La sociologue Michelle Landry nous propose, avec ce livre, une « synthèse de l'histoire politique de l'Acadie du Nouveau-Brunswick » qui « passe tour à tour les moments, les projets et les réformes qui ont façonné et participé à forger les conditions d'existence actuelles des Acadiens du Nouveau-Brunswick » (3). Le projet peut sembler ambitieux, surtout venant d'une jeune chercheure (il s'agit d'une version remaniée de sa thèse de doctorat). On aurait pu craindre que l'ampleur de la tâche ne prive l'ouvrage de profondeur ou de contributions originales. Heureusement, ce n'est pas le cas.
La cohérence de l'ouvrage découle d'un fil conducteur bien défini et bien respecté : l'auteure veut savoir quels sont les « piliers culturels et symboliques » et les « configurations politiques » qui ont permis la reproduction sociale de l'Acadie « malgré le fait que les Acadiens n'aient jamais contrôlé d’État et qu'ils soient éparpillés sur un vaste territoire » (1). Elle tente par la suite de démontrer que « l'organisation sociopolitique des Acadiens », quoique changeante, a su à tout moment conférer au groupe une influence considérable sur son environnement ainsi que les moyens de « définir ses frontières » et de « maintenir une certaine cohésion sociale » (2).
Cette histoire, couvrant la période allant de la dénommée « Renaissance acadienne » de la deuxième moitié du XIXe siècle aux Congrès mondiaux acadiens des années 1990 et 2000, est déployée dans « un nouveau découpage » qui vise à en finir avec la périodisation binaire « habituellement sous-entendue » en histoire acadienne, autour de l'année 1960. Tout en doutant de la prévalence de la conception dichotomique décriée par l'auteure, on peut reconnaître que les six chapitres proposés ici ont bel et bien une cohérence conceptuelle et qu'ils mettent en lumière certaines particularités méconnues de l'histoire acadienne, telle que l'arrivée tardive d'un cléricalisme en bonne et due forme (51).
Le premier chapitre esquisse la genèse de la société acadienne, notamment lors des premières « conventions nationales » des années 1880 ; le deuxième décrit la mise en place des piliers du réseau institutionnel acadien entre 1890 et 1919 ; le troisième relate la montée en puissance de l’Église et l'arrivée des nouvelles stratégies politiques, plus discrètes durant l'entre-deux-guerres. Les chapitres quatre et cinq révèlent comment, à partir des années 1960, l'interventionnisme étatique croissant force l'organisation sociopolitique des Acadiens à changer de structures et de tactiques. Finalement, le dernier chapitre examine les plus récentes tentatives en matière de « gouvernance » de l'espace acadien ainsi que la « résurgence d'une définition ethnique de l'acadianité » (7).
L'un des principaux apports du livre est qu'il place le cas acadien en relation étroite avec une bibliothèque bien choisie de textes en sociologie politique, notamment mais pas exclusivement avec les sociologies du nationalisme. Ce bagage théorique, Landry l'utilise pour digérer, organiser et conceptualiser une quantité impressionnante d'informations tirée d’études historiennes et sociologiques portant sur l'Acadie, informations qui sont intégrées avec succès dans une trame narrative et analytique propre à l'auteure.
Cette histoire est bien documentée, même en ce qui concerne les thèmes un peu accessoires à la thèse de l'auteure. Les études sur lesquelles reposent l'ouvrage, si elles ne sont pas exhaustives, sont généralement les meilleures. Aussi, l'auteure connaît suffisamment cette histoire pour prendre position sur des enjeux historiographiques importants.
Malheureusement, l'auteure n'a pas tenté de pallier aux manques de l'historiographie par la consultation de documents historiques (mis à part quelques articles de journaux, rapports et mémoires, surtout pour les années depuis 1980). C'est dommage ; une exploration même très sélective des archives aurait pu bonifier substantiellement les passages sur certaines périodes moins bien documentées, telles que les années 1910–1950. Voilà qui a mené à un ouvrage aux chapitres de qualité inégale.
Le premier chapitre est sans contredit le meilleur. La sociologue y examine de manière stimulante les nombreux « possibles » offerts par la conjoncture, se demandant pourquoi les Acadiens se sont forgés une identité distincte plutôt que de se fondre dans une identité plus large, soit-elle canadienne-française, catholique ou simplement « maritimienne ». Pour répondre à la question, elle effectue une admirable synthèse des thèses concernant la « renaissance acadienne », mais aussi des analyses portant sur les effets discursifs du conte Evangeline et des écrits de Rameau de Saint-Père.
Les chapitres 2 et 3 sont nettement plus menus, plus laconiques et, du coup, plus schématiques. Le texte devient plus descriptif, moins analytique et moins profond. Ces chapitres demeurent toutefois de bonnes entrées en matière et suffisent à assurer la cohésion globale de l'ouvrage. Les chapitres 4, 5 et 6 sont plus réussis ; Landry, visiblement plus à l'aise, y entre en dialogue avec les thèses de nombreux auteurs, contestant notamment l'interprétation de J.Y. Thériault voulant que l'Acadie ait « perdu sa capacité d’être le lieu organisateur de la société […] au profit des institutions étatiques » depuis les années 1960 (67).
Cet ouvrage est utile à plusieurs égards. Comme introduction, il offre un très bon survol au champ de l'histoire politique acadienne, auquel l'ouvrage sait donner une unité. Il n'existe aucun équivalent. Comme ouvrage de référence, il procure un accès facile aux acteurs, idées et ouvrages qui comptent (il est toutefois dommage que les PUL n'aient pas jugé bon d'y ajouter un index). Finalement, il dépeint bien l’état actuel des recherches dans ce champ, et saura orienter les jeunes chercheures vers des idées de recherches originales.