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La censure et la littérature au Québec, Des vieux couvents au plaisir de vivre – 1920–1959., Pierre Hébert (avec la collaboration d'Élise Salaün), Québec, Fides, 2004, 229 pp.

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La censure et la littérature au Québec, Des vieux couvents au plaisir de vivre – 1920–1959., Pierre Hébert (avec la collaboration d'Élise Salaün), Québec, Fides, 2004, 229 pp.

Published online by Cambridge University Press:  08 June 2006

Julie Paquette*
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Recensions / Reviews
Copyright
Copyright © 2006 Cambridge University Press

Dans cet ouvrage, l'auteur propose d'aborder la littérature au Québec en étudiant les cas de censure qui s'y rattachent. Un peu comme s'il voulait reconstruire l'histoire des idées au Québec sous un nouvel angle, celui de la fiction, et de l'interdit face à cette fiction. La censure et la littérature au Québec, Des vieux couvents au plaisir de vivre – 1920–1959 se veut la suite d'un premier livre du même auteur, paru quelques années plus tôt, et qui couvrait la période allant du 17e siècle jusqu'en 1919. Hébert reprend là où il s'était arrêté pour se rendre jusqu'au début de la révolution tranquille.

La censure, dans cette étude, peut s'illustrer par l'interdit mais aussi par un contrôle du dicible et de l'imaginaire. L'approche herméneutique utilisée par l'auteur consiste à interpréter les textes, ici les produits québécois de la littérature, afin de faire éclore la censure qu'ils contiennent. Cette censure, qu'elle soit de nature constitutive ou institutive, ne prend forme réellement que dans la perception du censuré. « La censure naît, nous dit Hébert, du point de vue de l'individu (ou d'un groupe donné), surgie de la perception qu'une intervention est illégitime, fût-elle légale. »Footnote 1 Elle est toujours contextuelle. Il s'agira donc, dans cet ouvrage, d'illustrer cette dialectique conflictuelle entre le pouvoir et le contre-pouvoir sur une période donnée. Hébert tente de montrer qu'entre 1920 et 1959 on est passé de la primauté du « culte de Dieu avant le culte de l'intelligence » à « la conscience éclairée du lecteur ».

Hébert observe d'abord une certaine accalmie en ce qui à trait à l'interdiction d'ouvrages au début des années 20. En effet, de 1914 à 1934, date de la mise à l'index de l'œuvre de Harvey, Demi-civilisés, aucun ouvrage ne semble s'attirer les foudres du clergé. Est-ce à dire que cette période se caractérise temporairement par un plus large espace de liberté? L'auteur n'adhère pas à cette thèse. La littérature de cette époque, dit-il, n'a rien d'exutoire ni de libertaire. Le début des années 20, marqué par une littérature du terroir, une littérature régionaliste, témoigne d'un primat important du réel sur l'imaginaire. La fiction a cédé la place au récit du quotidien catholique canadien-français, dans une tyrannie de l'unique. La censure pendant cette période consiste donc à faire dire la réalité, et la littérature qui en émerge pourrait être qualifiée, dit Christian Salmon, de « Tombeau de la fiction »Footnote 2.

Dans les années 30, on observe une éclaircie dans cette obscurité du terroir, « un feu d'artifice au-dessus du crépuscule », avec l'émergence du roman d'intérieur : scénarios plus introspectifs, questionnements identitaires. C'est ce qui fait dire à l'auteur que nous sommes en présence d'une première révolution tranquille, qui se trouvera ralentie par l'arrivée au pouvoir de Duplessis. Resserrant les liens entre l'Église et l'État, celui-ci replonge le Québec dans la noirceur, alors que la province avait à peine eu le temps de voir le soleil pointer à l'horizon. Le contexte de guerre contribue, lui aussi, au resserrement des mœurs. Le gouvernement canadien adopte en effet, en 1940, le « Règlement concernant la défense du Canada », art.39A, qui « empêche les propos nuisibles à l'effort de guerre » L'État et l'Église font donc cause commune, quoique avec des visées bien différentes. Mais la guerre, c'est aussi l'émergence de nouveaux paradigmes qui annoncent le déclin de la censure cléricale, que l'on pense à l'entrée des femmes sur le marché du travail ou encore à la surconsommation qui suivra cette période de restriction.

C'est de 1946 à 1951, période de la parution du Refus global, que l'on observe les derniers efforts du clergé en matière de restriction littéraire. Mais l'Église, ce « colosse aux pieds d'argile », n'a de colossal que les discours qu'elle prononce car son pouvoir effectif semble s'évanouir avec le temps. Ce dernier soubresaut donc, où la hausse du ton tente de compenser la perte de pouvoir, constitue le « requiem d'un monde révolu ». On assiste alors à une passation des pouvoirs de la censure cléricale à la censure étatique comme en témoigne l'adoption, en 1959, de la loi Fulton sur l'obscénité, art.150 du Code criminel canadien. La révolution tranquille mettra un frein à cette reprise et la banalisation sociétale de l'obscénité a coupé court aux deux seuls procès intentés en vertu de cette loi. Hébert cite abondamment dans cette partie le père Gay comme témoin privilégié de cette époque. En sa qualité de censeur à la revue Lecture, il était en effet bien placé pour observer le changement de paradigme qui fait appel désormais à la conscience éclairée du lecteur.

La perte de pouvoir de l'Église s'explique entre autres, selon Hébert, par le fait qu'en rejetant le produit du modernisme comme une « synthèse de toutes les hérésies », elle n'a pas su s'adapter aux nouvelles réalités. L'industrie capitaliste, envahissant de plus en plus le « marché » des loisirs et de la culture, a rendu quasi impossible le contrôle clérical de la propagation des idées. La censure cléricale est condamnée. Mais est-ce la fin de la censure elle-même? Hébert n'endosse pas cette opinion. Le titre de la conclusion, « L'immortelle AnastasieFootnote 3 », illustre bien la permanence de la censure, qui se manifeste aujourd'hui sous d'autres formes. Rappelant le contrôle de l'imaginaire des années 20 comme forme de censure par la manipulation du dicible, Hébert conclut en faisant une analogie, poussée certes mais néanmoins intéressante, entre cette époque révolue et l'époque actuelle des télé-réalités, qui, à sa façon, fait elle aussi primer le réel sur l'imaginaire. Somme toute, bien qu'il tende à surestimer le rôle de la dénonciation dans sa définition de la censure, Hébert trace ici un portrait global intéressant du control au Québec, par le détour de la littérature.

References

Notes

1 Pierre Hébert, La censure et la littérature au Québec, Des vieux couvents au plaisir de vivre – 1920–1959, Québec, Fides, 2004, p. 43

2 ibid., p. 89

3 L'auteur fait ici référence à une caricature de Gil parue dans L'Éclipse, 19 juillet 1874, illustrant une vieille femme munie d'une immense paire de ciseaux, devenue l'image d'Épinal de la censure. (Hébert, p. 211)