Partant du constat que l'étude des institutions parlementaires québécoises n'a guère suscité l'enthousiasme des chercheuses et des chercheurs, Louis Massicotte, professeur au Département de science politique de l'Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur la démocratie et sur les institutions parlementaires, se propose de combler par son ouvrage, du moins en partie, cette carence dans le savoir. Ainsi son objectif est-il «de situer l'évolution historique des rapports de force entre les différentes catégories d'acteurs qui évoluent dans l'arène parlementaire» (1), et ce, en privilégiant l'étude de la procédure et des comportements. Cette approche dicte ses méthodes et ses sources. Suivant l'exemple des John Stewart et Philip Norton, Louis Massicotte se préoccupe de la procédure en action et décrypte les «votes par appel nominal» (11), notamment en scrutant les Journaux de l'Assemblée et les Procès-verbaux.
L'auteur voit dans l'année 1936 l'avènement d'une frontière entre deux régimes : une Assemblée où les députés jouissaient d'une certaine indépendance de pensée et d'action versus une Assemblée où les parlementaires évoluent sous la férule de leur formation politique et, surtout, de son leader. Pourquoi 1936? En raison, entre autres, de la chute du gouvernement Taschereau dans un contexte de scandales, mais aussi de bévues procédurales et stratégiques ayant amené la fin d'un long règne libéral et l'ascension corrélative de Maurice Duplessis qui limitera considérablement la marge de manœuvre des députés (par exemple en matière d'initiative législative). Trois idées fortes guident le propos du chercheur. La première, bien connue, soutient l'existence d'un âge d'or du parlementarisme au Québec, c'est-à-dire un régime où les députés faisaient les lois et où l'issue de leurs délibérations n'était pas déterminée par la discipline de parti. La deuxième idée est que «[l]es réformes de procédure réalisées depuis 1960 ont eu pour source essentielle l'accroissement des responsabilités de l'État québécois» (8). En fait, la boulimie étatique que généra la Révolution tranquille signifia un affermissement de l'exécutif au détriment du législatif. La dernière idée veut que, outre sa spécificité identitaire, l'Assemblée nationale ne se distingue guère de ses homologues fédéral et provinciaux.
L'ouvrage se compose de deux parties scindées par l'année 1960, un moment apparemment incontournable pour quiconque étudie le Québec. Intitulée «Le parlementarisme traditionnel – 1867–1960», la première section repose sur la lecture, de prime abord paradoxale, tout à la fois d'un immobilisme et de mutations au sein des institutions parlementaires québécoises. Immobilisme pour ce qui est du cadre constitutionnel et procédural du Parlement, de l'identité des acteurs parlementaires, ainsi que des travaux de l'Assemblée (dans leur durée et leurs méthodes). Mutations, par ailleurs, en cela que périclitent certains garde-fous externes à l'Assemblée (par exemple, le rôle du lieutenant-gouverneur recule considérablement et la Chambre haute disparaît, alors que les pouvoirs de désaveu et de réserve tombent graduellement en désuétude) et surtout, du fait que d'acteurs d'avant-scène du jeu parlementaire qu'ils étaient les députés en deviennent de simples figurants.
La seconde partie, «Le Parlement réformé 1960–2007», couvre deux chapitres. Le premier, «Crise et réforme», examine les transformations de nature mécanique et identitaire qui ont remodelé l'Assemblée nationale depuis 1960. Si ces premières sont techniques, ces dernières captent davantage l'intérêt en ce qu'elles concernent les rapports entre institutions et société, les unes étant, d'une certaine manière, le reflet de l'autre. Le deuxième chapitre défend deux idées : d'une part, les nombreuses réformes apportées au parlementarisme québécois depuis la Révolution tranquille n'ont pas contribué à rehausser le rôle des députées et députés d'arrière-ban, notamment au regard du processus législatif; d'autre part, en leur attribuant davantage de ressources, ces réformes ont conforté les membres de l'Assemblée nationale dans leur fonction de médiation.
Le Parlement du Québec de 1867 à aujourd'hui présente plusieurs qualités, dont celle de brosser un tableau exhaustif et convaincant de l'évolution du parlementarisme tel que pratiqué au Québec, qui n'est pas la moindre. La structure de l'ouvrage impressionne par sa précision et son souci du détail, ce qui ne saurait étonner pour qui connaît l'auteur. En revanche, les précisions, peut-être excessives parfois, alourdissent considérablement la lecture de l'ouvrage, de sorte que quiconque n'a pas un intérêt marqué pour la question y trouvera prétexte à l'abandonner. L'analyse, bien ficelée, conjugue harmonieusement jargon des sciences politiques et anecdotes de l'activité parlementaire à Québec, atténuant ainsi quelque peu l'austérité du texte. La bibliographie est bien garnie, même si l'on y cherche parfois les titres plus récents. Un index aurait été bienvenu, d'autant plus qu'il aurait fourni des repères rapides à un bouquin très riche en événements, personnages et détails.
Pourtant, la conclusion étonne : elle reprend, certes, l'essentiel du message porté par l'analyse, mais pour ensuite dévier vers une problématique au mieux esquissée dans l'ouvrage (par exemple lorsque l'auteur compare le cas québécois avec les autres provinces canadiennes), soit celle d'une théorie générale des institutions politiques en régimes fédératifs. Cette entreprise est pertinente, voire nécessaire, d'autant que l'avenir semble sourire au fédéralisme dans un contexte d'émergence, de reconnaissance et de consolidation des États pluriethniques. C'est plutôt le choix d'évoquer ce projet en bout de course qui surprend, car il laisse le lectorat sur son appétit. De fait, l'ouvrage aurait pu être le lieu où jeter les premières assises d'une telle entreprise et il est regrettable que L. Massicotte n'ait pas saisi cette occasion. Cela dit, Le Parlement du Québec de 1867 à aujourd'hui révèle le potentiel novateur du parlementarisme et sa grande capacité d'adaptation aux développements qui sculptent les sociétés qui l'accueillent.