Le livre La répression des homosexuels au Québec et en France. Du bûcher à la mairie de Patrice Corriveau porte sur l'évolution de la doctrine juridique des mœurs homoérotiques. Issu d'une thèse de doctorat en sociologie, le livre est un questionnement sur les origines de la répression sociale et légale de l'homosexualité. Concrètement, l'auteur analyse et compare les discours dominants en France et au Québec en ce qui concerne l'homosexualité (12). Au moyen de la méthode historico-comparative, l'auteur tente de retracer l'évolution des mœurs homosexuelles. Il souligne «l'évolution de la répression juridique des mœurs homoérotiques en France et au Québec, du XVIIè siècle à aujourd'hui» (11). S'appuyant sur la méthode quantitative, Patrice Corriveau exploite plusieurs statistiques pour corroborer sa thèse : l'oppression des homosexuels à travers l'histoire. Ce livre est le fruit des recherches soutenues par une expérience personnelle de l'auteur face à l'homophobie, une expérience vécue à Montréal un certain «jeudi soir de juin 1997» (9).
L'ouvrage est divisé en cinq chapitres, dont le premier est une abondante recherche sur les mœurs homoérotiques de l'antiquité grecque jusqu'au dix-septième siècle. Qu'en était-il de l'homosexualité avant le dix-septième siècle en Europe? Les quatre derniers chapitres portent sur l'évolution de l'homosexualité en France et au Québec. En dépit du fait que ces deux sociétés ont une histoire commune, la répression de l'homosexualité y a évolué de manière différente.
Les origines des mœurs homoérotiques ne peuvent être établies avec certitude. Toujours est-il qu'elles remontent à l'Antiquité. Dans la Grèce antique, «ces comportement sont ouvertement pratiqués» (19). Dans certaines cités, «telles Crète et Sparte (…)», l'homosexualité est érigée en institution officielle (20). La même attitude est observée dans l'Empire romain. «Selon toute vraisemblance, la gestion des mœurs homoérotiques chez les Anciens consiste surtout à réguler la sexualité à l'intérieur de certaines limites…» (25). Avec l'ère chrétienne, l'homosexualité vacille entre la tolérance et la répression. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différents comportements : l'Église catholique a son propre droit, le droit canonique. D'où la nouvelle appellation des mœurs homoérotiques : la sodomie, «crime contre nature» (35–36). Qu'en est-il de son évolution en France et au Québec?
Deux faits méritent d'être soulignés avec l'auteur. D'abord, le fait qu'avec le bûcher on brûlait et le criminel et les minutes du procès (44). Ensuite, le fait que ce crime contre nature ne pouvait que discrètement être puni pour éviter la «contagion». C'est là le «paradoxe du crime innommable», «nefendum crimen» (51). La sodomie, en France comme au Québec, devient un crime de lèse-majesté divine, «un crime contre la moralité et non un crime contre la personne» (51). Le système de justice de la Nouvelle-France n'est que le reflet de la mère Patrie. Le paradoxe est grand face au comportement homoérotique. Le pouvoir judiciaire et les autorités ecclésiastiques essayent à la fois de punir et de faire en sorte que ce genre de crime ait une publicité bien restreinte. Entre la Nouvelle-France et la France, il y a pourtant une différence de taille. Il convient de souligner qu'en Nouvelle-France, la religion domine l'espace public, alors que dans la mère Patrie, depuis la Révolution française, elle relève de la sphère privée. Ainsi, en Nouvelle-France, la sodomie est une question principalement religieuse, tandis qu'en France, c'est une affaire judiciaire (61–62). Les procès en France font état de la corruption de la jeunesse, alors qu'en Nouvelle-France, on ne parle «ni de viol, ni de corruption de la jeunesse» (63). Mais qu'est-ce qui explique qu'en Nouvelle-France, la répression ne soit pas si flagrante?
