Ce livre réunit cinq articles traitant de la relation du Canada avec son voisin du sud, cette superpuissance dans l'ombre de laquelle le gouvernement canadien déploie sa politique étrangère. Les réflexions proposées portent essentiellement sur les questions de sécurité. Publié à la fin de 2005, l'ouvrage analyse les politiques des gouvernements Chrétien et Martin. Or ce sont des questions de politique intérieure plutôt que de politique étrangère qui ont mobilisé les ressources de ces gouvernements. Cette publication pose la question de l'avenir, question qui est encore plus pertinente depuis le changement de gouvernement survenu à Ottawa en janvier 2006
Le premier chapitre est de Nelson Michaud. Il nous éclaire sur le rôle des valeurs canadiennes dans la définition de la politique étrangère des gouvernements en poste à Ottawa. Il retrace la trajectoire historique des valeurs qui guident la politique étrangère canadienne et démontre que la décision du gouvernement Chrétien de ne pas participer à la guerre en Irak s'inscrit dans la logique du multilatéralisme canadien. Cette intervention armée n'avait l'aval ni de l'ONU, ni de l'OTAN, ce qui a lourdement influencé la décision canadienne. L'article analyse ensuite les valeurs psychosociales et politico-opérationnelles qui sont à la source de la politique étrangère canadienne. Toutes ces valeurs distinguent le Canada des États-Unis. L'auteur souligne cependant le fossé entre valeurs et réalité. Adoptant une démarche prescriptive, il dresse la liste des défis auxquels doit faire face le gouvernement canadien, entre autres : l'urgence de réévaluer la pratique du multilatéralisme et de résoudre le dilemme entre héritage historique et innovation; l'importance de préserver le respect et la crédibilité de la position canadienne sur la scène internationale; la nécessité de protéger la souveraineté canadienne tout en gardant une relation saine avec les États-Unis; etc. Pour relever ces défis, le Canada doit redéfinir ses priorités et y consacrer les ressources nécessaires. Mais ces réalités ne sont pas priorisées dans les plateformes électorales, version 2004, des partis politiques siégeant au Parlement canadien. En terminant, l'article analyse l'énoncé de politique étrangère canadienne déposé en 2005. Contre toute attente, celui-ci se démarque des pratiques précédentes. La sécurité nationale et continentale y occupe une place plus importante que par le passé. Le texte affirme le rôle central du gouvernement fédéral en matière de politique étrangère et les défis à relever ne sont plus ignorés, notamment en ce qui a trait à l'avenir du multilatéralisme. Quant à la relation Canada-États-Unis, l'énoncé souligne l'importance d'être différent mais non indifférent. Cette politique innove donc. D'après l'auteur, l'innovation a été possible parce que c'est une ressource externe, plutôt que la fonction publique, qui a produit cet énoncé, dont l'avenir demeure toutefois incertain en raison du climat politique canadien.
Le chapitre deux a été écrit par André Donneur et Valentin Chirica. Ils explorent les questions d'interdépendance et d'autonomie qui structurent les relations entre le Canada et les États-Unis. Pour ces auteurs, il est clair que, malgré quelques incohérences, le Canada a toujours su préserver sa spécificité en matière de politique étrangère. Ils étudient les facteurs structurels et les pressions qui influencent la politique étrangère canadienne en accordant une attention particulière aux positions développées par la communauté épistémique, les groupes de pression et les partis politiques. Les auteurs estiment que ces différents facteurs ont permis au Canada de resserrer sa coopération avec son voisin d'une manière nuancée, de développer sa législation antiterroriste et d'améliorer son cadre institutionnel en matière de sécurité. Ils analysent en détail la coopération multilatérale et bilatérale en matière de sécurité non militaire entre le Canada et les États-Unis et soulignent qu'elle est bien antérieure à 2001 et que les mesures antiterroristes internes du Canada lui sont spécifiques. Le Canada a toujours gardé ses distances avec Washington sur ces questions. La nouvelle politique canadienne de sécurité nationale déposée en 2004, première politique de ce type, a intégré un nouveau principe, le principe de prévention, et a élargi les préoccupations sécuritaires aux questions de blanchiment d'argent. Néanmoins, cette politique ne résout pas l'épineux problème de l'arrimage d'une coopération continentale plus poussée avec une politique favorisant le multilatéralisme.
