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Jean-Charles Bonenfant et l'Esprit des institutions, Sous la direction de Patrick Taillon Amélie Binette et Guy Laforest, Québec : Presses de l'Université Laval, 2018, pp.462

Published online by Cambridge University Press:  31 October 2019

Benoît Morissette*
Affiliation:
Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2019

Cette anthologie critique rassemble dix articles condensant l'essentiel des réflexions de Jean-Charles Bonenfant sur le fédéralisme et le parlementarisme canadien. Les textes de l'ancien directeur de la Bibliothèque de l'Assemblée législative, devenu professeur de droit à l'Université Laval, ont été rédigés entre 1962 et 1977. Ces interventions sont accompagnées d'une dizaine d'essais critiques, écrits par des auteurs issus du droit, de l'histoire, de la sociologie et de la science politique. Parmi ces analyses, certaines rappellent que Bonenfant appartenait à un groupe de penseurs qui concevaient le régime fédéral comme un rempart contre l'américanisation du Canada. D'après eux, le durcissement des relations entre les deux peuples fondateurs, dans les années qui précèderont la Commission Laurendeau-Dunton, fragilisait l'existence d'une fédération qu'ils proposaient de réformer.

La contribution de Bonenfant au fédéralisme canadien procède d'une démarche intellectuelle voulant que l'histoire « nous aide à comprendre et à corriger le présent » (154). C'est précisément dans cette perspective qu'il examine les débats des Pères de la Confédération. Son interprétation soutient qu’à l'origine, l'AANB était compris comme un « traité » entre les deux peuples fondateurs. Les termes de ce pacte ont été fixés « à un moment où le bon État intervenait le moins possible » (255). Durant les décennies subséquentes, les deux ordres de gouvernement agiront dans des sphères dont les limites n’étaient pas circonscrites par la Constitution. Devant l'accaparement de nouveaux pouvoirs par Ottawa, les provinces, dont le Québec, ont revendiquer l'accroissement de leur autonomie politique. En l'absence d'un mécanisme d'amendement enchâssé dans la loi fondamentale, celles-ci ne disposent d'aucune institution leur permettant de réformer la Constitution, pour restreindre ou élargir la portée des actions du gouvernement central. La « vocation manquée du Sénat » les prive d'un autre levier leur permettant d'influencer la direction des affaires communes.

Faute d'institutions propices à la participation des provinces à la politique fédérale, c'est à la Cour suprême qu'est revenu le rôle de trancher les litiges intergouvernementaux. Trouvant à sa disposition une Constitution écrite datée, cette dernière peut sentir l'obligation de la rédiger à nouveau, pour l'adapter aux circonstances nouvelles. Ce mode de résolution des différends pose toutefois un danger à la stabilité de l’État. Le gouvernement fédéral et les provinces, qui représentent les peuples et les régions du pays, défendent généralement des interprétations concurrentes de la Constitution. Au Québec, la Cour est perçue, à tort et à raison, tel un instrument servant un gouvernement fédéral dominé par la majorité anglophone. Une évolution constitutionnelle s'effectuant par décisions judiciaires risque ainsi de produire des règles qui, malgré leur légalité, souffriront d'un défaut de légitimité politique, contredisant en apparence « l'esprit de traité » propre au fédéralisme. Pour éviter cet écueil, Bonenfant insiste sur l'urgence d'enchâsser une procédure d'amendement constitutionnel.

Les institutions parlementaires doivent aussi s'adapter à l'expansion de l'appareil gouvernemental. La législation représente maintenant une activité continuelle, à laquelle participent surtout les membres du cabinet, des technocrates, des groupes de pressions et des élus locaux. Si leur rôle dans l’élaboration des lois s'est amoindrit avec l'essor de l’État-providence, la disparition du patronage a emporté avec elle leur fonction d'intermédiaire entre la puissance publique et les électeurs. Ces changements exigent une redéfinition du travail des députés. Désormais, la majorité des politiciens sont appelés à remplir la tâche de « contrôleur », surveillant les décisions de la machine administrative, pour « protéger l'individu en face d'un État qui devient nécessairement de plus en plus puissant » (327). Sans une profonde réforme du parlementarisme, qui viendrait accroître le contrôle exercé par les députés sur l'appareil gouvernemental, les citoyens se trouveront éventuellement sans ressource devant une puissance publique omnipotente.

Comme l'exemplifie l'essai du sociologue Jacques Beauchemin, le fédéralisme québécois est souvent considéré comme une posture oscillante entre « le bon-ententisme » (81) et « l'acceptation indolente d'un état des choses qui ne rend pas trop malheureux » (93). La pensée qu'on découvre dans cette anthologie complexifie cette interprétation. Elle démontre que la défense du régime fédéral relève d'une compréhension particulière des rapports entre une constitution et les propriétés de la société qu'elle gouverne. Bonenfant soutient effectivement qu'un État ne peut se préserver qu’à la condition de jouir de l'appui de sa population. Beauchemin, de même Jean Leclair et Valérie Lapointe-Gagnon, soulignent ainsi que l'histoire enseignait à Bonenfant que les Canadiens français s'identifiaient jusqu'alors à deux nations : le Québec et le Canada. Leur allégeance à ces « vouloir-vivre collectifs » (54) varierait selon les événements rythmant le cours de la politique. En réformant ses institutions fédérales, héritées d'une autre époque, pour les adapter à la réalité actuelle, la société politique canadienne favoriserait la réalisation des citoyens, en facilitant la coexistence des collectivités auxquelles ils s'attachent. L’État fédéral parviendrait dès lors à obtenir de nouveau l'appui des deux peuples qu'il regroupe.

Or, l'identité de ces groupes, ainsi que la loyauté de leurs membres, se transformera inévitablement dans l'avenir, poursuit Bonenfant. La nation serait appelée à disparaître; déjà les individus semblent lui préférer leur appartenance à des groupes concurrents, comme leur religion. Bientôt, ils se définiront d'abord comme membres de l'humanité. L'avènement de tels phénomènes exigeront à leur tour de nouvelles transformations constitutionnelles, qui veilleront à l'harmonisation des institutions politiques aux nouvelles mœurs sociales, à l'origine de nouveaux besoins, afin de protéger la liberté individuelle, qui favorise l’épanouissement personnel. L'actualité de la pensée de Bonenfant se révèle ainsi dans une démarche qui pense la politique à partir des collectivités auxquelles les citoyens s'identifient réellement, plutôt qu'une réflexion visant à déterminer une fois pour toutes le groupe auquel ils devraient appartenir.