Les éditeurs tentent de combler un vide académique concernant les explications des ressorts et des mécanismes contestataires des nationalismes minoritaires spécialement présents lors de la période de « 1968 ». En effet, il semble que ces littératures sur les divers nationalismes ne discutent pas entre elles, occasionnant ainsi un cloisonnement académique et analytique. Les éditeurs précisent « qu'une sorte de fossé épistémologique semble exister entre les études sur les minorités régionales et les nationalismes régionaux et celles sur les peuples autochtones » (5). De plus, cet angle mort se voit comblé dans cet ouvrage historiographique où un premier bilan permet de décloisonner la littérature sur les nationalismes minoritaires, s'axant plus particulièrement sur l'interdisciplinarité et l'intégration d’éléments novateurs tels que la sélection des études de cas. « La métaphore de la vague nationale a pour objectif de mettre en valeur l'idée que les années 1968 correspondent à une période de fort dynamisme, de progression généralisée des revendications identitaires » (6).
Qui plus est, cette métaphore de « vague nationale » s'enracine dans une continuité suivant l'explication soulignée par Benedict Anderson ; une 5e vague permettrait de combler ce vide académique. En effet, les mouvances minoritaires se sont largement inspirées de la 3e vague de décolonisation. Ainsi dites, ces mouvances semblent alors vouloir décoloniser l’État central. L'objectif clé de l'ouvrage est donc d'identifier ces ressorts et ces dynamiques communs permettant d'expliquer cette 5e vague « nationale ». De l'Occitanie à la Wallonie en passant par la Nouvelle-Zélande et le Groenland, trois dimensions permettent de mieux souligner l’éveil national des communautés minoritaires. Dans un premier temps, les changements socio-structurels liés à l'impact des Trente Glorieuses redéfinissent les contours des demandes des nations périphériques, ainsi ces dernières se voient passer d'un monde traditionnel à un monde moderne résultant alors à la restructuration de leurs référents traditionnels. Ces référents sont ensuite transformés par le biais des tendances d'urbanisation, de sécularisation, et d'un essor de la scolarisation. Dans un second temps, on ressent bien cette 3e « vague » de décolonisation dans les nations périphériques. Ainsi, un « lien implicite entre décolonisation et lutte contre l'impérialisme prend symboliquement la forme du transfert du champ lexical de la décolonisation à l'intérieur même des États occidentaux » (28). Il existe une transformation structurelle de l'espace central et de ses périphéries. Dans un troisième temps, on s'attarde alors sur la redéfinition des espaces sociopolitiques en termes de recadrage idéologique ayant « permis la contestation de la doxa nationale étatique dans les territoires périphériques du monde occidental » (30).
Qui plus est, cet ouvrage se distingue des monographies classiques portant sur l’étude des mouvements minoritaires. En effet, sa force centrale réside dans sa capacité à illustrer, à travers les cas d’études, son concept clé de « colonisation interne ». Ainsi, les éditeurs définissent une « colonie interne » comme étant une colonie existant à l'intérieur même des frontières de l’État ayant colonisé. Les implications politiques du concept sont évidentes : en définissant les relations interrégionales comme « coloniales », les dirigeants nationalistes ont tenté d'inspirer un soutien populaire aux mouvements visant à promouvoir une plus grande autonomie, voire une sécession pure et simple. Au premier coup d’œil, ce concept permet alors de joindre des dynamiques politiques particulières et divergentes en une analyse comparée mettant en lumière le discours commun les transcendant, soit un discours où les mouvements nationalistes « tent[ent] de construire une “voie nationale” propre au socialisme, en adaptant les modèles des pays étrangers à sa situation sociopolitique » (43).
Ainsi, en optant pour la Sardaigne — exemple rarement mis de l'avant au sein de cette littérature — il est possible de souligner en quoi les diverses mouvances sardes s'inscrivent elles aussi au sein des dynamismes européens indépendantistes de gauche, précisant alors que les mobilisations sardes se rattachent à des repères communs de la gauche ainsi qu’à ces variantes particulières telles que la militarisation de son territoire. Encore, qu'il s'agisse de la Sardaigne ou du Groenland, les chapitres détaillés permettent de bien comprendre, connaître, et saisir les divers mécanismes et concepts traversant ces mouvements nationalistes périphériques. De plus, les chapitres ne tiennent pas seulement compte des faiblesses et des forces de ces mouvements, mais ils démontrent aussi bien une illustration de l’évolution des processus auxquels les mouvements se rattachent ainsi que les changements effectués afin de s'adapter au nouveau contexte, qu'il soit tant économique, social, ou politique. Encore, la sélection des cas est en discussion croisée avec les réalités des peuples autochtones en plus de transcender la discussion des mouvances indépendantistes à l’émergence d'un nationalisme « francophone » qu’à la question du Québec (ici, inclusion de l'Acadie). Par contre, en dépit de ses forces dont le cœur même de l'ouvrage se voit fort intéressant et informatif pour le lecteur, on laisse toutefois glisser certaines faiblesses qui se doivent d’être surlignées.
Donc, concernant le point de départ de l'analyse, il aurait été intéressant de comprendre, plus en détail, pourquoi les éditeurs ne se limitent qu’à expliquer les quatre vagues mises de l'avant par Benedict Anderson, et le pourquoi de ne pas souligner et discuter d'autres approches sur le sujet tel que le concept de « petites nations ». Comme le mentionnent Cardinal et Papillon (Reference Cardinal and Papillon2011), la renaissance du concept s'explique en grande partie par « l'intégration économique régionale et le processus de redéfinition des échelles de la politique associées à la mondialisation » (76). Pour ainsi dire, une plus large discussion sur les théories postcoloniales aurait été appréciée par les nouveaux chercheurs intéressés par la question. L'objectif de l'ouvrage est de dépasser les descriptions étroites et européennes du colonialisme et donc de procéder à une analyse du colonialisme prenant en compte les conditions des colonisés comme point de départ de l'analyse. Ainsi, le chapitre conclusif aurait permis de revenir sur les éléments clés soulignés par les divers auteurs de l'ouvrage en plus de mettre en lumière comment cet ouvrage comparatif permet de remettre en question la littérature sur le « colonialisme interne ».
Néanmoins, l'ouvrage collectif répond clairement à son objectif en soulignant comment les acteurs politiques ont su mobiliser un large éventail de définitions rattaché au concept de colonialisme interne afin d'engager les communautés colonisées. En somme, l'approche présentée par les éditeurs permet de repenser la façon de conceptualiser ces mouvances à l'intérieur d'un réseau transnational, et où l'ouvrage collectif permet de souligner l'importance de combiner les diverses littératures afin d'ajouter un plus valu sur la revitalisation du concept pas seulement dans l’étude des communautés autochtones, mais aussi à une application à d'autres cas d’études.