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La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, Charles Philippe David, Les Presses de Science Po, deuxième édition revue et augmentée, 2006, 463 pages

Published online by Cambridge University Press:  09 October 2008

Papa Samba Ndiaye
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2008

Lorsque l'on parle de paix et de guerre en relations internationales, l'on pense automatiquement à l'ouvrage devenu classique, Paix et guerre entre les nations (1962, Paris : Calmann-Levy) de Raymond Aron. Mais le manuel de Charles Philippe David va beaucoup plus loin dans sa conception de la paix et de la guerre. Composé de quatre séquences, chacune divisée en trois chapitres, le livre aborde successivement l'ordre sécuritaire, l'ordre militaire, les stratégies de sujétion et les stratégies de paix

D'entrée de jeu, l'auteur procède à des éclairages sur les concepts de sécurité et de stratégie. Contrairement à la définition traditionnelle de la stratégie, où l'on mettait l'accent sur la planification et la conduite des activités militaires, sa vision renouvelée la qualifie comme «la conception et l'exécution d'une action collective en milieu conflictuel» (43). Autrement dit, la stratégie est le choix des objectifs de sécurité et la tactique, le choix des moyens appropriés pour accomplir ces objectifs. Toutefois, si les «sécuritaires» sont désormais les véritables penseurs du domaine, il n'y a pas de consensus autour du concept de sécurité. Mais d'après l'auteur, «une majorité de spécialistes des questions de sécurité s'entendent pour dire qu'il faut un minimum de trois paramètres dans toute tentative sérieuse de définition de la sécurité : celle-ci implique pour toute communauté la préservation de ses valeurs centrales, l'absence de menaces contre elle et la formulation par elle d'objectifs politiques» (45). Enfin, ce chapitre se termine par une analyse des diverses théories en relations internationales et de leur conception de la sécurité.

L'auteur discute ensuite de la pertinence supposée ou réelle de l'ordre westphalien. À ce niveau, il n'y a pas d'unanimité non plus chez les penseurs. Pour certains auteurs, l'ordre de Westphalie est dépassé, pour d'autres en revanche, l'État demeure tout de même l'acteur incontournable des relations internationales. Il est exposé à des menaces surtout militaires et se lance dans des défis sécuritaires.

Le professeur David montre par la suite que la vision restrictive de la sécurité limitée au domaine militaire est à bien des égards dépassée. Face aux nouvelles menaces comme le terrorisme, la sécurité est devenue multiforme. Elle se décline en sécurité militaire, mais également politique, sociétale, économique ou encore environnementale (118). Dans le domaine de la sécurité, l'État est aussi concurrencé par de nouveaux acteurs infra et supra étatiques comme les mercenaires, les milices, les firmes multinationales ou les humanitaires et les groupes religieux,ce qui invalide la conception réaliste de la sécurité au profit de la vision libérale.

La deuxième séquence s'ouvre avec le chapitre 4, qui nous promène dans les débats sur la guerre, un concept tout aussi polysémique parmi les auteurs. Mais en fonction du degré de violence, qui peut aller du maximum au minimum, on parlera de guerre (violence élevée), de conflit (violence moyenne) ou de crise (violence faible) (135 et suivantes). La distinction entre les guerres postmodernes et les guerres prémodernes est également importante à souligner : «Les conflits postmodernes consacrent une évolution des guerres interétatiques vers la non-guerre entre États, même en présence de conflit» (143). Les guerres prémodernes traduisent un retour à la constitution des États qui sont tenaillés entre la fragmentation et la recomposition de l'espace politique. Ces guerres rappellent les guerres qui existaient avant l'ère westphalienne où l'État moderne est apparu pour mettre fin à la violence et à l'anarchie (133).

Mais pourquoi les États cherchent-ils des armements? s'interroge l'auteur au chapitre 5. Un début d'explication serait la prévention des menaces ou des attaques externes. Pourtant, les menaces les plus redoutables sont domestiques. L'exagération des menaces externes aurait pour but de conserver le statut et l'influence des militaires (169). Mais au fur et à mesure qu'ils se dotent d'armements, les acteurs fragilisent l'ordre international et, pour se protéger, les États adhèrent à des alliances. L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en est l'exemple le plus achevé.

