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Le choc des légitimités Alain-G. Gagnon, Québec : Les Presses de l'Université Laval, coll. Prisme, 2021, pp. 230

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Le choc des légitimités Alain-G. Gagnon, Québec : Les Presses de l'Université Laval, coll. Prisme, 2021, pp. 230

Published online by Cambridge University Press:  30 June 2022

Samuel Lemire*
Affiliation:
Trinity College Dublin (lemires@tcd.ie)
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Recension/Book Review
Copyright
Copyright © The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Le monde contemporain est façonné par des tendances antagonistes pouvant paraître irréconciliables. Par exemple, le phénomène de mondialisation, fondé sur des idéaux cosmopolites, aurait rendu les notions d'appartenance et d'enracinement obsolètes. Souvent en réaction à ce phénomène engendrant des forces centripètes, l'affirmation des sentiments identitaires et communautaires s'est avérée décomplexée et même valorisée. Dans des sociétés de plus en plus atomisées et polarisées, des affrontements entre les laudateurs et les contempteurs de ces tendances seraient inévitables et menaceraient la paix sociale. Or, le choc des idées et des légitimités, s'il est institutionnalisé en s'appuyant sur des principes solides, est aussi opportun qu'essentiel en vue de préserver et de consolider la concorde entre les citoyens et les nations. Telle est la thèse défendue par Alain-G. Gagnon dans l'ouvrage Le choc des légitimités. Gagnon y soutient que le fédéralisme multinational permettrait de dénouer des impasses sociopolitiques majeures et d’éviter que la seule loi du plus fort ne prévale entre des entités constitutives également distinctes. Son argumentaire s'avère aussi riche théoriquement qu’éminemment pragmatique. Toutefois, pour que de nécessaires équilibres jaillissent du choc des légitimités, il importe que les acteurs politiques se donnent les moyens de reconnaitre concrètement ces légitimités diverses.

Afin d'identifier les maux affectant les États multinationaux et de proposer des solutions audacieuses et efficaces, Gagnon présente d'abord plusieurs impasses constitutionnelles qu'il conviendrait de dénouer. C'est ainsi que l'idée d'un choc des légitimités, au cœur de l'ouvrage, prend tout son sens. Plus précisément, l’étude de trois impasses ouvre sur des horizons particulièrement pertinents afin de comprendre et d'analyser de nombreux enjeux fédéraux contemporains.

D'abord, il distingue deux types de fédéralisme. Il privilégie une vision multinationale de ce concept, laquelle s'appuie sur le rassemblement de nations pouvant exercer leurs propres pouvoirs constituants au sein d'un État composite, plutôt que territoriale. Le fédéralisme territorial, pourtant très commun empiriquement, s'avère indument instrumental et néglige le besoin de reconnaissance identitaire des nations (8, 34 et 64).

Ensuite, l'auteur analyse le phénomène de centralisation ayant caractérisé l’évolution du fédéralisme canadien et identifie les dangers engendrés par les tentations hégémoniques d'une entité sur les autres (chap. 2 et suiv.). Si des politiques pan-étatiques peuvent être appropriées dans certains contextes, elles doivent émaner, le cas échéant, d'un véritable dialogue auquel chaque entité constitutive d'un État fédéral multinational ait participé et qu'elles aient également consenti aux conclusions (67 et 89). Autrement, l'esprit pactiste, qui devrait être intrinsèque aux constitutions fédérales, serait bafoué. Cela s'avèrerait d'autant plus vrai, et périlleux, lorsqu'elles ont pour vocation de rassembler plusieurs demoi distincts au sein d'un même ensemble étatique.

Enfin, Gagnon examine les tensions susceptibles d’émerger entre la protection des droits individuels constitutionnalisés et le respect des autonomies fédérées (chap. 6). Il constate et affirme que le libéralisme, le nationalisme, le fédéralisme et la démocratie se complètent au lieu de s'opposer. Cela est possible si l'institutionnalisation de la recherche du consentement et du consensus est désirée et mise en œuvre (154).

Or, si les questions liées à la légalité des normes et des pratiques au sein d'un État multinational sont importantes, l'auteur est d'avis qu'il importe aussi d'interroger leur légitimité. En effet, l’état des rapports de force dans les États multinationaux demeure une variable extrêmement importante. Ainsi, il démontre que confondre légalité et légitimité en interprétant dogmatiquement le droit en vigueur entrave le dialogue entre des groupes aux intérêts divergents et l'atteinte de solutions mutuellement acceptables. Par exemple, le refus légaliste du gouvernement espagnol d'accommoder les demandes des nationalistes catalans au cours des dernières décennies aurait sapé la légitimité du cadre étatique au lieu de la renforcer (13–14 et 150).

Concrètement, un État multinational institutionnalisant les principes fédératifs doit reconnaître que ses nations constitutives ont des aspirations et des revendications également légitimes. Cette égalité ne peut pas être garantie que par des moyens formels, surtout s'ils enchâssent des inégalités structurelles comme celles subies par les nations autochtones au Canada (72). Pour qu'elle existe véritablement, elle doit être concrétisée à travers des processus continus de négociation permettant à chaque nation de préserver ses intérêts et son caractère unique (93 et 170). En effet, les institutions ne peuvent exercer leurs pouvoirs avec autorité que si les rapports intercommunautaires ne sont pas envisagés et opérationnalisés dans une optique hiérarchique ou trop formaliste (158). Si toute relation constitutionnelle, même au sein d'un État fédéral multinational, est nécessairement façonnée par des rapports de force, il n'en demeure pas moins que le respect d'une « éthique de ce qui est juste et équitable » (31) doit limiter leurs excès. Ce n'est qu'ainsi que des équilibres harmonieux peuvent émerger du choc des légitimités survenant dans les États multinationaux.

Dans des États de plus en plus hétérogènes dans leur composition sociodémographique, Gagnon souligne à juste titre que des équilibres, entre autres entre l'unité étatique et la diversité nationale, peuvent être atteints en conciliant diverses sources de légitimité. Les perspectives constitutionnelles monistes, unitaires et totalisantes doivent alors être dépassées. Ce sont précisément les divergences entre les nations constitutives qui peuvent permettre de dépasser le cadre moniste dans lequel elles sont corsetées. L'institutionnalisation du règlement des divergences grâce à un dialogue fondé sur le respect mutuel est au cœur de la stabilité et de la vitalité d'un système démocratique (102). C'est ainsi que, comme ce serait le cas au Canada, une « pluralité de peuples souverains » peuvent coexister–quoique la reconnaissance des nations subétatiques canadiennes ne sera jamais acquise et immuable (81).

Néanmoins, les réflexions de Gagnon n'ont de sens en pratique que si les décideurs et les citoyens s'engagent à respecter les obligations permettant l'exécution légitime des dispositions d'un pacte fédéral multinational. Vu sa nature quelque peu intangible, surtout d'une perspective juridique, il y a un risque que les multiples communautés–porteuses d'autant de légitimités–coexistant dans un État fédéral soient précarisées dans leur être si les institutions qui les soutiennent n'ont pas l'autorité permettant de les protéger efficacement. L'ouvrage recensé illustre la nécessité d'y remédier sans attendre, afin d'assurer la reconnaissance de nations distinctes par l'atteinte d’équilibres certes précaires, mais fondamentaux.