Dans son livre, Philippe Zittoun développe une théorie des politiques publiques au moyen d'une approche discursive. En ce faisant, Zittoun ramène l’étude des politiques publiques au cœur de la science politique. Le domaine d'intérêt de la science politique pour Zittoun est l’équilibre entre l'ordre et le désordre. Ainsi, La fabrique politique des politiques publiques explique comment les pratiques discursives permettent à la fois de générer le désordre ainsi que les propositions nécessaires pour recréer l'ordre. La théorie élaborée, puisque nous parlons bel et bien ici de développement théorique, a pour objectif de cerner les mécanismes discursifs par lesquels le désordre et l'ordre sont construits.
Pour construire sa théorie, Zittoun puise profondément dans la littérature en politique publique remontant jusqu'aux travaux de Laswell et de Dewey. L'auteur développe une théorie complète qui incorpore à la fois les idées (par l'entremise du discours), les acteurs et les intérêts afin d'expliquer le développement des politiques publiques. S'inspirant en partie de Kingdon, Zittoun décrit de manière détaillée la construction discursive des problèmes et des solutions, ainsi que le processus interactif nécessaire au couplage. Il poursuit son étude en expliquant les mécanismes de propagation de la solution. Zittoun met l'accent, à cette étape, sur les acteurs et les stratégies nécessaires qu'ils adoptent pour convaincre le public que la bonne solution a été trouvée. Le rôle du pouvoir devient évident à l’étape de l'imposition de la solution. Zittoun démontre l'utilité de sa théorie dans le dernier chapitre en étudiant l'exemple du tramway parisien.
La qualité première du travail de Zittoun est d'avoir développé une théorie commode et bien adaptée à la recherche. Dans le livre Games Real Actors Play: Actor-Centered Institutionalism in Policy Research, Scharpf (1997) a développé la théorie de l'institutionnalisme centrée sur les acteurs; théorie qui dictait aussi la méthode de recherche. La fabrique politique des politiques publiques se situe dans la même catégorie. Par exemple, il y a cinq étapes à identifier lors de la construction discursive du problème: l’étiquetage, l'identification des victimes, la désignation des coupables, la description d'un futur apocalyptique et la justification de l'action immédiate. Comme chercheur, je connais donc immédiatement l'information et les données dont j'ai besoin pour comprendre la construction d'un problème. La démarche à suivre est expliquée tout aussi clairement lors des autres étapes du développement d'une politique publique.
Le livre de Zittoun s'adresse clairement aux chercheurs en politique publique. Ce n'est pas un livre axé sur la pratique. Ceci dit, il est possible d'imaginer une traduction de la théorie pour les praticiens. La théorie présente un aspect procédural qui porte bien à l'action. L'acteur politique aurait tout avantage à comprendre le processus décrit par Zittoun pour faire progresser son problème et sa solution, ainsi que pour la propager et en assurer l'adoption.
Il est possible de formuler deux critiques principales à l'endroit de ce que nous pourrions nommer la théorie de la fabrique. Premièrement, l'auteur ne fait pas beaucoup d'attention à l'intentionnalité des acteurs. Zittoun reconnaît que les acteurs ont des intérêts et qu'ils élaborent des stratégies qui sont itératives au gré des interactions et de l’évolution d'une politique publique, mais il ne s'intéresse pas à la façon dont les acteurs développent leur préférence. Pourquoi certains acteurs définissent-ils un problème d'une certaine façon et d'autres d'une façon différente? Pourquoi les acteurs préfèrent-ils une solution à une autre? Pourquoi prennent-ils même la peine de persuader, alors que c'est un travail difficile où ils auront eux-mêmes à se remettre en question? Quelle est la motivation qui conduit à la prise de décision? Zittoun reconnaît l'importance des titres et des rôles, mais cela n'explique pas l'intentionnalité. Pour les rationalistes, l'intentionnalité se trouve dans l'intérêt des acteurs. Ils s'intéressent peu à la construction de cet intérêt. Tout comme les rationalistes, Zittoun passe au-delà de cet aspect. Le prisme d'analyse qu'il préconise est le discours, mais ce qui se cache derrière ne semble pas le préoccuper outre mesure. Pour Zittoun, le pouvoir est exercé mais son objectif demeure flou.
La seconde faiblesse de la théorie, c'est qu'elle cible le passé. C'est une faiblesse bien connue dans la discipline. Le chercheur doit être très prudent dans la sélection de l’étude de cas pour éviter les biais trop évidents dans l'analyse. L'exemple du tramway de Paris que l'on retrouve dans le livre est presque trop beau. La théorie présentée et l’étude de cas se complètent parfaitement. La théorie ne devrait-elle pas être testée pas un cas plus difficile qui en déterminerait les limites? La théorie n'est également pas prescriptive. Il n'est pas possible d’étudier un cas en cours et d'utiliser la théorie pour tenter d'en deviner l'issue. L’étude ne peut se faire qu'après coup. Ce n'est qu'une fois la décision prise et mise en œuvre qu'il devient possible de retracer les différentes étapes qui ont mené à son adoption.
Le livre de Zittoun n'est pas particulièrement long, mais son style devient par moments un peu lourd. L'argumentaire est présenté de façon logique et cohérente. De nos jours, il est plus coutumier de faire des ajustements à une théorie, de se questionner sur un concept ou de faire un exercice d'intégration. Zittoun va beaucoup plus loin. La fabrique politique des politiques publiques représente un grand effort de développement théorique qui présage un bel avenir pour la discipline. C'est un livre qui mérite d’être traduit en anglais et largement disséminé. Ce livre pourrait constituer une lecture obligatoire pour tous les chercheurs en science politique et en politique publique au Canada, en France et ailleurs.