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La face cachée des élus. Engagement, responsabilité et comportement éthique, Yves Boisvert, Les Presses de l'Université du Québec, Québec, 2009, 150 pages

Published online by Cambridge University Press:  21 December 2010

Magali Paquin
Affiliation:
Université Laval
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

L'ouvrage d'Yves Boisvert, La face cachée des élus. Engagement, responsabilité et comportement éthique, paraît alors que l'éthique des élus s'impose comme une question d'actualité brûlante. L'auteur y présente les résultats d'une enquête sur la perception de l'éthique qu'ont les députés ayant siégé à l'Assemblée nationale du Québec.

Cette étude qui se veut exploratoire s'appuie sur des entrevues semi-dirigées effectuées en 2004 et 2005, alors que le scandale des commandites éclaboussait la scène fédérale et par ricochet, la plupart des acteurs politiques. La sélection des répondants, au nombre de 31, visait à assurer une juste représentation numérique des partis politiques présents à l'Assemblée au cours des décennies précédentes (Parti libéral du Québec, Parti québécois, Action démocratique du Québec); des nouveaux élus, des élus expérimentés et des ex-élus; des femmes et des hommes, et enfin, des députés ayant exercé ou non des fonctions ministérielles.

L'ouvrage se divise en deux parties principales, la première ayant trait aux élus ayant occupé des fonctions ministérielles et la seconde, à ceux n'ayant jamais été ministres. Chaque partie est formée des sept mêmes sous-sections : 1) le moteur de l'engagement; 2) le cynisme des citoyens; 3) la définition de l'éthique; 4) la place de l'éthique dans les mœurs politiques; 5) les conduites favorables à l'éthique; 6) les conduites problématiques et 7) les problèmes liés à la sollicitation. Ces sous-sections reflètent grosso modo le plan d'entrevue, lequel peut d'ailleurs être consulté en annexe. L'analyse à travers le prisme des sous-groupes que sont les ministres et les députés se justifie, selon l'auteur, par l'impact significatif qu'aurait leur statut sur leur imaginaire éthico-politique. Toutefois, on comprend difficilement ce qui imposait ce choix, lequel occasionne surtout une grande redondance tant dans la forme que le contenu. Bien que les expériences diffèrent selon que les répondants aient fréquenté ou non le cercle restreint du Conseil exécutif, les propos de fond sont semblables à bien des égards.

La plupart des répondants estiment que le cynisme des citoyens provient d'une méconnaissance du travail réel des élus et accusent les médias de l'alimenter. Certains se reconnaissent toutefois une certaine responsabilité, notamment en ce qui concerne la surenchère électorale, un manque de transparence ou les affrontements théâtraux en chambre. Questionnés sur leur définition de l'éthique, les répondants sont plus à l'aise de la situer dans leur pratique quotidienne que d'en élaborer une conception théorique. En discutant l'apport de l'éthique sur les plans de la réflexion, du jugement, de l'intégrité, de la transparence ou de l'intérêt public, ils se situent dans le champ de l'éthique appliquée. La qualité de la culture politique au Québec ne fait pour eux aucun doute : la majorité affirme que « les élus québécois se distinguent par l'excellente qualité de leurs conduites et leur très haut standard d'éthique politique » (31). Selon les répondants, la corruption, la fraude et les malversations ne feraient plus partie du paysage politique depuis longtemps, les élus d'aujourd'hui ayant plutôt à cœur l'intérêt de la collectivité. Ils sont inspirés par certaines conduites, dont le leadership éthique du chef, les comportements intègres, honnêtes et responsables des pairs, le respect de la confidentialité des débats, l'usage parcimonieux des fonds publics et le souci de l'intérêt public. Ils identifient malgré tout des conduites problématiques. C'est le cas des bassesses ou de la mesquinerie, qui s'illustrent principalement entre collègues d'un même parti, notamment dans la compétition pour les sièges ministériels. Le manque d'honnêteté intellectuelle et de transparence, les enfantillages de la période des questions, les conflits d'intérêt, le copinage, les nominations politiques, les abus de pouvoir ou d'argent public et la tendance à négliger les comportements du personnel politique sont également mentionnés, les ministres étant les plus susceptibles d'être confrontés à ces situations. La sollicitation des lobbyistes et des proches pose des défis éthiques aux élus, de même que la gestion de l'enveloppe discrétionnaire qui leur est attribuée ou le financement des partis politiques. D'autre part, les « infrastructures de régulation des comportements » sont jugées excellentes, bien qu'elles puissent être bonifiées. Le travail du vérificateur général et les services du jurisconsulte sont appréciés, mais le rôle du commissaire au lobbyisme est sévèrement critiqué. La Loi sur le financement des partis politiques fait consensus : « un bijou », « pilier de l'infrastructure de l'éthique gouvernementale », qui a certes ses faiblesses « puisque tout le monde “sait qu'il y a de la gymnastique fine qui se fait à gauche et à droite” » (77–79), mais dont les imperfections sont marginales eu égard à sa légitimité. Sur la base de ces propos généralement optimistes, l'auteur dégage brièvement des pistes pour son programme de recherche. Constatant que les élus sont réticents à être soumis au contrôle de tiers et qu'une culture individualiste prime dans l'enceinte parlementaire, il privilégie le renforcement d'une autorégulation individuelle des pratiques, notamment par le biais de la sensibilisation individuelle aux questions éthiques.

