Fruit d'échange d'idées entre les meilleurs spécialistes espagnols de différents domaines concernés, l'ouvrage La politique culturelle en Espagne met en valeur quelques thèmes importants à l'égard de ce sujet. Point essentiel, les auteurs se fixent comme objectif d'aborder les politiques culturelles sous plusieurs angles complémentaires : leur histoire, leurs divers secteurs et territoires, et leurs perspectives actuelles.
D'abord, Xan Bouzada analyse le chiasme espagnol et la gouvernance plurielle de la culture. Dans le but de nous faire comprendre le thème de la gouvernance dans ce contexte, l'auteur met en question l'originalité spatio-temporelle de la politique culturelle espagnole. D'un point de vue sociohistorique, Bouzada met l'accent sur l'histoire des relations entre l'Espagne et la France. Il avance que la politique culturelle en Espagne a progressivement donné naissance à un modèle qui s'inscrit en rupture relative avec le modèle français et donne lieu ainsi à une gestion spécifique de la diversité qui le distingue également d'un réel modèle fédéral. Par le biais de la figure du chiasme, Bouzada parvient à mettre en lumière les différences entre les politiques française et espagnole et il explique le poids des politiques culturelles des Communautés autonomes face à celles de l'État en Espagne, comparativement au niveau de décentralisation qui définit encore le système actuel français. Cependant, l'explication de l'auteur n'est pas facile à comprendre si l'on n'a pas une bonne connaissance du sujet abordé. Qui plus est, l'auteur semble très intéressé à étudier les influences mutuelles entre les politiques culturelles en Espagne et en France, mais n'explique pas pourquoi l'exemple d'autres pays ou territoires européens plus ou moins influents, telles la Bretagne, l'Allemagne et l'Italie, ne pourrait représenter des comparaisons intéressantes.
Pau Rausell présente le chapitre Économie et politique du patrimoine. L'auteur s'intéresse à l'analyse des politiques du patrimoine. Il met notamment l'accent sur les outils d'intervention du gouvernement et les perspectives d'action publique. Pour ce faire, Rausell s'attarde à deux perspectives instrumentales différentes, avec des finalités distinctes : les études d'impact économique des biens culturels et les études sur la disposition au paiement. Bien que source d'inspiration sur le sujet, Rausell accorde plus d'attention à la description des instruments de politiques du patrimoine sans pourtant tenter une classification de ceux-ci. Rausell, croyons-nous, aurait dû parfaire notre compréhension du sujet de l'action étatique dans ce contexte, tout en présentant une typologie des instruments des politiques du patrimoine. Celle-ci pourrait comprendre les instruments substantifs, qui indiquent le degré de l'intervention du gouvernement dans la société, et les instruments procéduraux, qui accentuent le degré d'influence du gouvernement sur les membres de la société civile et sur les citoyens (Howlett et Ramesh 1995, 2003). Rausell aurait ainsi pu analyser où se situe exactement l'action publique espagnole.
Anna Villarroya analyse Les politiques du spectacle vivant en Espagne, leur cadre légal et leur dynamique d'évolution. L'auteure étudie ainsi la relation entre l'administration publique et le théâtre, la danse et la musique, qui a évolué au cours des vingt dernières années en Espagne. Villarroya réussit à bien évaluer les changements survenus dans les priorités du gouvernement populaire et socialiste depuis les années 1980 jusqu'au nouveau contexte de globalisation, mais elle ne tente pas de théoriser ces changements. Elle aurait pu proposer le modèle théorique qui a pour rôle de bien expliquer l'évolution de la relation entre les différents régimes politiques et l'intervention publique en matière de spectacle vivant, notamment par le biais de l'approche de «Path Dependency» (Pierson, 1993, 2000, 2004) ou de celle du «Punctuated Equilibrium Model» (Baumgartner et Jones, 1993). Un autre élément digne de mention dans l'étude de Villarroya concerne les variations territoriales dans la mise en œuvre des ressources et stratégies pour le spectacle vivant, en fonction des différentes Communautés autonomes. En outre, l'auteure a réussi à introduire des idées intéressantes tout en ayant recours aux données quantitatives, qui ont pour effet d'améliorer la compréhension du lecteur.
