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Hybridité politique et résistances dans les pays du Sud. Trajectoires inattendues de la démocratie localeNancy Thede (dir), Karthala, Paris, 2015, 272 pages.

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Hybridité politique et résistances dans les pays du Sud. Trajectoires inattendues de la démocratie locale Nancy Thede (dir), Karthala, Paris, 2015, 272 pages.

Published online by Cambridge University Press:  11 May 2016

Boniface Bahi*
Affiliation:
Université de l'Alberta
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Reviews/Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2016 

Hybridité politique et résistances traite des enjeux de la décentralisation sociopolitique dans les pays du Sud autour de la fin des années 1980 et du début des années 1990. À un niveau plus précis, les auteurs interrogent les conditions d’émergence et l'animation de nouveaux processus de communalisation rurale ou d'extension de la démocratie nationale aux populations locales. Ils cherchent à répondre aux questions liées aux mutations sociales et politiques qui surgissent du nouveau transfert de pouvoir démocratique, qui a des répercussions sur les conditions d'organisation de l’État national, sur les modes d'exercice du pouvoir et sur le développement de la société dans son ensemble.

En analysant l’émergence de la démocratie locale à travers la mise en place de municipalités, le texte de Nancy Thede insiste sur les structures organisationnelles en attente dans les régions rurales et qui prennent leur origine dans la révolution bolivienne de 1952. Ce sont les déterminants sociopolitiques de l'arène politique locale où les nouveaux agents politiques s'expriment à travers les syndicats des paysans et des structures communautaires autochtones. C'est une forme inattendue de réappropriation de la démocratie nationale. C'est un enjeu nodal de toute la culture politique bolivienne sur un horizon à la fois diachronique et synchronique. Cette dispersion du pouvoir politique à des niveaux corporatistes se retrouve à Touba, au Sénégal, mais sur un versant religieux, dans le chapitre de Mountaga Diagne.

L’étude de la démocratisation locale portant sur Touba révèle une arène politique locale où le principe hiérarchique est en jeu à travers une prépondérance religieuse de la confrérie des Mourides, qui constituent l'agent politique dominant. Ce pouvoir religieux qui s'enracine traditionnellement dans l’économie agricole s'approprie les voies d'expression et d'animation de la démocratie locale en imposant des consignes de vote devant favoriser des candidats à la mairie, maire et conseillers municipaux. Cela confère un pouvoir symbolique bien structuré à la confrérie Mouride à travers ses dirigeants et fausse tout le jeu démocratique postcolonial au sens où ce ne sont pas des compétences politiques avérées qui deviennent les supports pour choisir les dirigeants élus. Ce face-à-face de dispositifs structurels sociopolitiques anciens avec les nouveaux horizons démocratiques se particularise au Mali dans la gestion foncière.

L'objectif du processus de la communalisation au Mali, explique Simon Godin-Bilodeau, était en arrière-fond une sorte de délégation de prérogatives de puissance publique, dont la gestion foncière, aux pouvoirs municipaux locaux. Cela relevait de motivations à la fois nationales et internationales. Le souhait était que ces pouvoirs s’émancipent des ancrages coutumiers et des procédures administratives nationales au profit du bien-être des populations rurales. Malgré le nouveau contexte de la communalisation locale, la gestion foncière se fait à deux vitesses, de façon parallèle et concurrentielle entre les autorités municipales locales et des chefferies lignagères. Il arrive que la bordure administrative ne soit plus là quand le chef coutumier est aussi le responsable administratif. C'est une interface mal ficelée au sens où il devient un lieu de fusion du formel administratif et de l'informel coutumier. Il y a là une arène politique locale hybride avec des agents politiques non seulement concurrentiels, mais parfois indifférenciés.

Au Bénin (chapitre de Brice A. Davakan), nous sommes dans une perspective où l’État africain s'inspire du modèle occidental d’État-nation unitaire et centralisateur dans un contexte de pluralisme ethnique, régional et culturel. Cette vision produit des régimes politiques autoritaires aux abus indélébiles sur les populations. Le début des années 1990 produit un élan de décentralisation tributaire d'une démocratisation éprouvée par des identités sociales ethniques locales. L'expérimentation démocratique nouvelle amorce une inflation de réseaux de solidarité qui partent de l'intragroupe à l'extragroupe.

Cet étirement inattendu des voies politiques nouvelles au Bénin se démarque de l'appropriation autochtone de la gouvernance politique aux Andes (John D. Cameron), soit la Bolivie, le Pérou et l’Équateur. L'ancrage autochtone de ces populations offre un fond commun d'analyse relative aux nouvelles formes de gouvernance à deux épaisseurs : la conquête de la gouvernance municipale locale et la quête d'harmonisation de cette gouvernance avec des principes autochtones de gestion de la quotidienneté. L'hybridation gouvernante autochtone semble se maintenir et s'entretenir par l'attachement culturel fort de ces populations. Cette hybridation reste sur un élan progressif en termes de construction, déconstruction et reconstruction politiques.

En somme, une véritable question demeure : quel est le fondement des processus de la décentralisation? Certes, le cas du Mali semble présenter quelques explications en termes d'exigence internationale de bonne gouvernance qui passerait par la décentralisation et d'un souci au plan national de recherche d'efficacité gouvernante. Une réalité demeure : celle de la paupérisation des États du Sud par des politiques de Programmes d'Ajustements Structurels (PAS). Les États du Sud, pourvoyeurs principaux pour les plans de développement n'ayant plus les moyens de maintenir ce type de gouvernance, il fallait chercher des voies permettant aux populations locales de se prendre en charge d'une certaine façon, d'où la voie de la décentralisation. Cet exercice comparatif mis de l'avant dans cette monographie demeure instructif.