Plus de trois décennies après la fin de l'apartheid, l'Afrique du Sud poursuit son changement et son insertion dans le système international. Son émergence à l'image de celle de la Chine, de l'Inde ou du Brésil le place davantage dans l'analyse des relations internationales. Ce livre de Moda Dieng, professeur adjoint à l’école d’études de conflits de l'Université Saint-Paul à Ottawa, s'inscrit dans cette perspective en nous présentant les aspirations et les limites de l'Afrique du Sud dans son insertion internationale, et plus précisément son engagement en Afrique.
Ainsi, à travers les chapitres qui composent cet ouvrage, Moda Dieng nous invite à une analyse approfondie de l'implication du pays de Nelson Mandela dans la résolution de conflits sur le continent africain.
Dans le premier chapitre, que l'on pourrait qualifier de contextuel, l'auteur nous livre un diaporama sur l’évolution des conflits et des guerres en Afrique. Des guerres de décolonisation au terrorisme qui le secoue actuellement, en passant par les guerres de pouvoir et les guerres civiles, l'Afrique a été le théâtre de différents types de guerres dont les conséquences sont toujours présentes. L'Afrique a connu très peu de guerres interétatiques, mais les nombreux conflits intraétatiques, en plus du terrorisme et de la criminalité transnationale demeurent de réelles menaces et c'est dans ce contexte que l'Afrique du Sud est appelée à jouer un rôle dans la sauvegarde de la sécurité et de la stabilité du continent.
Le deuxième chapitre est relatif à l'implication et à l'influence de l'Afrique du Sud dans les organisations africaines, qu'elles soient continentales comme l'Union africaine (UA) ou qu'elles soient régionales comme la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC). Après des décennies pendant lesquelles le pays a été à l’écart des affaires africaines et mondiales pour cause d'apartheid, cette recherche d'influence constitue l'illustration du soft power sud-africain. Si elle n'a pas connu que des succès, la diplomatie sud-africaine est toutefois active et reconnue en Afrique à travers notamment les organisations continentales et régionales.
Cet activisme diplomatique de Pretoria peut prendre divers modes à l'image de la médiation qui est au cœur du troisième chapitre et comme le souligne Moda Dieng, « ce mode s'inspire de la façon dont la transition sud-africaine a été conduite avec succès » (71). À travers les médiations dans les crises de la République démocratique du Congo (RDC), du Burundi et de la Côte d'Ivoire, l'auteur analyse la politique de médiation sud-africaine qui a été globalement saluée et qui s'opère davantage dans un cadre multilatéral et avec plus ou moins de succès.
Dans le quatrième chapitre, l'auteur s'intéresse à un autre cas particulier de la médiation sud-africaine, à savoir la crise au Zimbabwe. Contrairement aux cas de la RDC, du Burundi et de la Côte d'Ivoire, la médiation de Pretoria dans la crise zimbabwéenne a essuyé des critiques internationales. L'auteur souligne que la position que les autorités sud-africaines appellent un « engagement constructif » (105) et qui est jugée conciliante par rapport au président Robert Mugabe, ne favorise pas une issue à la crise et elle est contraire aux valeurs du parti qui a mené la lutte contre l'apartheid, l'ANC (African National Congress).
Comme présenté dans le cinquième chapitre, un autre outil de l'engagement sud-africain en Afrique est la participation à des opérations de maintien de la paix. Jusqu'en 1998, la médiation était le principal instrument d'intervention de la diplomatie sud-africaine dans le continent. L'idéologie de « la renaissance africaine » (111) de la présidence de Thabo Mbeki ainsi que les aspirations continentales (devenir la principale puissance africaine) et internationales (devenir membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies) ont jeté les bases de l'engagement dans 14 missions de maintien de la paix entre 1999 et 2010. Toutefois, l'auteur rappelle que cet engagement souffre de divers maux comme la faiblesse de sa participation (par rapport à celle d'autres pays comme l’Éthiopie ou le Sénégal), des ressources limitées et une armée problématique.
Et comme on peut s'y attendre concernant l'action d'un État hors de ses frontières, l'engagement de l'Afrique du Sud en Afrique se heurte à la politique extérieure d'autres États. C'est ce que nous rappelle Moda Dieng dans le sixième chapitre lorsqu'il nous présente les différends de l'Afrique du Sud avec le Nigeria, puissance régionale, voire continentale, avec la France, ancienne puissance coloniale toujours active en Afrique. L'auteur précise que ces différends s'articulent autour d'enjeux économiques, stratégiques, symboliques, idéologiques et linguistiques.
Le dernier chapitre de l'ouvrage s'apparente à une analyse critique de l’évolution des enjeux prioritaires de la diplomatie sud-africaine. L'auteur fait ainsi état d'un « revirement diplomatique de Pretoria » (149) avec un engagement qui est passé d'une vision libérale et idéaliste à une vision « libérationniste » (149) et répondant à la realpolitik pour la sauvegarde de l'intérêt national.
Somme toute, dans un contexte où l'action des puissances émergentes attire de plus en plus l'intérêt des chercheurs en science politique, l'ouvrage de Moda Dieng trouve toute sa pertinence. Il nous plonge dans un sujet pertinent, à savoir la place de l'Afrique du Sud dans ce que l'on pourrait appeler son pré carré naturel, à savoir le continent africain et plus particulièrement l'Afrique australe. On pourrait juste regretter que l'auteur n'aborde pas davantage l'engagement (ou non) de l'Afrique du Sud dans la lutte contre l'une des principales menaces à la paix et à la sécurité en Afrique (et dans le monde) : le terrorisme.