L'auteur souligne le mode de vie en Nouvelle-France, qui est majoritairement rural, en comparaison de l'urbanisation de la France. Toutefois, le sodomite, le pédéraste ou «l'inverti» y est toujours considéré comme source des malheurs de la société et ce, malgré le fait que le code pénal de 1791 décriminalise «les crimes contre nature» (72). En France, on va vite passer de l'ordre judiciaire à l'ordre médical : l'homosexuel devient un cas médical, «un pervers sexuel». On parle alors «d'un instinct sexuel normal, par nature finalisé et focalisé vers la copulation hétérosexuelle» (78). Ainsi, le sodomite devient en France un «pédéraste», un «inverti». À ce stade, «du rien dire, on passe au tout dire» (Michel Foucault, cité par l'auteur, 79). Le pédéraste devient ainsi un cas pathologique dont il faut parler pour le guérir et prévenir la société. «Le Code pénal, le Code d'instruction criminelle (article 44) et le Code civil (article 81) français officialisent le rôle du médecin expert dans les cours de justice et l'autorisent à déceler les traces de la démence et de la monomanie» (80). En Nouvelle-France, devenue depuis 1760 «la province of Québec», l'influence de l'Église donne le ton. Cette dernière est omniprésente. La «répression du péché contre nature» se fait toujours sentir et l'absolution de ce péché est réservée à l'évêque (99–100).
Entre 1791 et 1942, le système pénal français, soutient l'auteur, ne punit pas «explicitement les comportements homoérotiques» (101). Mais cela ne signifie pas la fin de la répression. Le pédéraste est toujours traqué par la police, «scruté sous toutes ses coutures par la médecine et condamné pour diverses raisons par les tribunaux» (101). Au Canada français, par contre, le discours clérical demeure prédominant. En 1892, la disposition anglaise de crime de grossière indécence est adoptée dans le code criminel canadien (103). Et même s'il y a un certain adoucissement du droit pénal canadien, la pratique judiciaire et la répression policière sont toujours bien présentes dans la société québécoise. Une chose reste certaine, selon l'auteur, soit «l'association entre la répression des comportements homoérotiques et les crises économiques que subissent les nations» (111). Durant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, avec la dénatalité, en France, la répression contre l'homosexualité est devenue de plus en plus vive, et ce à partir de 1942 (136). Dans la société québécoise, les années soixante, avec la «Révolution tranquille», voient les choses évoluer différemment. L'homosexualité est de plus en plus tolérée, même si «le crime de grossière indécence sert principalement à incriminer les homosexuels» (123). On assiste à un transfert du sodomite à l'homosexuel pédophile et au criminel-malade (141–142).
Dans le dernier chapitre, l'auteur met en lumière l'évolution du droit pénal en France et au Québec en ce qui concerne les comportements homoérotiques. En France, après les années de tolérance, l'homosexualité se trouve sur la «liste des fléaux sociaux» (143). Mais il faut souligner avec l'auteur que vers la fin des années soixante, un courant révolutionnaire et libertaire traverse les sociétés industrialisées : «la révolution sexuelle» (143). Les homosexuels commencent à sortir des placards. Il y a eu «New York, 27 juin 1969» (144). Les associations «gaies et lesbiennes voient le jour en Occident» (144). Au niveau médical et psychiatrique, une remise en question des théories associant l'homosexualité à une pathologie remet en doute toutes les vieilles théories médicales. Les législateurs, au nom des droits fondamentaux de la personne, militent de plus en plus en faveur de la non-discrimination sexuelle, raciale et religieuse. Mais au même moment survient la crise du sida de 1980 (145–146), une nouvelle crise dont les homosexuels sont encore des boucs émissaires. Mais cela n'a pas pu empêcher la marche qui a conduit à la reconnaissance des droits des homosexuels. Au Québec, l'adoption, en 1977, de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne devient une grande première. «Cette loi protège explicitement les homosexuels contre toutes les formes de discrimination liées à l'orientation sexuelle» (157). Et le 20 juillet 2005, le Canada est devenu le «quatrième pays (…) à autoriser les mariages entre conjoints de même sexe» (168). En France, la situation est allée en s'améliorant, de la dépénalisation de 1982 au Pacte civil de solidarité (Pacs) de 1999 (183–184).
Que dire de ce livre, si révélateur? Deux choses : d'abord, l'auteur a accompli un travail de titan. Tout en reconnaissant les limites au niveau documentaire, pour un sujet «iconoclaste», l'auteur a exploité les recherches en sa possession pour nous mettre au courant de l'évolution de la doctrine pénale sur les mœurs homoérotiques. Ensuite, il a fait preuve d'une grande objectivité pour un sujet si délicat. On reconnaît là un travail savant. Les sources sont bien mentionnées et exploitées.
Toutefois, l'auteur aurait eu beaucoup à gagner s'il avait davantage utilisé certains commentaires du droit canonique en ce qui concerne le Québec, où l'influence de l'Église catholique fut très marquée jusqu'aux années soixante. Aussi, dans la partie historique, des redites alourdissent la lecture du livre.