La gestion de la diversité demeure un thème d'actualité et les mécanismes pour l'accomplir font l'objet de traitements variés dans la littérature. Dans ce collectif, les auteurs cherchent à analyser comment la Belgique et le Canada se sont engagés dans cette voie en adoptant un système fédéral. Pour eux, le fédéralisme constitue un moyen de résoudre «la question de la reconnaissance de la diversité – qu'elle soit culturelle, linguistique, économique ou encore démographique – tout en maintenant l'unité de l'ensemble» (10). Leur objectif est d'entreprendre un «dialogue comparatif sociopolitique» (11) afin d'éclairer les façons dont le fédéralisme a été opérationnalisé dans ces deux pays. Si au premier abord, la stratégie pourrait pointer vers une comparaison de systèmes semblables, c'est-à-dire de deux fédérations, la ligne directrice pointe dans une autre direction. En effet, l'idée est de comparer des systèmes différents, en ce sens que les auteurs considèrent que la fédération belge est caractérisée par un biais centrifuge et la fédération canadienne, par un biais centripète. Dès lors, les réponses que ces deux fédérations proposent à la question de la reconnaissance de la diversité auront tendance à diverger. Cette distinction entre les deux fédérations traverse le traitement de chacun des thèmes qui ont été retenus dans l'ouvrage, en plus de la courte présentation sur l'évolution institutionnelle et constitutionnelle des deux fédérations. D'ailleurs, la présentation de chaque thème emprunte la même forme, c'est-à-dire un chapitre sur la Belgique, un second sur le Canada et un troisième qui se veut un dialogue comparatif entre les deux chapitres précédents.
Le premier thème couvre la dynamique fédérale ou, plus précisément, «[l]es caractéristiques et [l]es modalités de l'évolution du fonctionnement d'un système fédéral» (92). Dans les deux fédérations, des insatisfactions sont observées. En Belgique, malgré une démocratie consociative devant préserver la stabilité du régime, «les partenaires regardent la situation actuelle avec un certain degré de frustration» (66), puisque «le non-accord et le blocage temporaire du système peuvent être plus attractif que l'obligation de trouver des compromis» (70). Au Canada, c'est «la tension entre l'autonomie et la subordination» (74) des provinces qui est à la source des insatisfactions et des deux visions «qui s'affrontent […] l'une au nom de l'unité du pays et de l'égalité des provinces, l'autre au nom de la diversité et de l'égalité des nations ou des peuples fondateurs» (74). Ces insatisfactions se répercutent dans le second thème qui est retenu, celui du partage des compétences et des relations intergouvernementales. Dans le traitement de la Belgique, les relations intergouvernementales prennent l'avant-scène, parce que face aux conflits communautaires, la «tradition est celle de la négociation» entre les composantes de la fédération. Dans celui du Canada, c'est le partage des compétences qui prend l'avant-scène. La répartition constitutionnelle des compétences est source de tensions en raison de son interprétation fluctuante, d'autant plus qu'à «une époque de glorification de la gouvernance à niveaux multiples, les démarcations normatives et administratives qu'impose en partie une constitution fédérale sont en effet considérées comme inopportunes, inefficaces ou obsolètes» (113). La comparaison des deux fédérations permet encore une fois de rendre compte de leurs caractères centrifuge et centripète respectifs.
La réflexion porte ensuite sur la protection des minorités, le troisième thème. Le chapitre sur la Belgique reprend le conflit entre les communautés et les façons dont celles-ci se perçoivent. Si les Flamands se considèrent «comme une minorité opprimée sur le plan linguistique et culturel» (133), les francophones se considèrent numériquement minoritaires «à la fois au niveau de l'État pris dans son ensemble (au niveau fédéral) et au niveau des entités fédérées (par exemple, en ce qui concerne les francophones vivant en Flandre)» (140). Cette tension se répercute dans le débat entre le principe de territorialité, privilégié par les Flamands, et le principe de personnalité, défendu par les francophones. Cette observation peut rappeler le cas canadien où «la politique linguistique québécoise, d'une part, et la politique menée par les autorités fédérales et certaines provinces, d'autre part, divergent sur le plan des objectifs et de l'inspiration» (159). Face à ce constat, «une limite du fédéralisme comme moyen d'accommoder les minorités nationales» (146) se présente, c'est-à-dire que «le fédéralisme doit admettre certaines asymétries, ce qu'il ne permet pas facilement» (146).
