Le volume dirigé par Stéphane Paquin offre un bilan des relations internationales du Québec quarante ans après l'élaboration de la doctrine Gérin-Lajoie. Comme nous le rappelle Paul Gérin-Lajoie lui-même en avant-propos, cette doctrine s'est avérée «l'un des éléments majeurs de la grande transformation de la société et de l'État québécois au cours des années 1960, qu'on a appelé la Révolution tranquille» (15). Le volume rassemble 19 articles écrits par d'anciens fonctionnaires et diplomates, des politiciens, des constitutionnalistes, des politologues et des dirigeants d'organismes non-gouvernementaux. Ils sont classés en cinq sections et quatre annexes.
La première section du livre, «La Doctrine Gérin-Lajoie», comporte quatre chapitres. L'article de Stéphane Paquin cherche d'abord à revoir l'histoire du cadre juridique qui module les relations internationales du Canada, afin de démontrer l'importance des «impératifs de coopération entre le fédéral et les provinces» (29). Le gouvernement fédéral a développé trois stratégies en matière de négociation d'ententes internationales afin de prendre en compte le cadre constitutionnel canadien : le recours aux clauses fédérales, la limitation de la portée des accords à ses seuls champs de compétence et le développement de mécanismes de consultation avec les gouvernements provinciaux. Daniel Turp soutient quant à lui que la doctrine Gérin-Lajoie a grandement contribué à l'élaboration d'un droit québécois en matière de relations internationales, particulièrement en ce qui concerne le consentement du Québec aux engagements internationaux et la participation de celui-ci aux organisations internationales. Nelson Michaud conceptualise la distinction entre les relations internationales et la politique étrangère afin de conclure que le Québec, à travers la doctrine Gérin-Lajoie, passe lentement, mais sûrement, d'une approche de relations internationales à une approche de politique étrangère par le biais de laquelle il cherche non seulement à réagir au contexte international, mais également à l'influencer. Jean Tardif propose une réflexion sur l'évolution de diverses «doctrines»en matière de relations internationales au Québec, à la lumière des changements qui affectent le système international. Il conclut que la doctrine Gérin-Lajoie, et par la suite la «politique Ciaccia», doivent faire place à une vision globale des relations internationales, plutôt que locales ou étatiques, laquelle permettrait davantage de gérer les interdépendances que la mondialisation rend plus visibles.
La deuxième section traite des relations entre le Québec et les États-Unis. Louis Balthazar procède d'abord à un bref rappel du pourquoi et du comment des relations politiques, économiques et culturelles entre les deux entités. Diane Wilhelmy expose ensuite six défis qui compliquent le dialogue entre les États-Unis et le Québec, lequel traverserait, selon elle, une période de turbulence : «Adopter une logique d'action en accord avec la réalité de notre interdépendance; Ajuster nos stratégies en fonction d'un écart démographique préoccupant; Faire valoir nos points de vue dans le respect de nos différences; Jouer plus habilement nos cartes maîtresses; Nous donner des moyens efficaces; Bâtir un sentiment d'appartenance» (120). David Biette conclut en offrant un bref aperçu de la perception américaine du Québec, rappelant que le Québec est plus souvent qu'autrement inconnu des Américains et Américaines et qu'il gagnerait à y investir davantage afin de faire connaître leurs intérêts mutuels.
La troisième section du livre porte sur les relations France-Québec. Pierre-André Wiltzer s'affaire à analyser les moments forts de la relation franco-québécoise depuis la formulation de la doctrine Gérin-Lajoie, tout particulièrement au regard de la volonté d'affirmation nationale du Québec et des tensions ainsi occasionnées avec le Canada. Marc Chevrier note quant à lui le fossé de connaissances qui sépare la France du Québec, un fossé d'intelligence mutuelle créé non pas par la géographie, mais par la culture politique, l'une étant marquée par des marches sanglantes vers le républicanisme et l'autre par l'adoption relativement tranquille du parlementarisme britannique. Denis Monière discute des équivoques structurelles et conjoncturelles qui balisent la politique étrangère québécoise, divisée entre ses pôles européens et américains et affligée de coupures budgétaires et de la conséquente privatisation de la diplomatie québécoise. Anne Legaré s'interroge ensuite sur la signification nouvelle qu'acquiert la relation France-Québec dans le contexte de la nouvelle Europe. Celle-ci, en tant que puissance d'équilibre en devenir, offre au Québec, à travers sa relation avec la France, un nouveau pôle éthicopolitique, «corrigeant les effets culturels de la dépendance économique du Québec vis-à-vis de son voisin du Sud» (183).
