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Le Québec, une nation imaginaire Anne Legaré, Montréal : Presses de l'Université de Montréal, 2017, pp.394

Published online by Cambridge University Press:  01 October 2019

Frédéric Parent*
Affiliation:
Université du Québec à Montréal
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2019 

Résultat d'un impressionnant travail d'actualisation et d'articulation d'une partie de ses recherches antérieures, Le Québec, une nation imaginaire de la politologue Anne Legaré, professeure retraitée au département de sciences politiques de l'UQAM, est loin d’être une simple anthologie présentée et commentée. Le travail rigoureux de définition de concepts fondamentaux en science politique facilite en outre la lecture pour toutes les personnes formées dans d'autres disciplines des sciences sociales.

Dans une éclairante introduction, elle montre comment ses réflexions s'inscrivent dans son parcours personnel et professionnel. Issue d'une famille fédéraliste—son père était député libéral de Rimouski—Legaré devient souverainiste en 1991 et est élue présidente du Comité des relations internationales du PQ qui travaillait notamment au respect des droits des minorités. Elle est ensuite haute fonctionnaire en poste à Paris, New York et Washington. Ses diverses fonctions et engagements l'ont « sans cesse ramené[e] à la question identitaire ». Elle considère que « c'est une question qui non seulement constitue le levier de la cause souverainiste et son aboutissement comme procès de transformation sociale et politique, mais qui place aussi le Québec au cœur du monde en mutation » (15). L'objectif principal de l'auteure dans l'ouvrage analysé est d’étudier les conditions de formation des structures identitaires de la nation québécoise « à saisir et à bâtir », à partir de « ce qui lie la société [civile] à l’État » (22–23). Cette visée analytique est aussi une tentative de légitimation de la démarche souverainiste. Legaré se situe elle-même loin d'un nationalisme conservateur qu'elle considère aujourd'hui dominant, depuis le départ de Jacques Parizeau et s'associe davantage à un nationalisme qualifié de progressiste dans lequel sont Québécois tous les résidents du Québec et non seulement les personnes d'origine canadienne-française (184–185).

Séparé en deux parties, l'auteure aborde dans la première partie du livre les conditions structurelles internes de l'identité québécoise, qu'elle relie aux relations du gouvernement du Québec avec l’État fédéral. Legaré soutient l'idée que penser le régime fédéral à partir du seul point de vue de la répartition des pouvoirs empêche la reconnaissance de la domination politique de l'État fédéral qui constitue le Québec comme une région et non comme un État. Pour Legaré, l’ère du providentialisme politique a aussi contribué à « faire croire à la préséance des pouvoirs des provinces sur ceux du centre » et à occulter la persistance de la hiérarchie entre le fédéral et les provinces (44). L'auteure avance que cette croyance résulte d'une forme de violence symbolique par laquelle s'impose la légitimité de ce pouvoir et mène au consentement des dominés à la domination politique du fédéral sur le Québec. Les citoyens reconnaissent tacitement la légitimité de l’État à « décider ou à décréter le droit » (53). Par le monopole de la violence légitime, l’État constitue la société –définie comme un « principe de multitude, de diversité, de pluriethnicité » ou de « magma de différenciation »– en sujet collectif ou nation : « Cette diversité fondatrice devient sujet seulement quand le peuple (abstrait) conclut un pacte avec l’État » (162).

Les dernières interrogations de la première partie mènent Legaré à faire la distinction entre la nation en soi (la nation comme déjà donnée historiquement, culturellement et ethniquement) –correspondant surtout à la période antérieure aux révolutions démocratiques– et la nation pour soi (la nation consciente d'elle-même et de sa diversité) à partir de la Révolution française. Elle procède à une critique du discours conservateur sur la nation et propose une intéressante revisite de la notion de survivance ou de « vie par surcroît ». L'auteure souligne que la « persistance d'une trace, d'une mémoire, d'une expérience » (146) s'incorpore dans les formes sociales, dans un présent qui actualise le rapport présent-passé dans la projection d'un futur, d'un horizon imaginé. Il n'est pas suffisant, rappelle-t-elle, de s'appuyer strictement sur un passé colonisé pour « produire les transformations historiques attendues » (19). Legaré présente enfin une critique de la vision économiciste des sociétés contenue dans les traités de libre-échange, soulignant que ces derniers constituent, en même temps, des voies d'ouverture à de nouveaux espaces politiques propices à la défense des minorités et de la diversité culturelle, susceptibles d’être favorables au Québec (308–309).

La deuxième partie de l'ouvrage questionne les « conditions externes » ou « historiques » de la formation de l'identité à partir des relations internationales. Legaré propose une virulente critique de la thèse de l'américanité tout en montrant la nécessité pour le Québec de s'engager dans la Francophonie. La conscience de l'américanité ne ferait que « renforcer la puissance des États-Unis » (275) et limiterait conséquemment l'imaginaire national (284). Loin d’être réduite à l'artificialité ou à l'irréalité, l'imaginaire est, pour Legaré, pleinement constitutif du réel (264–265) et est central dans le passage d'une conscience des différences et de la diversité sociale à la conscience de former une communauté ou un « sujet collectif », au-delà de ces différences. Bien que la « scène politique » constitue le sujet collectif par excellence de cette « capacité d'auto-institution » dans la « synthèse d'intérêts multiples » (374), Legaré souligne judicieusement, en conclusion, qu'elle « ne suffit pas pour achever ce chantier » (377).

Legaré appréhende dès l'introduction de son ouvrage toute la « complexité du réel » (19, 21), la « dureté du terrain » (16) ou le « poids du réel » (228) qui ne se limite pas à la politique institutionnalisée dans le régime parlementaire britannique. Elle souhaite dépasser une lecture de type constitutionnaliste, c'est-à-dire d'un régime politique fermé sur lui-même, pour élaborer une « analyse du politique [qui fait] appel à la puissance et au pouvoir, [un] processus qui déborde le cadre strict du droit et des institutions » (75). Est-il possible, néanmoins, qu'elle reconduise une vision du politique qui se limite essentiellement à cette scène parlementaire et institutionnelle, en saisissant l'imaginaire national uniquement par des sondages et en reconduisant l'idée que la « domination ultime » serait la domination étatique? La nation imaginée de Légaré ne renvoie-t-elle pas finalement à la définition de la nation comme sujet démocratique universel, contractuel (162–163, 213–214), à une « rationalité » (168) qui serait, au final, juridico-politique, à tendance universalisante?

Les rapports sociaux ne se limitent pas aux rapports politiques (128–129) et le discours nationaliste gagnerait peut-être à saisir les perches que tend Legaré dans son livre et à étudier plus sérieusement la complexité du « réel » dans ses divisions (228) de classes, de genre et d'ethnie, puisque le fédéralisme a, selon Legaré, précisément « pour effet de faire oublier l'histoire », de gommer les antagonismes et le pouvoir inégal (35). Le livre de Legaré est une lecture essentielle à toute personne occupée ou préoccupée par la question du Québec. Lecture stimulante d'une intellectuelle qui connaît empiriquement l'intérieur de l'appareil étatique et qui produit une connaissance incarnée du monde politique.