Le premier ministre François Legault s'est engagé à réformer le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT) avant la fin de son mandat. Mais au vu des multiples tentatives de réformes avortées par les gouvernements québécois depuis les années 70, on peut légitimement se demander si cette promesse a de véritables chances d'aboutir. Dans La réforme du mode de scrutin au Québec : trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion, Julien Verville, professeur de science politique au collégial, se penche sur cette question à travers une analyse approfondie de l'expérience québécoise et du projet de loi n°39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin, déposé le 25 septembre 2019 par la Ministre Sonia LeBel.
Deux objectifs guident l'ouvrage. Tout d'abord, Julien Verville dit vouloir expliquer pourquoi les gouvernements québécois n'ont pas réussi à réformer le SMUT jusqu’à ce jour. L'auteur souhaite ensuite démontrer en quoi la promesse de François Legault est elle aussi confrontée à de sérieux obstacles.
D'un point de vue méthodologique, l'auteur s'intéresse à l'expérience des pouvoirs des partis à travers cinq gouvernements (Bourassa 1970–1973 ; Lévesque 1976–1981 et Lévesque 1981–1985 ; Landry 2001–2003 et Charest 2003–2007). Dans son analyse des différentes réformes, Julien Verville s'appuie sur des entretiens avec des responsables politiques, sur des délibérations du Conseil des ministres, mais aussi à partir d'informations recueillies auprès d’Élections Québec.
L'ouvrage est constitué de neuf chapitres. Dans le premier, l'auteur définit le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT). Selon lui, la distorsion électorale et le manque de représentativité en sont les principaux inconvénients. Dans son deuxième chapitre, l'auteur fait un tour d'horizon des réformes électorales ailleurs au Canada et montre que ces tentatives se sont souvent soldées par un échec. Dans les chapitres 3 à 6, l'auteur décrit plus abondamment l'expérience des gouvernements québécois, entre 1970 et 2007. L'absence de consensus, la crainte d'une instabilité gouvernementale, et les traditions politiques apparaissent comme les principales sources de blocage de la réforme du SMUT au Québec.
Dans le septième chapitre, l'auteur identifie les idées (le besoin représentativité), les intérêts (remporter les élections), et les institutions (le poids des traditions) comme les facteurs explicatifs les plus empruntés dans la littérature pour comprendre l’échec ou la réussite d'une réforme électorale. Mais l'argument central de l'auteur est que dans le cas du Québec les intérêts partisans représentent toujours le plus grand obstacle à la réforme du mode de scrutin.
Julien Verville soutien d'ailleurs cet argument dans le chapitre 8 pour expliquer le retard de la réforme électorale sous le gouvernement Legault. Le report de la mise en œuvre de cette réforme aux élections de 2026 et l’émergence de la double condition de consensus politique (accord entre trois des quatre partis de l'Assemblée nationale) et social (la tenue d'un référendum) peuvent, selon l'auteur, n’être expliqués que par la volonté, pour les élus caquistes, de jouer le temps et de préserver le bénéfice électoral que le mode de scrutin actuel leur a déjà offert lors de l’élection générale de 2018.
Dans le chapitre 9, l'auteur présente plus en détail le projet de loi n°39 du gouvernement et y dénonce certaines zones grises. Selon lui, le mode de scrutin mixte compensatoire régional qui y est proposé serait une solution, mais le projet gouvernemental n'irait pas assez loin. Par exemple, la division du territoire en 17 régions électorales ne ferait selon l'auteur que renforcer la place des partis dominants dans les régions administratives peu peuplées.
Dans l'ensemble, l'auteur brosse dans son analyse historique un portrait rationaliste des dirigeants politiques en soutenant que « les gouvernements québécois n'ont jamais modifié le scrutin majoritaire uninominal à un tour parce que cela n’était tout simplement pas dans leur intérêt de le faire » (p. 327).
L'ouvrage atteint d'autre part les objectifs annoncés. Bien rédigé et accessible, le lecteur peut comprendre le fonctionnement et les effets découlant du scrutin majoritaire uninominal à un tour. En outre, l'analyse que fait l'auteur permet de mieux comprendre les enjeux sous-jacents du processus de réforme électorale en cours sous le gouvernement Legault.
La principale force de ce livre est que Julien Verville se base sur des données originales et inédites. Originales par son travail de recherche historique des réformes électorales se basant sur les Mémoires des délibérations du Conseil exécutif, sur le Centre d'archives de la Bibliothèque, et sur les Archives nationales du Québec. Inédites également puisque l'auteur s'aide d'une demande d'information faite à Election Québec qui permet au lecteur d'accéder à des informations qui n'avaient pas encore été publiées et qui portent sur le processus de réforme du gouvernement Legault.
En revanche, lorsque l'auteur soutien que l'intérêt partisan crée des dissensions au sein des partis gouvernementaux et que cela engendre généralement un abandon de la réforme électorale, cela induit que l'avenir des réformes se joueraient principalement au sein des caucus. Or, le caractère secret du caucus ne permet pas de rendre tout à fait compte de ces dissensions. Si l'auteur parvient à prouver l'existence et l'influence qu'ont pu avoir les désaccords internes des anciens gouvernements sur les processus de réformes à l'aide de déclarations ou par des entretiens, cet exercice est moins évident pour l'analyse du projet n°39 : difficile d'entrer dans les coulisses d'une réforme encore en cours.
Finalement, ce livre est un incontournable pour les personnes désireuses de mieux comprendre le processus de réformes du mode de scrutin au Québec et invite spécialistes et autres citoyens à se (re)saisir du sujet. De plus, l'ouvrage s'inscrit dans un contexte de déficit démocratique et de crise de légitimité qui justifie encore davantage l'intérêt d’étudier les tenants et aboutissants des règles électorales. Ce livre arrive à point nommé pour participer à la discussion collective qui s'accentuera d'ici le 3 octobre 2022, date à laquelle est normalement prévue le référendum québécois sur la réforme du mode de scrutin.