La quatrième section du volume considère l'application de la doctrine Gérin-Lajoie ailleurs dans le monde. Ingo Kolboom s'intéresse aux relations du Québec avec l'Allemagne. Ces relations gagneraient d'abord à être mieux connues, à la lumière de l'importance des échanges économiques et de la présence de centres d'études québécoises et de québécistes en Allemagne. Le Québec profiterait également d'un approfondissement de celles-ci, du fait de la position géopolitique de l'Allemagne dans la nouvelle Europe, de ses liens avec la France et de son accès à un vaste espace germanophone. Caterina García examine ensuite la politique extérieure des Communautés autonomes espagnoles, et plus particulièrement de la Catalogne, laquelle s'inspire d'une certaine façon de la doctrine Gérin-Lajoie dans sa formulation et sa mise en pratique. Françoise Massart-Piérard termine cette section en présentant le cas des relations internationales des communautés et régions fédérées de Belgique.
La dernière section présente les bilans de cinq ex-ministres des relations internationales du Québec. Claude Morin rappelle deux obstacles auxquels le Québec a dû faire face dans l'élaboration de sa politique extérieure : l'action du gouvernement fédéral, de loin l'obstacle le plus connu, et l'opinion publique québécoise, l'obstacle qui selon lui a reçu peu d'attention des analystes. Gil Rémillard commente la doctrine Gérin-Lajoie à la lumière de son expérience autour du premier Sommet de la Francophonie et de la négociation de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis. John Ciaccia survole les initiatives en matière de relations internationales réalisées durant ses mandats aux Affaires internationales de 1989 à 1994. Sylvain Simard déplore le peu de résultats de la doctrine Gérin-Lajoie, dû en grande partie à l'obstruction constante du gouvernement fédéral. On serait donc ainsi en face d'une «grande illusion propagée par les forces fédéralistes, qui ont ainsi fait croire que le Québec disposait d'une véritable autonomie internationale» (277). Louise Beaudoin réitère, en conclusion, le constat de Sylvain Simard, que la reconnaissance politique du Québec sur la scène internationale est un mythe. La prépondérance des États dans l'arène internationale, les actions du gouvernement canadien pour limiter le rayonnement du Québec et le peu de ressources du ministère des Relations internationales restreignent les possibilités de rayonnement du Québec à l'étranger.
Le bilan de la doctrine Gérin-Lajoie, quarante ans après sa formulation, est toutefois mitigé, selon les partis pris de quelques-uns et l'angle d'approche choisi. La doctrine Gérin-Lajoie a relativement porté fruit dans le cadre des relations Québec-France et Québec/États-Unis. L'évaluation du rôle de la doctrine pour les relations avec d'autres pays étant limitée dans ce volume, on ne peut conclure de façon décisive quant à son impact plus général, malgré le fait qu'on mentionne régulièrement les quelques centaines d'ententes internationales signées par le Québec depuis 1965, sans toutefois approfondir. De plus, il manque au volume une analyse plus rigoureuse du constat réitéré que le Québec n'entretient de relations réeellement approfondies qu'avec un pays «voisin», les États-Unis, un pays «mère», la France, et un pays «tutelle», la Grande-Bretagne (comme le mentionne brièvement Ingo Kolboom, 196), soit tous des pays avec lesquels le Québec entretient un certain lien (actuel ou historique) de dépendance, pouvons-nous ajouter. Ou peut-être est-ce le volume qui donne cette impression en focalisant principalement son regard sur les États-Unis et la France. Malgré ces quelques limites, le recueil dirigé par Paquin rassemble des articles pertinents et nuancés (en particulier les textes de Paquin, Turp, Michaud, Tardif, Chevrier, Legaré, Kolboom, Beaudoin et Pelletier) où seulement quelques-uns auraient bénéficié d'une analyse plus poussée (en particulier les textes de Balthazar, Wilhelmy, Biette, Monière) ou d'une analyse comparée plus explicite (dans le cas de García et Massart-Piérard). On constate en bout de ligne qu'au-delà des doctrines, le domaine demeure éminemment politique, ponctué de débats et de jeux de pouvoir. Le livre est d'ailleurs le digne reflet de ce chassé-croisé qui marque toute discussion du rôle du Québec dans le monde.