Dans un texte court et d'une grande cohérence, le chapitre trois, de Stéphane Roussel, présente une réflexion sur la construction institutionnelle de la défense canado-américaine. Il rappelle que les relations entre le Canada et les États-Unis sont les plus stables et les plus denses au monde. En se référant aux théories institutionnalistes et à celles touchant à la coopération entre démocraties, cette analyse nous permet de mieux comprendre les phénomènes de coopération qui ne reflètent pas du tout le rapport de forces entre ces deux États. Roussel brosse un tableau de la construction des institutions qui lient les États-Unis et le Canada, un réseau comptant aujourd'hui pas moins de 80 traités, 250 autres protocoles, et 145 tribunes bilatérales. Trois phases distinctes ont conduit à la construction de ce réseau; la première débute à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la deuxième, en 1947 et la troisième, en 1957. Chaque étape a suscité critiques et débats mais, dans l'ensemble, la construction de ces institutions s'est déroulée sans heurts et a permis d'établir des règles du jeu claires, tel que le prévoient les institutionnalistes. L'auteur aborde ensuite les enjeux actuels de la défense de l'Amérique du Nord et l'avenir de la coopération canado-américaine en matière de sécurité. Des menaces asymétriques posent le problème de la frontière entre les deux pays et celui de la dépendance canadienne vis-à-vis du marché américain. Dans le contexte des relations post-2001, les institutions bilatérales pourraient s'avérer particulièrement utiles pour aborder ces questions, même si elles sont elles-mêmes sujettes à des changements majeurs. Héritées de la guerre froide, ces institutions doivent aujourd'hui faire face à de nombreux défis, notamment : l'intégration du Mexique dans l'architecture de sécurité; l'adaptation à la réorganisation des commandements militaires aux États-Unis avec la création du Northern Command; l'adaptation des politiques et actions canadiennes dans un nouvel environnement institutionnel américain depuis la création du Department of Homeland Security ; et finalement, l'avenir du NORAD qui est compromis par le refus canadien de participer à la défense antimissile de l'Amérique du Nord. Le thème de la coopération demeure central. Si la coopération pour la défense antimissile pose un problème au Canada, plusieurs commentateurs proposent d'approfondir la coopération dans d'autres domaines, le domaine maritime notamment. Pour l'auteur, l'utilité des institutions bilatérales n'est plus à démontrer. Devant les nouveaux dangers qui menacent la sécurité nationale et étant donné la force de la superpuissance américaine, Ottawa a tout intérêt à renforcer le tissu institutionnel avec Washington. Cette relation constitue un de ses meilleurs instruments pour défendre sa souveraineté, son identité et son économie.
Le chapitre quatre, proposé par Philippe Lagassé, reprend des thèses abordées dans les chapitres précédents en mettant l'accent sur la coopération canado-américaine en matière de défense stratégique. Il brosse un historique des positions américaine et canadienne pour ensuite analyser les facteurs qui ont influencé la politique étrangère canadienne sur le bouclier antimissile. L'auteur souligne que la participation du Canada à la défense stratégique de l'Amérique du Nord n'est pas nouvelle et commence après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, un fossé s'est creusé depuis 2001. Les États-Unis ont conclu le traité SORT avec Moscou, ils se sont retirés du traité sur les missiles antimissiles balistiques (ABM), et ils ont réorganisé les institutions chargées de la surveillance et de la défense de leur territoire national. Pendant ce temps, le gouvernement canadien restait silencieux et poursuivait sa politique de l'ambiguïté. Même après son refus de combattre en Irak, le gouvernement canadien était disposé à participer à la défense stratégique de l'Amérique du Nord, mais il a été confronté à une opinion publique hostile. Cette situation, conclut l'auteur, a forcé le gouvernement libéral minoritaire à sacrifier ses relations avec les États-Unis.
Le dernier chapitre reprend le thème de l'ambiguïté de la politique du gouvernement Chrétien face à la guerre en Irak. Les auteurs y analysent la marge de manœuvre que conserve le Canada face aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001. Ce chapitre reprend plusieurs éléments développés dans les chapitres précédents. Il décrit l'ambivalence, ou plus précisément le couple attirance-répulsion qui caractérise la relation du Canada avec les Etats-Unis, ainsi que la culture de l'ambiguïté qui en découle et traverse toute la politique étrangère canadienne. Ce chapitre examine les positions défendues par les différents acteurs qui influencent de près ou de loin la formulation de la politique étrangère, soit les élus, la communauté épistémique et les journalistes, pour conclure que ces acteurs canadiens partagent une certaine “ nostalgie du passé ”. On regrette le temps où le Canada jouait un rôle important sur la scène internationale, ainsi que la diminution des ressources consacrées à la défense. Pourtant, les intérêts canadiens exigent une bonne entente avec Washington et, selon les auteurs, il est important de développer une diplomatie de créneaux spécifiques (niche diplomacy).
Les analyses proposées dans cet ouvrage mettent en évidence l'ampleur des défis que doit relever le Canada face aux réalités, non pas de l'environnement international comme le titre l'indique, mais plutôt de sa relation avec les États-Unis et ce, particulièrement en matière de sécurité. Ces défis n'ont d'autre solution que la coopération avec Washington. Soulignons en terminant que les contributions sont de qualité inégale et les répétitions, nombreuses. Cette publication pose néanmoins un diagnostic clair : le Canada est à l'heure des choix, ce qui reste tout à fait vrai avec l'arrivée du gouvernement de Stephen Harper à Ottawa.