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French Kiss : le rendez-vous de Stephen Harper avec le Québec

Published online by Cambridge University Press:  07 March 2008

Yves Laberge
Affiliation:
Québec, Québec
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French Kiss : le rendez-vous de Stephen Harper avec le Québec, Chantal Hébert, Montréal, Éditions de l'Homme, 2007, 326 pages.

Ce premier livre de la journaliste Chantal Hébert est la traduction de French Kiss: Stephen Harper's Blind Date With Quebec, qui est paru presque simultanément. Depuis quinze ans, Chantal Hébert rédige d'excellentes chroniques politiques pour des quotidiens comme le Toronto Star et Le Devoir; en outre, elle apparaît souvent à la télévision en tant que spécialiste de la politique fédérale. Il ne faudrait pas la confondre avec une autre Chantal Hébert, qui est spécialiste de l'histoire du théâtre burlesque québécois, à l'Université Laval, et qui a publié deux livres importants dans son domaine.

Type
REVIEWS / RECENSIONS
Copyright
© 2008 Canadian Political Science Association

Ce premier livre de la journaliste Chantal Hébert est la traduction de French Kiss: Stephen Harper's Blind Date With Quebec, qui est paru presque simultanément. Depuis quinze ans, Chantal Hébert rédige d'excellentes chroniques politiques pour des quotidiens comme le Toronto Star et Le Devoir; en outre, elle apparaît souvent à la télévision en tant que spécialiste de la politique fédérale. Il ne faudrait pas la confondre avec une autre Chantal Hébert, qui est spécialiste de l'histoire du théâtre burlesque québécois, à l'Université Laval, et qui a publié deux livres importants dans son domaine.

En bref, French Kiss tente entre autres de répondre à la question que beaucoup d'observateurs se posaient au lendemain de l'élection fédérale de janvier 2006 : “Comment expliquer la victoire du Parti conservateur et surtout sa percée inattendue au Québec?” Pour Chantal Hébert, plusieurs circonstances ont favorisé ce changement de gouvernement, mais on pourrait presque les réduire à deux faits : la débâcle du Parti libéral du Canada et l'effritement du soutien d'une partie des électeurs au Bloc Québécois. En 2006, le vote s'opposant au Parti libéral s'est réparti autrement, tout en demeurant profondément divisé : “Et contrairement à Gilles Duceppe, Harper pouvait se présenter aux électeurs comme un aspirant premier ministre” (66). Plus loin, Chantal Hébert ajoute que Stephen Harper n'a pas promis plus d'argent, mais a donné l'assurance “de pratiquer un fédéralisme plus ouvert, plus respectueux des provinces” (221).

L'ouvrage se subdivise en 28 chapitres étoffés qui dépassent le contenu d'une simple chronique d'un quotidien; le propos y est beaucoup plus approfondi, nuancé, circonscrit. On comprend, au fil des pages, que ce livre est d'abord destiné à un lectorat non-francophone voulant mieux saisir le Québec, ou plutôt, mieux comprendre les balancements de l'opinion publique québécoise depuis une trentaine d'années (voir par exemple le chapitre 14 sur le dynamisme du Québec à l'étranger). Ainsi, afin d'expliquer la résistance manifestée par l'électorat québécois de la plupart des régions envers tous les partis fédéralistes depuis quinze ans, Chantal Hébert propose un constat provisoire : “malgré une pluie de subventions qui s'était abattue sur le Québec francophone après le référendum, la moisson de députés fédéralistes n'a guère été plus riche”. Poursuivant aussitôt son diagnostic, elle affirme que “les libéraux fédéraux se sont lancés plus souvent qu'autrement à la poursuite des mauvaises cibles” (220).

