Paru deux mois avant l’élection québécoise d'octobre 2018, l'ouvrage La Coalition Avenir Québec. Une idéologie à la recherche du pouvoir de Frédéric Boily place le parti qui allait prendre le pouvoir quelques mois plus tard dans son contexte historique, social et politique. L'auteur divise son propos en quatre temps. En premier lieu, il est question de comprendre la naissance de la CAQ (Coalition Avenir Québec) à travers la vision de ses initiateurs pour mieux saisir l'idéologie du parti à sa formation. L'on y souligne abondement l'identité entrepreneuriale du chef François Legault qui marquera pour l'auteur toutes les orientations idéologiques du parti, notamment en éducation. L'on y discute aussi du climat partisan propice à l’émergence d'un tiers parti comme la CAQ, lequel est marqué par le retour de l'axe gauche-droite et le délaissement graduel de la question nationale québécoise.
En deuxième lieu, l'auteur se lance dans un tour d'horizon de la gestion qu'a faite la CAQ de ses deux premières campagnes électorales (2012 et 2014). Boily fait entre autres remarquer la stratégie omniprésente de personnalisation du chef par les slogans et autres communications du parti afin de mettre un visage sur le parti émergent. Les principaux éléments du positionnement électoral du parti sont énoncés, du discours sur la nécessité d'un « ménage politique » en 2012 (p. 62) à la tactique du Keep It Simple Stupid de 2014 afin de rejoindre un large électorat (p. 73).
En troisième lieu, la position sur l'axe politique identitaire du parti est analysée. Les tendances générales : un « ninisme » constitutionnel (évitement de la question), un autonomisme affirmé, quelques flirts avec le populisme de droite et la capitalisation politique de la question de l'immigration sont au menu. Un constat général : la CAQ affirme une position plutôt conservatrice et qui se met parfois au service des craintes identitaires populaires. Pour Boily, cette dernière facette de l'idéologie du parti n'est pas sans rappeler la position qu'avait prise l'ADQ avant elle.
En quatrième lieu, ses développements des toutes dernières années (2015 à 2018) sont énoncées. Les quelques changements tactiques, notamment marqués par une mise à l'avant-plan des enjeux identitaires et d'immigration, sont énoncés. L'on trace un portrait sociologique des candidats potentiels pour l’élection de 2018. Cela sert en partie à expliquer le rapport parsemé d'embûches qu'entretient le parti avec l’électorat de moins de 30 ans. En guise d'ouverture à ce dernier sujet, on relève les tendances jeunesse du parti, dont l'incarnation est surtout centrée autour de la figure montante de Simon Jolin-Barette.
En guise de conclusion, Boily mesure les chances de la CAQ en vue de l’élection. Sa compréhension est à l'effet que les chances du parti sont bonnes tant qu'il se situe à « la jonction entre l'insatisfaction qui prévaut contre le gouvernement libéral de Philippe Couillard et le désir de changement » (p. 164). On montre finalement en quoi la droite québécoise que représente la CAQ se distingue de la droite conservatrice canadienne. En effet, même si certaines ressemblances sont évidentes, la droite caquiste est à la fois moins réticente à l'intervention étatique et moins rigide sur le plan idéologique. Ce compromis idéologique est susceptible de plaire à l’électorat.
L'on apprécie certainement la clarté du texte. L'analyse est assez approfondie pour alimenter un débat universitaire rigoureux, tout en restant assez accessible et courte pour permettre d'initier et de stimuler un lecteur qui ne serait pas habitué aux formats académiques traditionnels. L'ouvrage manque un peu d'ambition à notre sens, surtout sur le plan théorique. Le fil conducteur de l'analyse est par ailleurs difficile à identifier au profit de descriptions parfois anecdotiques, parfois éparses. Plusieurs hypothèses sont lancées pour comprendre le phénomène de la montée de la CAQ, mais aucune ne semble sortir du lot pour s'imposer comme la thèse générale de l'essai. Les réflexions sont par conséquent prudentes et nous laissent parfois sur notre faim. Soulignons cependant que les propos nous semblent en totalité très justes, et ce même après le recul que nous permet maintenant de prendre les élections d'octobre dernier. Cela laisse par soi-même témoigner de la qualité d'un propos calculé et simple, mais jamais simpliste.
À la question du succès de la CAQ, Boily offre quelques pistes de réponses intéressantes. La réponse aux craintes de l’électorat (corruption en 2012, identité et immigration depuis, entre autres) et le « compromis » idéologique retiennent particulièrement notre attention et sont clarifiés par l'analyse qu'en fait l'auteur. Toutes les réponses possibles ne sont malheureusement pas discutées, notamment dû au décalage entre l'ouvrage et l’élection. Une version renouvelée permettant de peaufiner les analyses à la lumière des résultats électoraux d'octobre 2018 serait tout à fait justifiée. L'approfondissement du sujet d’étude à l'aide de la description de la dernière campagne électorale, mais également des sujets les plus prisés du nouveau gouvernement (cannabis, taxe scolaire, immigration, laïcité, et ainsi de suite) serait certainement enrichissant.
En somme, l'auteur réussit à dresser un portrait clair et assez fidèle des dynamiques partisanes qui, par leur nature volatile, ne font souvent que des esquisses analytiques floues. L'auteur réussit à rendre intelligible le phénomène de l’émergence de la CAQ dans le contexte québécois du XXIe siècle. Par-dessus tout, l'auteur sait mettre en lumière la signification de cette montée de la CAQ pour la vie politique québécoise, en tant que restructuration des intérêts et motifs populaires. L'hypothèse du réalignement partisan n'est cependant pas mise de l'avant pour l'instant.