Les relations internationales des entités fédérées sont le thème suivant. La comparaison des deux fédérations permet d'observer que «le système canadien, où le processus de décision est plus centralisé et où les mécanismes intergouvernementaux sont faiblement institutionnalisés et le système belge, où les entités fédérées ont un rôle de codécision et où les mécanismes intergouvernementaux sont très institutionnalisés» (200) diffèrent. En effet, si les entités fédérées belges «ont une très grande autonomie d'action» (181) en matière de relations internationales, la Constitution canadienne «n'offre pas un cadre facilitant pour que soient entreprises» (186) des activités paradiplomatiques par les entités fédérées.
Le futur des fédérations belge et canadienne constitue le dernier thème. Dans le cas de la Belgique, le caractère centrifuge du fédéralisme semble renforcer les tendances autonomistes. Toutefois, face aux scénarios qui se présentent pour l'avenir, les discours de l'opinion publique et de l'opinion politique divergent. En fait, «la population dans son ensemble semble moins polarisée et radicale sur le plan communautaire que (une partie de) l'élite politique» (227). Une position à privilégier serait pour la Belgique de prendre conscience «que pour un bon fonctionnement des institutions, il faut des contrepoids intégrateurs» (228). Pour ce qui est du Canada, il «a cette particularité que le système politique opère comme une fédération alors que le fédéralisme n'y est pas accepté en théorie» (252). En fait, il est marqué par «une compréhension approximative du mode de fonctionnement de la fédération» (244) et par une faible adhésion aux principes d'une culture fédérale. La faiblesse de cette culture «ne peut contrer le (re)déploiement d'une approche unitaire par ailleurs souhaitée par la population» (251), une dynamique qui sera déterminante dans l'avenir. Face à ces perspectives d'avenir, il demeure que «l'histoire canadienne et belge se trouve chargée de lectures mythologiques qui ne se ressemblent pas» (264). En effet, si la dynamique canadienne s'inscrit «dans une culture de consensus démocratique sensé être à la base de la volonté de vivre ensemble» (264), la dynamique belge s'inscrit «dans une culture de violence héritée, de saccages et pillage des territoires» (264). Cette dernière observation rappelle que la Belgique et le Canada constituent des cas permettant de mener une stratégie comparative fondée sur des systèmes différents.
Si le collectif dresse un portrait partiel des fédérations belge et canadienne autour de cinq thèmes, il n'est pas clair qu'il ait atteint son objectif de susciter un dialogue comparatif sociopolitique. L'organisation du collectif fait en sorte que les textes portant sur les deux fédérations soient plutôt hermétiques, laissant au dialogue qui suit la tâche de comparer les deux systèmes. Toutefois, bien souvent, les textes présentant les fédérations n'ont que très peu en commun, laissant le dialogue devant une absence d'indicateurs sur lesquels pourraient porter la comparaison. Ce défaut dans l'équivalence des textes se retrouve d'ailleurs dans les dialogues comparatifs, qui sont souvent très courts et qui relèvent plus souvent du commentaire que de la comparaison plus systématique des deux fédérations. Bref, il n'y a pas de dialogues comparatifs réels dans le collectif, en ce sens que les collaborateurs ne s'interpellent que minimalement et que la comparaison demeure souvent superficielle et au niveau des questionnements.
Le collectif s'articule aussi autour d'analyses principalement institutionnelles, conséquence sûrement des thèmes retenus. Mais, pour dresser un portrait plus global des fédérations belge et canadienne et pour réfléchir sur leurs perspectives d'avenir, une analyse institutionnelle ne suffit pas. Si l'étude des fédérations se limite ici «aux aménagements institutionnels reposant sur l'existence d'une division des pouvoirs intra-étatique» (233), l'étude du fédéralisme, comme renvoyant à un «idéal social que la fédération est censée matérialiser» (233), est laissée en plan. Une telle analyse aurait permis d'entreprendre ce que suggère Verjans à la fin du collectif, soit de regarder «comment les racines historiques des vivre-ensemble connotent chaque geste des collectivités et les lectures qui en sont faites de part et d'autre des frontières internes» (264). Le fédéralisme est certes un moyen de gérer la diversité par le truchement des institutions, mais il est aussi un projet normatif permettant à cette diversité de s'exprimer. Au-delà des caractéristiques centrifuges et centripètes des deux fédérations, ce projet normatif aurait pu servir de base à la comparaison et aurait complété les analyses institutionnelles. Il aurait aussi sûrement eu l'avantage de susciter des dialogues plus engageants entre les collaborateurs.