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Géopolitique des ressources minières en Asie du Sud-Est. Trajectoires plurielles et incertaines–Indonésie, Laos et Viêt-Nam. Éric Mottet , Frédéric Lasserre et Barthélémy Courmont Presses de l'Université du Québec, Québec, 2015, 266 pages

Published online by Cambridge University Press:  19 September 2016

Jozef Fleury-Berthiaume*
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews/Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2016 

Alors que les prix des ressources minières atteignent des sommets sans précédent depuis le début des années 2000, l'intégration régionale des marchés et la mondialisation « constituent le contexte qui façonne les enjeux de pouvoir à divers échelles » (16). Considérant l'évolution rapide du secteur minier et de l'Asie du Sud-Est, les auteurs proposent au lecteur « moyen ou érudit » (7) une meilleure compréhension de la géopolitique minière de la région, qui tient un rôle majeur dans le développement de nombreux pays. Les trajectoires sont plurielles et loin d’être dessinées par les gouvernements. Une analyse géopolitique stato-centrée ne saurait, par ailleurs, rendre compte de la complexité du caractère conflictuel de l'exploitation des ressources minières. Il s'agit donc d'une analyse des interactions entre différents acteurs, de leurs discours et des représentations qui les accompagnent. Sont mis ainsi en exergue les enjeux socioenvironnementaux, stratégiques, politico-économiques et culturels, tout en les rattachant aux dynamiques locales, régionales et internationales. L'objet de cette analyse comparée, illustrée par trois cas à l'étude (Laos, Indonésie et Viêt-Nam), est de faire ressortir un ensemble de déterminants dans les choix géopolitiques des divers acteurs que sont les États, les communautés et organisations politiques et la société dans son ensemble ainsi que les groupes constitués, groupes de pression, entreprises, acteurs socioéconomiques, minorités ethniques et sociales. On souligne l'émergence de ces nouveaux acteurs (organisations internationales gouvernementales, organisations non gouvernementales et autres groupes d'intérêts locaux) qui « ont contribué au renforcement de la complexité du secteur et à la multiplication des représentations » (13).

L'ouvrage tente de dresser un portrait global d'une réalité diffuse, composée de perspectives fort variées selon les positions, les stratégies et les sensibilités de chacun. L'approche multidisciplinaire vise l'intégration d'enjeux géopolitiques qui affectent ou sont affectés par tous. On pense aux questions ethnoculturelles et enjeux environnementaux; aux nationalismes, politiques protectionnistes et règlementations fiscales; à la décentralisation et la démocratisation de la corruption (127); aux normes internationales en matière de droits humains, d'investissement et de responsabilité sociale des entreprises; à la demande mondiale et aux fluctuations des marchés; aux reconfigurations territoriales liées à l'exploration minière; au rôle particulier joué par la Chine dans la région et les liens de dépendance à l’égard de sa demande intérieure, et ainsi de suite. Le portrait complexe du secteur minier qu'offrent les auteurs permet d'appréhender la particularité propre à chacun des cas à l'étude. Cela permet de saisir, par exemple, l'impact de la politique des transmigrations sur l'exploitation des ressources naturelles en Indonésie, « projet d'intégration nationale à grande échelle et visant à répartir de manière plus équitable les populations dans l'archipel » (73). Sont aussi abordées la question sécuritaire et la privatisation de la violence liées aux tensions ethniques entre les Hmong et le gouvernement laotien dans l'une des deux plus importantes zones d'exploitation minière. Ces tensions sont ravivées par les faibles retombées économiques des projets miniers et ce, en dépit des systèmes d'atténuation et de compensation destinées aux populations locales (169).

La question posée n'est pas de permettre ou d'interdire l'exploitation minière mais bien de décider comment la faire, notamment dans des régions enclavées et difficiles d'accès. Comment exploiter les ressources minières et selon quel modèle de gouvernance adapté à une réalité actuelle, mouvante et singulière? À ce titre, il aurait été utile de définir d'une part, ce qu'on entend par le modèle développementaliste instauré par les gouvernements de la région et d'autre part, d'aborder la question délicate de la définition du dit développement en tant que tel. Préciser cette « prémisse développementaliste » permettrait au lecteur de saisir la source des questions émises avec justesse par les auteurs que ce soit sur le rôle de l'industrie minière et sa forme juridique, sur les formes que prend le débat géopolitique ou sur les retombées économiques, sanitaires et environnementales.

Les auteurs semblent se buter à une tension irréconciliable à plusieurs moments, entre les externalités négatives de l'exploitation des ressources minières et les retombées économiques réelles, notamment en matière d'emplois directs et indirects. Leur position est ambivalente, à la fois critique et consensuelle, « coincée » entre la défense des impératifs économiques du développement de l'industrie minière et la nécessité d'en dénoncer les pratiques. En conclusion, une position moins nuancée est prise face aux répercussions sociales et environnementales négatives de l'industrie, tout en incombant une partie du fardeau au manque de volonté politique des États et au manque de clarté des lois minières. Les auteurs mettent toutefois bien en évidence la « désillusion socioenvironnementale » (237). Ils octroient une place significative aux enjeux environnementaux qui sont au cœur des oppositions et dans l’air du temps, du moins dans les pratiques discursives de l'industrie et de ses détracteurs. Ces enjeux représentent d'ailleurs un vecteur d’élargissement des revendications de nature différente (culturelle, sociale, etc.) À juste titre, on fait appel à des concepts novateurs dans ce contexte tels que l’écoterrorisme (96)–celui des entreprises et non des militants écologistes–et le racisme environnemental (93), qui constituent des pistes stimulantes à explorer dans une perspective plus critique que celle de cet ouvrage.