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Le statut juridique des minorités dans l'Ancien Régime, Ethel Groffier, Les Presses de l'Université Laval, Collection Mercure du Nord / Verbatim, Québec, 2009, 84 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 May 2010

Stéphanie Chouinard
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

L'ouvrage reprend les propos de l'auteure prononcés lors d'une conférence de l'UNESCO en novembre 2006 à l'Université du Québec à Montréal, sur le thème «Droits et cultures : juridicisation de la culture et acculturation du droit». Groffier étudie les législations sur les minorités pendant la période commençant en 1661 sous Louis XIV et allant jusqu'à la Révolution française de 1789.

En guise d'ouverture, l'auteure prend soin de bien situer les notions dont elle fera usage dans le cadre de son propos, dont celles de «minorité», de «race» et de «racisme» dans l'univers intellectuel de l'époque, car ces notions étaient parfois inexistantes ou avaient une signification différente de celle d'aujourd'hui. Groffier s'attarde de façon toute spéciale aux groupes qui furent «l'objet d'une intervention législative particulière» (8) de la part du pouvoir, soit les protestants, les juifs, les Noirs et les gens de couleur, car ils étaient victimes de «la négation, l'exclusion et la répression» (62).

Sous l'Ancien Régime, le fait d'être protestant en France, religion non tolérée, affectait la vie de tous les individus de manière régulière. Les protestants avaient profité, depuis l'Édit de Nantes de 1598, d'une certaine liberté de culte qui leur fut retirée petit à petit. En 1624, ils perdirent le droit d'assemblée politique, mais ce fut surtout lors de l'Édit de Fontainebleau de 1685, révoquant l'Édit de Nantes, que leur situation se détériora le plus. À part le retrait du droit d'assemblée, les autres mesures opprimantes imposées au groupe furent l'obligation de «baptiser les enfants» (14) et de «les faire instruire selon la religion catholique» (15), l'interdiction de pratiquer certaines professions et de vendre leurs biens, et «des restrictions à la liberté de mouvement» (26). Des sanctions plus ou moins graves étaient prévues, mais leur application était parfois difficile, surtout dans les régions éloignées de Paris, et on cherchait souvent à faire «plus de peur que de mal» (17) aux contrevenants. Au dix-huitième siècle, le traitement des protestants a été suivi moins rigoureusement à la suite des interventions de Monclar et de Malesherbes, mais ce n'est qu'en 1791, avec la nouvelle Constitution française, qu'ils recouvreront l'entière liberté de culte.

La situation des juifs est plus compliquée, car ils n'ont pas été l'objet d'un traitement homogène comme les protestants. Dans le sud-ouest du pays, la présence des juifs, que l'on appelait aussi les «marchands portugais» (29), était acceptée des habitants tout comme des autorités. Les membres de cette minorité vivaient ainsi en relative harmonie avec les autres résidants de cette région. Ils devaient toutefois respecter certaines restrictions de profession. Dans les autres régions du pays, ils étaient aussi soumis à des réglementations beaucoup plus strictes. Par exemple, à Metz, ils étaient confinés à un ghetto et en proie à des discriminations constantes (33). Strasbourg, en Alsace-Lorraine, ne les tolérait pas sur son territoire. Les quelques juifs vivant à Paris menaient «une vie précaire, à la merci de la police qui leur délivre des passeports pour une durée déterminée» (37). Toutefois, les autorités n'ont pas toutes forcé la conversion des juifs et de leurs familles. À l'instar des protestants, ils obtiendront l'émancipation complète en 1791.

La question des esclaves et des gens de couleur est encore plus complexe, car elle ne concerne pas seulement le territoire français, mais aussi les colonies et on ne lui accorde que très peu d'importance jusqu'à la seconde moitié du dix-huitième siècle (39). L'esclavagisme, bien que profitant à la France et étant un sujet somme toute mitigé dans la littérature, était souvent condamné, et ce surtout à partir des années 1760 (60). Dans les faits, même si le territoire français était traditionnellement connu comme étant un lieu d'émancipation, dès le septième siècle, la traite des esclaves y était autorisée afin de les envoyer dans les colonies. Ce n'est qu'en 1738 que l'on commence à discerner une différence dans le discours entre les «esclaves-nègres» (47) et les esclaves non nègres. L'auteure affirme qu'en 1762 un discours raciste était bel et bien établi, alors que l'on ne mentionnait plus le terme «esclave», lui préférant plutôt le mot «nègre» ou «mulâtre» (48). Il est à noter que les «Indiens» furent toujours considérés comme des hommes libres (59).

Juridiquement parlant, l'esclave a un statut à la fois de sujet et de meuble – il est une «personne réifiée» comme le suggère Groffier (53) – avec toutefois une restriction : «on ne peut saisir ni vendre séparément le mari, la femme et les enfants impubères qui appartiennent à un même maître» (51). La plupart des règles et des prohibitions au sujet des esclaves se trouvent dans le Code noir. Celui-ci comporte entre autres des punitions très sévères en cas de fuite, mais il cherchait aussi à protéger les esclaves contre les traitements abusifs des maîtres. Or, la plupart des esclaves ignoraient qu'ils avaient la possibilité de poursuivre leur maître en justice. Il était possible, mais rare, que les maîtres affranchissent leurs esclaves, et ces derniers, le cas échéant, restaient tout de même des «citoyens de deuxième classe» (57).

Groffier nous invite à faire la part des choses au sujet des répressions subies par ces trois groupes opprimés : «Ces peines […] sont dures, mais pas plus dures que celles prévues par le droit criminel ordinaire. Elles le sont même parfois moins» (63). Selon elle, ce sont les esclaves qui ont subi les traitements les plus durs, en partie à cause du système judiciaire mal contrôlé des colonies et du traitement différentiel des esclaves lors des jugements (65). C'est aussi envers eux que les préjugés ont pris le plus de temps à s'estomper (67).

En guise de conclusion, l'auteure se propose de revoir le «scandale intellectuel» (76) de la place du racisme au sein de l'esprit des Lumières. Selon elle, bien qu'une idéologie raciste et racisante ait pris racine durant ce siècle, celle-ci ne peut pas être attribuée à la tradition philosophique du même nom, car tous les intellectuels de cette époque ne s'accordaient pas à ce sujet. Les «actes racisants» (71) auraient existé bien avant que l'on ne développe la théorie raciste, et cette dernière allait à l'encontre de la vision qu'avaient les Encyclopédistes de la nature humaine (72). Toutefois, la classification des types humains qu'on leur doit aurait malheureusement été reprise par des idéologies racistes.

Groffier offre un survol somme toute assez complet de l'évolution du statut juridique de ces trois minorités durant la période choisie et elle propose un discours tout en nuance. L'auteure avertit aussi le lecteur des dangers d'une lecture anachronique de l'histoire qui impute certains concepts modernes à une époque qui ne leur sied pas. Toutefois, il aurait été utile, dans le cadre de la publication de sa conférence, qu'elle complète son propos grâce à des renseignements sur la situation historique préalable à l'époque choisie afin de mettre le lecteur en contexte. Malgré cette réserve, le texte demeure accessible et intéressera à la fois les spécialistes et les non-spécialistes. Alors que la question des droits des minorités religieuses a récemment suscité un débat sur les accommodements raisonnables au Québec et dans le reste du Canada, nous recommandons l'ouvrage de Groffier, car il offre une perspective permettant de voir ces enjeux à plus long terme plutôt qu'en fonction du moment présent.