Dans ce livre, Frédérick Guillaume Dufour démontre que la sociologie historique a dépassé les frontières de la sociologie en soi et est devenue un aspect important dans plusieurs disciplines, quoique sa motivation originale–de retourner à des questions historiques et de situer les faits sociaux dans leur contexte historique–est restée intacte et s'est développée davantage par l'intégration de questions soulevées par l'histoire mondiale. Cette récente évolution de la sociologie historique rend nécessaire l'ouvrage de Dufour : tant le lectorat initié que débutant en sociologie historique profitera de cet outil pour développer une réflexion évaluative sur ce qu'est le projet de recherche de la sociologie historique. Dufour nous donne une appréciation critique et compréhensive de la littérature et des plus récentes recherches en sociologique historique. Nous espérons que l'ouvrage puisse être traduit puisque le livre ne trouve pas d’équivalent dans la littérature anglophone. En français le livre donne, pour la première fois, un aperçu de la sociologie historique d'une manière englobante et non seulement centré sur un aspect ou une discipline en particulier. En plus, le livre fait l'effort d'inclure une discussion du contexte canadien.
Ce qui fait de ce livre une contribution unique est que deux approches généralement considérées comme opposées, le marxisme et l'approche wébérienne, sont traitées de manière plus ou moins égale. De plus, Dufour présente une argumentation convaincante quant à l'inclusion d'Adam Smith comme auteur central. Cette généalogie masculine de la sociologie historique n'empêche toutefois pas Dufour d'aborder une variété d'approches féministes lorsqu'il discute de questions concernant la famille, la propriété privée ou le développement de l’État. Outre cette réflexion, le livre introduit la problématique du développement et du sous-développement européens–enjeu fondateur de la sociologie historique, débutant avec le questionnement de Max Weber sur la relation entre le calvinisme et le développement du capitalisme. En contrepartie, Dufour souligne le fait que cette question doit maintenant être traitée en tenant compte du contexte colonial et de la formation des empires globaux. En fait, un argument central du livre est le fait que la sociologie historique doit s'ouvrir à l'histoire mondiale–l'idée qu'une compréhension de l'histoire centrée sur l'Europe n'est plus adéquate étant donné les avances faites par l'analyse comparative des États et des sociétés à l’échelle globale. Ce qui distingue l'ouvrage est donc une vision pluraliste de la sociologie historique comme un « carrefour de trajectoires disciplinaires et antidisciplinaires en sciences sociales. Entendue dans son acception large, celle-ci est le lieu où convergent des chercheurs œuvrant en sociologie (politique et culturelle), en économie institutionnaliste, en politique comparée, en relations internationales, en anthropologie économique, et dans différentes branches de l'histoire sociale, démographique, économique, politique et des idées politiques » (3, italiques dans l'original).
Le premier chapitre nous explique comment la sociologie historique a réémergé en réaction à la sociologique fonctionnaliste de Talcott Parsons. Ce chapitre introduit les figures fondatrices de la sociologie historique contemporaine, telles que C. Wright Mills, Barrington Moore, Charles Tilly, Theda Skocpol et autres, qui ont tous à leur manière repris un ensemble de questions historiques initialement soulevées par Marx et Weber. Le second chapitre discute des méthodes diverses, tant qualitative que quantitative et idéographique, et conclut sur une discussion de la méthode comparative.
Le troisième chapitre présente un aperçu des relations de classes, des relations sociales de propriété et des relations familiales, incluant Marx, Weber et les approches féministes. Ensuite, le quatrième chapitre est consacré à la question du pouvoir social et des processus de formation étatique. Ici, on en apprend sur la relation entre l’État patrimonial et le patriarcat, même si le chapitre se concentre sur une discussion à propos des différentes expressions historiques du concept de souveraineté. Le cinquième chapitre approche la question de transition au capitalisme, tel qu'expliquée par Weber, Smith, Wallerstein et Brenner. Ce chapitre démontre que même au sein de la tradition marxiste, il y a absence de consensus concernant la question de la transition. Ce survol est suivi d'une discussion des révolutions et conflits sociaux (chapitre 6) et une analyse des différentes catégories de régime politique (chapitre 7) qui inclut une section sur la nature historique et changeante de la notion de démocratie. Une discussion des différentes approches théoriques du nationalisme (chapitre 8), situées entre Marx, Weber et leurs adeptes, conclut l'ouvrage.
Nous proposons trois recommandations concernant une réédition future : premièrement, un index faciliterait grandement la navigation à travers l'ouvrage. Par exemple, des auteurs comme Max Weber ou Charles Tilly sont discutés dans la majorité des chapitres, sans que cela soit évident à partir des sous-titres. Deuxièmement, toutes les citations devraient être traduites et pas seulement la majorité d'entre elles. Finalement, est absente du livre la récente transition du keynésianisme au néolibéralisme : on aimerait bien comprendre cette transformation majeure au sein du capitalisme au-delà de la question de son émergence. Pour conclure, cet ouvrage nous introduit à un large éventail de littérature d'une manière évaluative mais également substantielle. Pour cette raison, nous lui souhaitons un grand nombre de lecteurs, de traductions et d’éditions.