Se pose ensuite la question des changements dans la stratégie militaire. De la stratégie classique, on est passé à la stratégie postmoderne. De Clausewitz à Machiavel, en passant par Sun Tse, Jomini et Liddell Hart, la stratégie classique peut être scindée en quatre écoles de pensées : l'école continentale, dont «l'approche consiste à exploiter les conditions du terrain afin de permettre à une armée de l'emporter sur sa rivale» (185); l'école de la stratégie navale, qui «vise la maîtrise des mers, comme moyen d'assurer la survie et la prospérité d'une puissance commerciale et impériale» (118); l'école de la stratégie aérienne, pour la maîtrise de l'air; et l'école de la stratégie révolutionnaire, qui applique les principes de la stratégie dans le contexte des conflits infra-étatiques. En revanche, ce qui caractérise la stratégie postmoderne, c'est que la science stratégique n'est plus l'apanage des seuls militaires. Ce sont généralement des civils loin des champs de combat qui s'en occupent maintenant. Ils sont à l'origine de la révolution dans les affaires militaires (RAM) qui a changé la façon de produire la violence avec la guerre dite intelligente et la doctrine du zéro mort. Seulement, on ne le répétera jamais assez, le risque zéro n'existe pas. Une seule vie enlevée est une perte incommensurable pour l'humanité. En outre, la stratégie postmoderne a été pensée sans tenir compte du changement et de la nature des conflits actuels, qui sont des conflits prémodernes opposant des groupes comme les mouvements terroristes à l'État et non une guerre entre deux armées régulières vêtues d'uniformes et respectant les lois et coutumes de la guerre.

La troisième séquence s'amorce avec le chapitre 7, qui traite de l'usage de la force dans les relations internationales. Si cet usage peut avoir plusieurs fonctions, comme la défense, la dissuasion, la contrainte ou le prestige, deux auteurs ont proposé des analyses dans ce domaine qui inspirent encore les recherches. Il s'agit de Thomas C. Schelling et d'Alexander George. Dans son ouvrage Arms and Influence (1966, New York :Yale University Press), Schelling a théorisé l'approche de la contrainte, terme qu'il a préféré à celui de coercition. George, quant à lui, a défini l'objectif de la diplomatie coercitive comme étant l'action «d'appuyer une demande faite à un adversaire, accompagnée par la promesse d'une punition pour son refus, qui soit assez crédible et musclée pour le persuader qu'il est dans son intérêt d'obtempérer à la demande» (213). En outre, la coercition peut s'exercer militairement, au moyen de bombardements aériens par exemple, ou par des moyens non militaires comme les sanctions économiques. Mais encore faudrait-il encadrer ces interventions pour éviter les abus, ce qui pousse les petits États à vouloir développer l'arme nucléaire.

Au chapitre 8, David se demande justement si le nouveau monde sera postnucléaire au nord et prénucléaire au sud. Il existe, en effet, une délégitimation du nucléaire, qui n'occupe plus la place centrale dans les études sur la sécurité. Mais l'apparition de l'arme nucléaire a produit une sorte de révolution copernicienne dans les études stratégiques en renversant la conception clausewitzienne et «la politique est maintenant la continuation de la guerre par d'autres moyens» (235). La question qui mérite d'être posée est de savoir si l'élimination de l'arme nucléaire peut être un facteur de stabilité des relations internationales? Rien n'est moins sûr.

Ainsi, pour prévenir et gérer les conflits, les interventions internationales oscillent entre l'approche libérale fondée sur la justice, les droits de l'homme et le rôle des organismes internationaux d'une part et l'approche réaliste d'autre part, qui postule que «la paix doit souvent être imposée car elle ne peut pas s'obtenir par la voie de la négociation» (301). Cette problématique se retrouve au cœur des missions de paix. Ces missions de paix ont justement beaucoup évolué depuis leur création. Chargés à l'origine d'assurer la surveillance et l'observation d'un cessez-le-feu, les soldats de la paix se consacrent désormais à la reconstruction d'États en ruine. Deux courants théoriques en relations internationales, l'école constructiviste et l'école réaliste, inspirent aujourd'hui la discussion sur le maintien de la paix.

L'auteur propose finalement douze clés pour comprendre la problématique de la sécurité à l'aube du nouveau millénaire, dont les aléas de la peur et le dilemme de la sécurité, entre autres (357). Le livre de Charles Philippe David est un manuel destiné aux chercheurs qui s'intéressent aux questions de paix et de sécurité internationales. Ils y trouveront les éléments essentiels pour approfondir une recherche sur la question. Bien organisé et clair, c'est également un livre qui peut être lu par un public non initié plus large. C'est aussi une bonne entrée vers la littérature anglophone sur le même sujet. L'auteur aurait pu, toutefois, creuser davantage la question des facteurs explicatifs de l'insécurité, notamment les liens pouvant être établis avec la mondialisation de l'économie, qui accroît la richesse de certaines nations, mais élargit aussi les lignes de fracture entre les États et les individus. L'inclusion dans l'analyse des théories périphériques comme les théories féministes ou postcoloniales aurait, de plus, enrichi la réflexion.