Rares sont les mémoires de maîtrise publiables et encore moins nombreux ceux qui sont publiés. L'ouvrage d'Antonin-Xavier Fournier constitue donc une exception à la règle, mais une exception amplement justifiée par sa qualité. Basée sur une revue de littérature de près de 200 livres et articles spécialisés, cette étude porte essentiellement sur le phénomène de la cohabitation gauche-droite à la direction de l'État français. Ce phénomène relativement rare, qui n'a été observé que pendant neuf années sur un demi-siècle, n'en constitue pas moins l'une des grandes originalités du régime semi-présidentiel français.
Le petit livre de Fournier se divise en quatre chapitres. Le premier commence par décrire la quinzaine de régimes politiques connus par la France depuis la Révolution de 1789 jusqu'à la Constitution adoptée en 1958 et amendée en 1962 puis en 2000. Il s'attarde ensuite sur la définition de ce régime, qualifié successivement de semi-présidentiel (par Maurice Duverger), de parlementaire à correctif présidentiel (par Pierre Avril), de parlementaire semi-dualiste (par Philippe Lauvaux) et enfin, de parlementaire à gouvernement semi-présidentiel (par Jean-Claude Colliard). Il est curieux que Fournier accorde sa préférence à ce dernier terme au détriment du vocable plus courant de semi-présidentiel. En effet, le Parlement ne retrouve jamais sous la Ve République la prééminence dont il profite sous la IVe et même sous la IIIe République. Il est significatif d'ailleurs que Fournier lui-même utilise les concepts de gouvernementalisme et de présidentialisme, et non celui de parlementarisme plus ou moins mitigé, pour décrire les situations de cohabitation et de majorité présidentielle qui constituent l'objet de son deuxième chapitre.
Dans ce deuxième chapitre, Fournier nous rappelle d'abord que le président et le premier ministre français jouissent tous deux d'une légitimité sanctionnée par l'élection, personnelle dans le cas du président et parlementaire dans le cas du premier ministre. Si la majorité parlementaire est de la même «couleur» que le président, le premier ministre devient l'exécuteur de son programme politique. Même là, cependant, les relations peuvent être tendues entre les deux têtes dirigeantes de l'État. Ce fut le cas, notamment, entre le président De Gaulle et son premier ministre Michel Debré, puis entre le président Giscard d'Estaing et son premier ministre Jacques Chirac, et il en va de même entre le président Sarcozy et son premier ministre François Fillon, ajoutons-nous.
Dans le cas où la majorité parlementaire n'est pas celle du président, ce dernier se transforme en surveillant ou contrôleur d'un premier ministre lié à une autre famille politique. Le cas s'est présenté trois fois avec les tandems Mitterand-Chirac (1986–1988), Mitterand-Balladur (1993–1995) et enfin Chirac-Jospin (1997–2002). Fournier nous donne une description tout en nuances de ces épisodes de cohabitation qui constitue le cœur de son ouvrage. On y constate que le président, qu'il soit de gauche ou de droite, a su jouer de son influence principalement à trois niveaux : au sein même du Conseil des ministres, auprès de l'opinion publique qui l'a majoritairement élu et enfin dans le domaine des affaires étrangères et de la défense où la Constitution lui accorde préséance sur le premier ministre.
Cohabitation utile ou nuisible à la vie politique française? Tel est le sujet du troisième chapitre où l'auteur nous révèle qu'à l'encontre de la majorité des théoriciens et des praticiens de la chose politique, l'opinion publique française a une vision plutôt positive du phénomène. Les politicos ont reproché à la cohabitation d'être un danger pour la démocratie, une occasion de procrastination gouvernementale et un frein au rôle international de la France. Au contraire, l'opinion publique a estimé de façon continue, entre 1986 et 1998, que «la période de cohabitation est plutôt positive pour la France» et cette conviction n'a fait que s'affirmer au fil des ans (119, figure 3.4).
Et qu'en est-il de la perception des médias? Abandonnant sa revue de littérature, Fournier se livre alors à une originale analyse de contenu du quotidien Le Monde grâce au moteur de recherche québécois Bibliobranché. Après quelques précisions méthodologiques sur les limites de l'instrument, Fournier procède à une analyse quantitative qui nous montre à l'évidence la primauté de la couverture de presse pour Matignon en période de cohabitation et pour l'Élysée en période de majorité présidentielle au Parlement. Rien de surprenant à cela, mais encore fallait-il le démontrer.
Le quatrième et dernier chapitre s'interroge sur l'évolution possible du régime vers un présidentialisme à la française, un parlementarisme moniste ou le maintien du statu quo. Fournier conclut que les institutions de la Ve République ont fait preuve de suffisamment de solidité, de souplesse et de soutien populaire pour pouvoir perdurer dans leur forme actuelle. Malgré le fait que l'actuel président adopte davantage le style d'un premier consul en mal d'Empire que celui d'un «monarque républicain» à l'instar de ses illustres prédécesseurs, ajoute Fournier dans sa conclusion.
Cette réflexion de Fournier nous amène à nous pencher sur l'évolution du parlementarisme à la britannique. Un des grands sujets de préoccupation à son endroit est la dévalorisation du Parlement au profit de l'exécutif et, en particulier, du bureau du premier ministre. Ce dernier est de plus en plus considéré comme un dictateur élu, en Grande-Bretagne comme au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. À cet égard, le système français n'introduit-il pas un mécanisme d'équilibre et de contrepoids qui, sans être aussi formalisé que celui de la Constitution américaine, n'en est pas moins fort utile contre une concentration exagérée du pouvoir aux mains d'un seul dirigeant? Il faudrait s'en souvenir à l'heure où on se penche sur une nouvelle réforme des institutions inspirée par le rapport du comité Balladur présenté en octobre 2007.
Nous terminerons avec le commentaire de l'administrativiste français Jacques Chevallier qui préface l'ouvrage de Fournier : «Au moment où, en France même, sont en voie d'être édités plusieurs ouvrages collectifs dressant un bilan de l'évolution des institutions, on ne peut que se féliciter qu'une réflexion comparable ait été engagée au Québec : un regard extérieur permet toujours de mettre en évidence certains aspects qui échappent à ceux qui sont immergés dans la réalité qu'ils s'efforcent d'analyser» (p. vii).