Dans son article intitulé Le soutien gouvernemental aux industries culturelles : intérêts domestiques et globalisation, Lluís Bonet analyse les politiques de soutien aux industries culturelles. L'auteur nous livre une analyse spatio-temporelle des politiques espagnoles de soutien aux industries culturelles, des secteurs classiques (livre, cinéma et audiovisuel) jusqu'aux industries émergentes (multimédia et Internet). L'évolution dynamique de ces politiques renvoie à trois facteurs : la nature de ce secteur qui produit et diffuse des biens et des services à caractère symbolique; la rapidité avec laquelle les technologies de l'information et de la communication bouleversent l'industrie culturelle; et la globalisation affectant ainsi non seulement les acteurs et les marchés culturels, mais également le contenu des politiques. L'auteur est parvenu à nous présenter le cas spécifique de l'industrie culturelle espagnole en mettant l'accent sur les économies de localisation et la concentration d'entreprises, et sur la globalisation des contenus. Bonet avance que l'élaboration d'instruments spécifiques de soutien et de stratégies différenciées, adaptés aux diverses réalités que l'on prétend soutenir, est la bonne réponse au paradoxe des intérêts domestiques et de la globalisation. À partir des données espagnoles, Bonet enrichit notre compréhension du processus de concentration des entreprises et de globalisation des contenus, tout en les situant dans le contexte européen et latino-américain. Par ailleurs, la lecture de cet article nous porte à nous demander si une analyse de la dimension méditerranéenne et des rapports avec le monde arabe, notamment après le Processus de Barcelone en 1995, pourrait s'avérer intéressante à présenter dans ce contexte.
Fernando Vicario retrace l'évolution des relations culturelles entre l'Espagne et l'Amérique latine depuis le franquisme jusqu'à la période contemporaine. L'auteur nous convainc que l'Espagne vient de changer radicalement de cap avec l'arrivée du gouvernement socialiste. Cet article représente une contribution considérable, dans la mesure où il parvient à présenter les ressorts et la recomposition d'un référentiel hispaniste tout au long de cette période d'étude. Qui plus est, l'auteur met l'accent sur l'émergence d'une politique ibéro-américaine fortement dépendante de l'agenda politique espagnol et articulée sur des intérêts industriels. Une analyse plus étendue des rapports entre l'Espagne et les États-Unis mériterait toutefois d'être faite.
Arturo Rubio propose un article intitulé Trente ans de ministère de la Culture en Espagne (1977–2007) Transition démocratique et alternance politique. L'auteur étudie l'évolution des politiques culturelles espagnoles tout en expliquant ce que fut le legs de la dictature franquiste jusqu'à l'arrivée du gouvernement socialiste. En guise de rétrospective, Rubio présente les trois alternances du ministère de la Culture en Espagne depuis la fin des années 1970 jusqu'à nos jours. L'auteur s'intéresse à théoriser ces alternances, de façon peu convaincante par ailleurs, décrivant leur développement sur le plan de la politique culturelle espagnole. En conclusion, Rubio montre que l'évolution des politiques est une évolution beaucoup plus incrémentale, caractérisée par un faible renouvellement des discours, limitant ainsi les changements d'orientation en matière de politique culturelle nationale. Selon Rubio, les vrais raisons de ce problème renvoient à la faible cohérence idéologique des politiques socialistes lorsque le PSOE gouverne et à l'impossibilité durable d'appliquer les postulats néolibéraux lorsque le Parti populaire est au pouvoir. Par ailleurs, une conclusion intéressante à retenir de l'analyse de Rubio, c'est que trente années de démocratie ont servi à transformer le rôle de soutien à la culture de l'État, mais ne lui ont pas permis de se positionner en leader du système public de la culture en Espagne, ni d'être à la hauteur des politiques suivies par d'autres pays européens.
