Je me rappelle que lorsque j’étais jeune chaque anniversaire était une bonne occasion pour regarder les albums de famille et se souvenir de personnes, d'événements, d'objets et d'expériences qui ont marqué notre histoire. La même sensation apparaît après la lecture du livre Les fondements de la culture, le pouvoir de l'art. Les soixante premières années du Conseil des arts du Canada de Monica Gattinger. Ce livre est l'album de la famille du Conseil des arts du Canada (CAC). Il a été composé pour célébrer son 60e anniversaire en présentant l'histoire, la structure, les fondements, les changements et l'avenir du CAC.
Le ton du texte est dynamique, positif, évocateur et, même parfois, poétique. L'ouvrage est confectionné comme un roman qui nous transporte et nous fait visiter le Conseil, depuis l'entrée principale sur la rue Elgin à Ottawa jusqu'au cœur des acteurs qui le composent. Le texte nous amène à parcourir l'organisme, en commençant par son mandat, ses défis et ses contributions. Nous éprouvons la sensation d’être même à l'intérieur de la salle d'exposition Âjagemô, participant à un vernissage et discutant avec les fonctionnaires.
Le design du livre est très attirant, coloré, et dans sa version papier, rafraichissant à cause de la beauté de l'objet. C'est gratifiant, et rare pour un texte académique, d’être présenté de cette manière. C'est comme un texte d'histoire de l'art que nous comprenons davantage grâce aux images et à leurs descriptions. C'est véritablement un album qui retrace chronologiquement le parcours du Conseil, de ses dirigeants et des œuvres subventionnées. Il est accompagné par 70 images qui illustrent les nouvelles propositions des artistes canadiennes et canadiens. Celles qui sont sauvegardées par la Banque d'art du Conseil des Arts comme patrimoine du pays forgent notre identité.
La confection du texte est marquée par des questions de premier plan, à savoir à quoi sert le Conseil aujourd'hui. Le Canada, en a-t-il toujours besoin ? Le nouveau modèle mis en place, est-il approprié pour les années à venir ? Gattinger signale que cet « ouvrage retrace cette évolution importante dans la perception que le Conseil a de lui-même, explorant les raisons qui ont mené à cette évolution, les conséquences pour ses activités et sa pertinence, ainsi que les critiques et vulnérabilités auxquelles il s'expose dans ce processus » (18).
Le livre est organisé en six chapitres qui mettent en lumière les tensions qui logent au sein du CAC. Cinq tensions centrales sont utilisées comme fils conducteurs de l'analyse, soit : l'aspect esthétique en opposition à l'aspect économique de l'art ; les relations tendues entre la communauté artistique et la société canadienne ; le soutien de l'art classique ou de l'art émergent ; le choix entre le leadership ou le followership pour la gouvernance du Conseil ; et l’équilibre entre l'autonomie et la collaboration vis-à-vis des organismes fédéraux. Chaque chapitre base sa configuration sur une question centrale qui se développe autour d'une ou plusieurs tensions.
À plusieurs reprises, l'auteure nous rappelle le mandat du CAC et sa raison d’être, c'est-à-dire la promotion des arts, la sensibilisation du public et l'incitation à l'engagement des citoyens. À partir de ces réitérations, nous sommes amenés à comprendre que la destinée de tous les acteurs qui façonnent le Conseil est de rechercher une représentation équitable pour le milieu des arts, car ils sont les « gardiens de la valeur démocratique ».
Le texte nous montre les actions, les outils et les comportements que ces acteurs ont mis en œuvre pour construire et modifier le CAC. Malheureusement il ne nous présente pas une analyse profonde de ces choix, de leurs effets et des décisions qui en découlent. Nous sommes conscients que ce travail a été financé par le Conseil et que même si la liberté académique a été respectée, comme l'auteure le signale, il s'avère difficile de trouver le juste équilibre critique.
Nous aurions souhaité une discussion plus fine sur l'impact individuel et social de démarches, d'approches et de postures adoptées par les fonctionnaires du CAC. Il aurait été intéressant de creuser davantage sur le pourquoi de certaines postures. Comment certains fonctionnaires sont-ils arrivés à de telles approches, ou quelle base ont-ils utilisée pour faire leurs choix ? D'ailleurs, il aurait été intéressant de connaître aussi le point de vue des différents types de fonctionnaires, de différents niveaux hiérarchiques, pour compléter l'image de l'organisme.
Il faut signaler que l'auteure fait preuve d'une analyse critique sur certains aspects. Cependant il semblerait que l'histoire de cette famille (le CAC) a été parfaite. Nous n'aurions pas souhaité connaître les controverses poignantes du Conseil, mais nous aurions aimé connaître les histoires de lutte, et leur réussite, en tant qu'hommage aux efforts des acteurs. Il faut remarquer que le texte propose des recommandations sous la forme de conseils d'action pour le développement du CAC. Néanmoins, elles restent très générales pour pouvoir être utilisées de manière pratique.
Enfin, nous exprimons aussi nos meilleurs vœux pour l'avenir du Conseil. Nous croyons, tout comme l'auteure, qu'il faut continuer à réfléchir à propos de questions fondatrices de l'art, de son soutien et de son importance pour les individus et pour la société en générale, afin de découvrir « comment les Canadiennes et Canadiens vont-ils faire connaissance, comprendre et être conscients de leurs histoires collectives, de leurs cultures, des défis communs et des perspectives d'avenir, et de leur capacité innée d'expression originale (…) ? (7) »