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La bioéthique dans la perspective de la philosophie du droit.

Published online by Cambridge University Press:  15 March 2006

Chantal Beauvais
Affiliation:
Université Saint-Paul
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La bioéthique dans la perspective de la philosophie du droit., Francesco D'Agostino, Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2005 (Collection Dikè), 137p. [Titre original : Bioetica, G. Giappichelli Editore, Torino, 1998].

Ce livre de quatorze chapitres présente les questions les plus préoccupantes soulevées par la bioéthique contemporaine et débute avec un constat qui ne laisse aucun doute sur l'horizon philosophique de l'auteur : “ […] c'est la notion même de vérité qui s'affaiblit dans un horizon culturel (postmoderne) dans lequel il est désormais impossible d'élaborer un discours prenant la vérité comme référence ” (p. 1). Le lecteur est immédiatement mis en présence de l'enjeu qui en découle pour la bioéthique : l'absence de normes universelles en lesquelles tous reconnaissent l'expression de la vérité sur l'humain réduirait la bioéthique à une simple casuistique privée de sens. La bioéthique tourne à vide car nous serions devenus indifférents à la vie. Selon l'auteur, le contexte philosophique et culturel qui marque notre époque (postmoderne) ne permettrait pas un véritable “ engagement pour la vérité ”. On ne saurait ici s'engager dans une réflexion sur le sens de la postmodernité, mais il importe de noter que ces prémisses sont hautement contestables à plusieurs points de vue et que l'interprétation des conséquences métaphysiques, épistémologiques et sociopolitiques de la postmodernité suscite de nombreuses controverses. Une chose est certaine : on préfère toujours prendre des décisions dans un contexte de stabilité épistémologique et sociopolitique, mais ce contexte est rarement disponible. De plus, et surtout, un jugement éthique exclut presque par définition ce contexte de stabilité. Selon une grande tradition morale qui remonte à l'époque hellénistique, le jugement éthique est précisément appelé par des conditions inédites; il repose sur la créativité et sur une certaine expérience de la vie.

Type
BOOK REVIEWS
Copyright
© 2006 Cambridge University Press

Ce livre de quatorze chapitres présente les questions les plus préoccupantes soulevées par la bioéthique contemporaine et débute avec un constat qui ne laisse aucun doute sur l'horizon philosophique de l'auteur : “ […] c'est la notion même de vérité qui s'affaiblit dans un horizon culturel (postmoderne) dans lequel il est désormais impossible d'élaborer un discours prenant la vérité comme référence ” (p. 1). Le lecteur est immédiatement mis en présence de l'enjeu qui en découle pour la bioéthique : l'absence de normes universelles en lesquelles tous reconnaissent l'expression de la vérité sur l'humain réduirait la bioéthique à une simple casuistique privée de sens. La bioéthique tourne à vide car nous serions devenus indifférents à la vie. Selon l'auteur, le contexte philosophique et culturel qui marque notre époque (postmoderne) ne permettrait pas un véritable “ engagement pour la vérité ”. On ne saurait ici s'engager dans une réflexion sur le sens de la postmodernité, mais il importe de noter que ces prémisses sont hautement contestables à plusieurs points de vue et que l'interprétation des conséquences métaphysiques, épistémologiques et sociopolitiques de la postmodernité suscite de nombreuses controverses. Une chose est certaine : on préfère toujours prendre des décisions dans un contexte de stabilité épistémologique et sociopolitique, mais ce contexte est rarement disponible. De plus, et surtout, un jugement éthique exclut presque par définition ce contexte de stabilité. Selon une grande tradition morale qui remonte à l'époque hellénistique, le jugement éthique est précisément appelé par des conditions inédites; il repose sur la créativité et sur une certaine expérience de la vie.

Chaque chapitre du livre est construit sur le mode de l'essai. Aucune thèse n'y est défendue formellement et l'auteur nous convie à le suivre dans sa démarche de réflexion. Les thèmes choisis sont caractéristiques d'une bioéthique conçue de façon classique : la dignité humaine, l'euthanasie, l'avortement, la fécondation assistée, la ménopause, etc. Le traitement pour ainsi dire “ naturaliste ” de certains thèmes pourrait ne pas convaincre le lecteur car il semble ignorer des recherches récentes sur la question des “ genres ” (gender studies). S'il ne propose pas de solution, du moins l'auteur dégage-t-il avec un bel esprit de pénétration les problématiques fondamentales qui sous-tendent chacun de ces thèmes. Sa réflexion est empreinte d'une sagesse particulière lorsqu'il aborde la question de notre rapport au corps, notre refus de la maladie et le problème de l'enfance. Il s'agit en effet d'enjeux qui marquent profondément notre société dans sa recherche obsessive de la jeunesse et son refus paradoxal de l'enfance (course effrénée vers la vie adulte).

L'ouvrage élude plusieurs thèmes qui ont une portée particulièrement importante à notre époque : la génétique, la mondialisation et la santé des populations, la distribution des richesses et son impact sur la santé, les conflits d'intérêts en matière de recherche biopharmaceutique (le cas Vioxx), la biodiversité, la xénotransplantation, etc. La bioéthique, du moins en Amérique du Nord, a depuis longtemps étendu son souci au-delà du champ médical à proprement parler et fait équipe avec les sciences sociales et politiques et l'administration publique. Elle concerne non seulement le comité restreint qui doit délibérer de la possibilité de mettre fin aux soins d'une personne, mais aussi les acteurs qui doivent concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques. Ce fait semble échapper à l'auteur.

Il faut concéder à D'Agostino que notre époque a été marquée par une judiciarisation des problèmes d'ordre éthique et qu'un des risques qui accompagnent cette tendance est la perte du “ soi éthique ”. D'où l'importance de promouvoir ce “ soi éthique ” en offrant des espaces de dialogue éthique où chacun peut se découvrir une voix en recevant la parole de l'autre. Les comités de bioéthique incarnent justement ce dialogue et il importe, comme le fait l'auteur, de projeter la bioéthique dans cet horizon de sens afin qu'elle ne sombre pas dans “ l'ennui ” de la délibération à vide.