En conclusion, Emmanuel Négrier traite de l'ensemble des enjeux qui affectent aujourd'hui les politiques culturelles en Espagne. Intitulé La politique culturelle à l'épreuve de la diversité espagnole, ce chapitre met l'accent sur les politiques culturelles en tant que laboratoire européen de la diversité et de la décentralisation. Cette étude propose des pistes de réflexion intéressantes touchant plusieurs dimensions, telles les politiques des patrimoines artistiques et culturels, les industries culturelles, la démocratisation et l'éducation artistique. L'auteur fait le point sur les conséquences des évolutions les plus récentes sur le modèle de politique culturelle, qui pose aujourd'hui plusieurs enjeux d'articulation. Négrier nous présente les principales dimensions du modèle espagnol. Selon lui, ce modèle apparaît à la fois marqué par une grande continuité d'organisation et d'objectifs réels, par un inachèvement de la régulation de pluralité et par une fragmentation institutionnelle. À cet égard, l'auteur met en cause la nature et l'extension de la décentralisation culturelle d'une part et l'organisation ministérielle d'autre part, qui demeure aujourd'hui marquée par un héritage centraliste dans un contexte pourtant fortement décentralisé. Négrier suggère quelques pistes favorisant l'articulation du système espagnol face aux défis contemporains posés par la diversité culturelle et la globalisation.
Grosso modo, les auteurs de ce livre mettent l'accent sur quatre évolutions majeures qui ont pour effet d'orienter le nouveau contexte des politiques culturelles espagnoles, en particulier, et le rôle propre des États, en général. Selon les auteurs, décentralisation, européanisation, privatisation et diversité sont les pierres angulaires de l'évolution. Selon nous, d'autres éléments intéressants à présenter dans le cadre de cet ouvrage échappent aux auteurs. Signalons, entre autres, le processus de Barcelone, signé en 1995, qui a pour but d'engager les pays de la Méditerranée dans un processus de développement politique, économique et culturel. Pareillement, mentionnons que l'Espagne est le pays occidental le plus influencé par la civilisation arabe, repoussée après la chute de Grenade, en 1492. C'est aussi grâce aux philosophes arabes que l'Espagne a réussi à transmettre le savoir gréco-latino-arabe à l'Europe. Dès lors, il est évident que les auteurs de ce volume auraient dû consacrer un espace approprié à ces éléments dans leur analyse, tout en avançant une politique culturelle espagnole qui repose non seulement sur une Espagne européenne ayant bâti des rapports étroits avec l'Amérique latine, mais également sur une Espagne tissant des liens avec la Méditerranée et le monde arabe. Indiquons également que l'immigration, notamment celle des pays du Maghreb, représente un sujet stratégique dans l'agenda politique de l'Espagne., On aurait donc dû présenter une explication approfondie de ce sujet et de ses conséquences en fonction de la diversité des politiques culturelles en Espagne. Dans le but d'améliorer le dialogue des civilisations, des cultures, des peuples et des religions, le gouvernement Zapatero a lancé récemment une initiative devant l'Assemblée générale des Nations Unies. Titrée «Initiative de l'alliance des civilisations», cette tentative plaide en faveur du rapprochement des civilisations et a comme objectif de contrecarrer les chocs des civilisations. Cette idée, pensons-nous, pourrait représenter un champ fécond lors de recherches futures sur la politique culturelle en Espagne. Finalement, il convient de mentionner que l'approche néo-institutionnaliste (historique et sociale) utilisée dans le cadre de ce livre a l'avantage d'aider les chercheurs à analyser, à prévoir et à expliquer le changement du comportement des acteurs dans les arrangements institutionnels, et partant, propose des explications aux changements des politiques publiques et de l'action gouvernementale. Néanmoins, l'institutionnalisme social se critique par la nuance de la description des relations entre normes sociales et institutions politiques. Également, l'institutionnalisme historique risque de ne pas être consolidé théoriquement. De plus, comme toutes autres théories inductives, la généralisation de propositions de ces deux approches ne peut être assurée, étant donné le manque de pragmatisme et l'incapacité à vérifier la validité externe des conclusions.