport ferroviaire en Allemagne. Le chapitre 8 se concentre sur la mise en œuvre elle-même, en s'attardant sur le développement économique aux États-Unis, la santé au Québec, le secteur forestier français et l'agriculture suédoise. Un neuvième chapitre clôt ce second volet en englobant les observations égrenées au fil des études de cas pour envisager cette fois les politiques publiques dans leur ensemble, en soulignant leurs différences tout comme leurs points communs, et notamment l'omniprésence des alliances dans les politiques publiques.
Les trois derniers chapitres ne forment pas vraiment d'ensemble particulièrement cohérent, mais complètent utilement le propos. Ainsi, le chapitre 10 traite de l'évaluation des politiques publiques, qui se distingue du séquençage « émergence – formulation – mise en œuvre » en ce sens qu'elle n'intervient pas de manière systématique et qu'elle ne porte pas nécessairement, le cas échéant, sur l'ensemble d'une politique publique, pouvant également se focaliser sur une fraction de celle-ci. Il s'agit, en outre, d'un processus de type inévitablement normatif faisant référence à des valeurs spécifiques et qui mobilise, à ce titre, un cadre d'analyse distinct de l'étude, davantage objective, des politiques en question. Si ce chapitre aborde d'un point de vue technique les objets de l'évaluation ainsi que les méthodes utilisées, il établit également que les acteurs prenant part à l'évaluation endossent un ensemble de rôles spécifiques, selon le type d'évaluation, et disposent dès lors d'atouts de pouvoir variables qui modèlent des alliances de configuration tout aussi variables et qui méritent aussi que l'on s'y intéresse.
Le chapitre 11 aborde la question des sources de données : études documentaires, questionnaires, entrevues et observation participante. Sans adopter pour autant une approche méthodologique en la matière, il s'agit davantage d'une réflexion sur les atouts et les inconvénients de ces différentes options, le tout illustré par des exemples basés sur les études de cas préalablement présentées. L'auteur attire également l'attention sur un biais crucial de l'étude des politiques publiques, lié à la distanciation plus ou moins grande entre chercheur et objet de la recherche selon les sources mobilisées.
Le dernier chapitre de l'édition précédente, qui portait sur la structuration du pouvoir, a été supprimé, car jugé trop marginal. Le dernier chapitre actuel constitue la suite logique du chapitre précédent puisqu'il est à présent consacré à une réflexion sur les rapports entre la connaissance et l'action. Dans ce cadre, il amorce une réflexion sur l'utilité potentielle de la connaissance pour l'action et sur les contraintes respectives portant sur les chercheurs d'une part, et sur les experts d'autre part. Dans une démarche qui semble constituer, du moins en partie, un témoignage ou une légs reposant sur une pratique conséquente, Vincent Lemieux achève son propos sur une citation de Crozier, qui rappelle que la finalité recherchée par le sociologue se doit d'être, avant tout, le développement des connaissances, tant pour lui-même que pour ceux qui l'emploient.
L'ouvrage est écrit dans un style fluide et le lecteur en appréciera également la dimension pédagogique. Chaque chapitre débute par un exposé très structuré du propos qui y sera développé et se termine par des références bibliographiques permettant d'approfondir les concepts abordés, et par un résumé schématique facilitant visuellement la compréhension et la mémorisation. La démarche de Lemieux comprend donc à la fois un apprentissage apporté aux débutants dans la discipline et la recherche d'un cadre général s'appliquant à l'étude des politiques publiques, en vue d'une amélioration de la connaissance de la matière par un affinement de la taxonomie existante. Cette volonté de généralisation produit toutefois inévitablement une impression de passage parfois un peu rapide ou superficiel sur une série de questions pourtant fondamentales, même si les références permettant de les approfondir se voient communiquées. De même, en dépit d'une approche qui fait la part belle à l'historique de la discipline, l'ouvrage de Lemieux s'inscrit, sans surprise aucune, dans une tradition commune à l'Ouest de l'Atlantique, où l'État se voit aisément diffracté sous le prisme de ses acteurs, alors que les étudiants et chercheurs européens seront peut-être surpris de ne pas se trouver confrontés aux précautions habituelles qui visent à décomplexer la rupture, de plus en plus fréquente, il est vrai, avec l'approche davantage étatiste prévalant traditionnellement de l'autre côté de l'Océan.
L'ouvrage est donc très complet dans sa démarche, à la fois par l'étendue et la variété de son orientation bibliographique, par la volonté de généralisation qui traverse le choix des définitions et la présentation des concepts clés, mais également par la diversité des études de cas, qui permettent de couvrir des variétés de situations reflétant la complexité des problématiques auxquelles sont confrontés les chercheurs, ou seront confrontés les étudiants. Les uns comme les autres trouveront dans cette publication un ouvrage de référence particulièrement commode.