Comparé à des essais du même type publiés antérieurement, French Kiss rehausse le niveau des ouvrages sur la politique et confirme le talent exceptionnel de journaliste de Chantal Hébert. En lisant le livre pour la première fois, je craignais d'y retrouver une suite de chroniques juxtaposées et décontextualisées, comme dans certains ouvrages surestimés provenant de la plume de chroniqueuses des années 1980 et qui étaient franchement mauvais. Je pense par exemple à Chroniques politiques de Lysiane Gagnon, ou encore à La passion du présent de Lise Bissonnette. Or, cette fois-ci, je ne fus pas déçu. Au contraire, Chantal Hébert fait preuve d'une grande rigueur et d'un sens inégalé de l'analyse, que l'on ne trouve pas ailleurs dans les médias canadiens, sauf parfois chez Michel Vastel, et encore moins dans les deux ouvrages pénibles déjà mentionnés. En ce sens, le travail journalistique de Chantal Hébert restera exemplaire. Consciente que son propos ne traitera plus entièrement de l'actualité, mais plutôt de l'histoire qui se fait, elle apporte la contextualisation et l'analyse avec une grande acuité. Elle explique en des termes clairs que la division de l'opposition sur la scène fédérale a permis au Parti libéral du Canada de se maintenir au pouvoir durant plus d'une décennie (153); ailleurs, elle reprend l'hypothèse voulant qu'il soit impossible pour un parti politique “de gagner le Canada sans gagner le Québec” (243). De plus, elle rappelle au passage de nombreux faits inédits que beaucoup de journalistes de la tribune parlementaire n'ont pas connus ou auraient oubliés. Elle précise, par exemple, qu'avant l'arrivée du Bloc québécois, en 1993, les débats en Chambre se déroulaient presque toujours uniquement en anglais (208). Enfin, certains chapitres abordent des questions relevant des relations internationales, comme le chapitre 16, portant sur le triangle entre la France, le Québec et le Canada.

Malgré son titre imparfait et inapproprié, French Kiss ne saurait être réduit à une étude centrée exclusivement sur le Premier ministre actuel, son entourage, ou son parti. Il y est également question de tous les partis politiques et de leurs chefs successifs, tant sur la scène fédérale que québécoise, depuis vingt ans. Il ne s'agit pas non plus d'une biographie politique, ni d'un ouvrage d'investigation qui révélerait les dessous du fonctionnement d'un parti. Pas de révélations, ni de secrets mis à jour, ni de nouvelle théorie, mais une analyse intelligente et souvent instructive sur les stratégies respectives des partis et sur les mouvances de l'opinion publique. En somme, l'ouvrage de Chantal Hébert repose sur deux éléments principaux, toujours renouvelés : les événements politiques et le sens qu'on peut leur attribuer pour pouvoir les interpréter. On retrouve, bien sûr, dans certains passages une part d'anticipation et d'hypothèses, par exemple à propos de ce que l'évolution du Canada eût été dans certaines circonstances : “si de nouvelles élections avaient eu lieu à l'été 2006” (132) ou “si l'accord du lac Meech était passé” (265). Mais les journalistes qui commentent les réactions quotidiennes des marchés financiers ne procèdent pas autrement. En outre, la présence d'une conclusion permet de distinguer ce livre pleinement réussi d'un simple recueil d'articles, ce qu'il n'est absolument pas.

À sa manière, ce livre illustre comment l'actualité de chaque jour peut passer progressivement à l'histoire, au fur et à mesure, mais il démontre aussi que des faits épars peuvent constituer un récit cohérent lorsqu'on prend du recul pour mettre en perspective une série de faits reliés entre eux. À maints endroits, l'écriture habile de Chantal Hébert donne au récit qu'elle aménage le rythme et les rebondissements d'un bon roman, bien que les circonstances réelles au cours des trois dernières décennies l'aient particulièrement aidée à construire la trame de son livre. Mais ce sont les analyses pertinentes qui donnent à l'ouvrage toute sa saveur et qui en font la qualité. Par ailleurs, et ce serait ma seule réserve, French Kiss ne prétend pas se substituer aux livres d'histoire ou aux rapports ministériels, et de ce fait, le livre ne contient pas de source précisée, pas de référence bibliographique en bas de page, ni même de bibliographie. Les nombreux chiffres et les statistiques mentionnés, par exemple sur les niveaux d'émission de gaz à effet de serre entre 1990 et 2006, sont à prendre comme on ferait un acte de foi (84). Les seules références que l'on trouve sont mentionnées dans le texte, sans appel de notes, et apparaissent laconiquement : un sondage de telle firme, une recherche sur Google (306). Mais en dépit de ces lacunes bibliographiques (que l'on ne pardonnerait pas dans des cours de niveau collégial ou de premier cycle), l'essai de Chantal Hébert me semble exemplaire et conviendra aux étudiants en science politique, en histoire, en communication politique, en éducation à la citoyenneté et en études canadiennes, mais surtout aux journalistes, actuels et futurs.