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Grève et paix. Une histoire des lois spéciales au Québec Martin Petitclerc et Martin Rober, Montréal : Lux Éditeur, 2018, pp.280

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Grève et paix. Une histoire des lois spéciales au Québec Martin Petitclerc et Martin Rober, Montréal : Lux Éditeur, 2018, pp.280

Published online by Cambridge University Press:  29 January 2020

Pierre Avignon*
Affiliation:
Fédération des enseignantes et enseignants de cégeps (FEC-CSQ)
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2020

Malgré sa reconnaissance légale au milieu du XXe siècle au Québec comme au Canada —et alors qu'elle n’était ni autorisée ni interdite auparavant—, la grève est loin d'avoir été facilitée par les pouvoirs publics. En retraçant l'histoire des lois spéciales (des interventions législatives normalement exceptionnelles), les auteurs de l'ouvrage intitulé Grève et paix rappellent l'existence d'un mouvement contradictoire allant de l'adoption, par l’État, de règles encadrant l'exercice légal de la grève, à des interventions législatives de ce même État pour en limiter l'application. L'exercice proposé par Martin Petitclerc et Martin Robert permet de mieux comprendre comment se sont institutionnalisées les relations de travail devant permettre le maintien de l'ordre social contre une amélioration des salaires et des conditions de travail. En somme, l'ouvrage rend compte, en partie, de la mise en œuvre du compromis fordiste au Québec.

Moyen d'action central du mouvement syndical, la grève, comme le rappellent les auteurs, « a indéniablement joué un rôle essentiel dans la lutte contre les inégalités sociales » (12) depuis le XIXe siècle. C'est bien sous l'impulsion de ce même mouvement, et à la faveur de la montée du communisme, que le gouvernement du Québec a adopté en 1944 la Loi sur les relations ouvrières qui reconnaît le régime d'accréditation syndicale et l'obligation de négocier de bonne foi, excluant toutefois une bonne partie des travailleuses et des travailleurs, dont celles et ceux du secteur public. Ce n'est toutefois que quelques années plus tard que l'histoire des lois spéciales qui nous est présentée débute. « Depuis l'adoption du Code du travail du Québec en 1964, 42 projets de lois spéciales ont été adoptés dans le cadre de conflits de travail afin de suspendre le droit de grève, d'ordonner le retour au travail et de menacer les contrevenants de pénalités d'une grande sévérité » (11). L'histoire de l'intervention de l’État pour limiter l'exercice de la grève débute donc de manière concomitante à sa pleine reconnaissance par le législateur. C'est en effet à partir de cette période que les employés des hôpitaux, des commissions scolaires, des municipalités puis de l'ensemble des enseignants et des fonctionnaires obtiennent le droit de faire la grève selon un processus détaillé, voire rigide.

Une description bien documentée et périodisée est par la suite proposée aux lecteurs débutant en 1965 avec la Loi modifiant la Loi de la Régie des transports jusqu’à la Loi assurant la reprise des travaux dans l'industrie de la construction en 2017. On apprend ainsi que ces lois spéciales ont été plus nombreuses au Québec qu'au Canada, qu'elles ont été de plus en plus répressives et que tous les partis ayant été au pouvoir s'en sont prévalus à un moment ou à autre de leur mandat. L'ensemble de ces éléments fait donc dire aux auteurs qu'un régime « d'exceptionnalisme permanent », notion empruntée à Panitch et Swartz, s'est installé au fil des ans ce qui n'a pas été sans effet sur le mouvement syndical. Pour Martin Petitclerc et Martin Robert : « En créant une conjoncture systématiquement défavorable à la grève, la loi d'exception a grandement contribué à disqualifier son exercice et à marginaliser le syndicalisme sur le plan politique » (215). De l'emprisonnement des chefs syndicaux à la tête de la négociation du service public (refusant d'obéir aux injonctions en 1972), à la défiance des infirmières en 1999, en passant par le dur coup porté par le Parti québécois en 1983 (baisse salariale de 20 pour cent), la multiplication des lois spéciales a, en effet, affaibli le mouvement syndical au cœur de sa capacité d'action. À cela s'ajoutent d'autres dispositions légales allant dans le même sens comme l'adoption d'une loi sur les services essentiels. Tel que mentionné dans l'ouvrage, le durcissement des interventions gouvernementales s'est effectué parallèlement à la montée du néolibéralisme. Cette transformation du mode d'intervention étatique expliquant en partie la « disqualification » des syndicats mentionnée par les auteurs.

Il est toutefois nécessaire, comme on peut justement le constater dans l'ouvrage, de souligner plus en détail les mesures répressives contenues dans ces lois pour mieux comprendre pourquoi elles ont pu dissuader tant les membres que leurs organisations d'avoir recours à la désobéissance civile. Plusieurs exemples marquants sont ainsi présentés, notamment la menace d'amputer de 10 pour cent le salaire des infirmières pour chaque jour de grève illégale en 1999 ou encore les dispositions de la loi 111 de 1983 dans le domaine de l’éducation. Cette dernière prévoyait la perte de trois années d'ancienneté pour chaque jour de grève ou des amendes quotidiennes allant jusqu’à 10 000 $ pour les élus syndicaux et 50 000 $ pour les organisations.

Le livre Grève et paix constitue donc un ouvrage de référence pour quiconque s'intéresse au mouvement syndical québécois. Toutefois, on peut se demander si la volonté des auteurs de « mieux comprendre la dimension politique » (16) de l'utilisation des lois spéciales est pleinement atteinte. Il apparaît en effet limité de considérer seulement les lois spéciales pour tirer des conclusions sur l’état du mouvement syndical. Le mouvement syndical est, en effet, loin d’être homogène, ce qui rend toute généralisation délicate. Ses différents visages se reflètent par une multitude d'ententes dites « sectorielles », non seulement dans le secteur privé mais également dans le secteur public, qui sont souvent moins médiatisées que les grands enjeux salariaux intersectoriels. Afin de mesurer pleinement le chemin parcouru, un portrait de ces ententes et de leurs effets sur les conditions de travail aurait été utile. Le taux de syndicalisation, le nombre d'ententes négociées par rapport aux ententes imposées et le nombre de conflits de travail auraient, par exemple, pu permettre de mettre en perspective les conclusions des auteurs. Des gains ont notamment été possibles au travers de toutes ces législations d'exception. Cela nous amène donc à nous interroger sur les effets d'un rapport de force favorable à une organisation syndicale : un tel rapport se traduit-il par l'exercice du droit de grève ou plutôt par la capacité de négocier une entente satisfaisante pour ses membres sans avoir à utiliser ce moyen d'action? Par ailleurs, il convient de s'interroger sur la direction du lien de causalité. Est-ce que ce sont les lois spéciales qui ont affaibli le mouvement syndical ou leur adoption a-t-elle au contraire été rendue possible par un affaiblissement du syndicalisme provoqué par un changement de contexte socioéconomique et par son institutionnalisation? Voici des pistes de réflexion qui demandent à être explorées pour mettre en perspective cette dense histoire québécoise des lois spéciales.