Un an seulement après sa parution, le contenu de cet ouvrage semble aux antipodes de la réalité politique québécoise, alors que se multiplient les allégations de fraude, de copinage et de corruption. Le paradoxe est d'autant plus grand que les élus interviewés estiment qu'ils pourraient figurer « en haut du classement [mondial] en matière de comportement adéquat, de droiture et d'honnêteté » et « ont insisté pour dire que, tout au long de leur carrière, ils n'avaient jamais été témoins d'actes de corruption, de détournement de fonds publics ou d'autres comportements problématiques » (63). Boisvert confirme d'ailleurs que « cette perception est assez juste » (143) considérant le faible nombre de scandales politico-administratifs ayant marqué l'histoire récente du Québec.

L'auteur a fait le pari de laisser toute la place aux acteurs parlementaires comme sujets réflexifs pour mieux comprendre l'ethos du milieu politique, particulièrement en ce qui a trait aux questions éthiques. L'originalité de ce type d'étude doit être saluée dans la science politique québécoise, généralement peu encline aux méthodes qualitatives pour aborder ses objets de recherche. Cependant, les paroles ne témoignent pas nécessairement des actes et les actes eux-mêmes sont jugés à l'aune du système normatif de ceux qui les posent. En se contentant de répéter les propos des acteurs sans les remettre en question, les confronter avec des faits ou avec la littérature existante, l'auteur donne l'impression ou bien d'une naïveté déconcertante, ou bien d'une méconnaissance du terrain de recherche. C'est ainsi qu'il s'exclame que « l'une des conduites éthiques des plus intéressantes et surprenantes […] concerne l'importance du respect du jeu parlementaire et des adversaires politiques […] nos ministres sont convaincus que tous les élus travaillent dans le sens du bien commun » (41). Ce respect réciproque entre députés par-delà les tensions politiques est pourtant bien connu des proches observateurs de la scène parlementaire québécoise.

Supposons sans cynisme que les élus rencontrés aient bel et bien été « ouverts, passionnés, honnêtes et lucides » (7). Là est justement l'intérêt, car leur discours est ponctué de contradictions et de justifications qui ne sont pourtant jamais relevées par l'auteur. C'est entre les lignes que réside la richesse du matériau recueilli. Malheureusement, outre le regroupement thématique des réponses, l'enquête n'a donné lieu à aucune analyse en profondeur. Le concept d'éthique n'est pas véritablement discuté par l'auteur, lequel contribue même à en faire un véritable mot fourre-tout. À l'exclusion de la distinction ministres / députés, l'échantillonnage n'est pas exploité. C'est le cas par exemple de la distinction hommes / femmes, qui aurait pu s'avérer pertinente. Ont-ils des perceptions différentes de l'éthique? Dans la négative, cela remettrait en question la croyance répandue que les femmes en politique y changeraient la culture… La conclusion est quant à elle surprenante : il est pour le moins contradictoire de favoriser une approche individuelle, justifiée par une supposée « faiblesse des valeurs communes » et des « structures de socialisation » (147), alors que les propos des élus témoignent de la complexité des interdépendances et des contraintes sociales qui pèsent sur eux.

Le matériau recueilli pourrait donner lieu à de riches analyses, pour autant que le verbatim soit dépassé. Le contenu du livre est pertinent en tant qu'ébauche de recherche, mais dans sa forme actuelle, il laissera bien des lecteurs insatisfaits, particulièrement ceux qui s'intéressent de près à l'éthique ou à la vie parlementaire.