Femmes et Parlements se donne comme objectif de présenter un état des lieux des droits politiques des femmes et de leur présence dans les assemblées législatives, et d'examiner les mesures prises par les États et les partis en vue d'accroître la participation politique des femmes dans 37 pays répartis sur les cinq continents. Cet ouvrage collectif, qui rassemble des textes de 34 auteurs, spécialistes de différents pays, sous la coordination de Manon Tremblay, professeure à l'Université d'Ottawa, s'inscrit dans un débat engagé depuis environ vingt ans quant à la présence des femmes dans les instances représentatives (cf. Projets féministes, no spécial “ Actualité de la parité ”, février 1996). On s'est aperçu que, si les femmes ont obtenu le droit de vote et d'éligibilité dans les démocraties représentatives, leur présence numérique dans les assemblées législatives progresse lentement. L'objectif récent de la “ parité ” adopté par des mouvements féministes et quelques partis politiques résulte du constat que l'égalité en droit acquise entre hommes et femmes n'a pas apporté ce qu'elle était censée apporter en matière d'égale représentation des hommes et des femmes en politique. Un certain nombre d'États ont élaboré des cadres législatifs destinés à promouvoir la féminisation de leurs institutions représentatives.
Dans ce recueil, on a choisi de ne traiter que de la présence des femmes dans les parlements nationaux, qui correspondent à l'échelon le plus élevé de l'autorité législative de l'État, et non pas, par exemple, de leur présence dans les instances régionales ou municipales. Les auteurs fournissent des analyses concrètes du fonctionnement des systèmes politiques, des mécanismes d'exclusion et d'inclusion des femmes dans les instances représentatives et des actions étatiques et partisanes visant à surmonter les obstacles à l'élection des femmes.
Cinq textes sur l'Afrique ouvrent le volume (Afrique du Sud, Égypte, Rwanda, Sénégal et Tunisie). La proportion des femmes parlementaires y va de 48,8 % au Rwanda à 2,9 % en Égypte. Les élections d'octobre 2003 au Rwanda—les premières élections législatives tenues après le génocide—ont permis la formation d'un parlement quasi-paritaire. Le Rwanda se classe au premier rang mondial en ce qui concerne la représentation des femmes dans les parlements. Powley analyse cette évolution sous l'angle des mesures concrètes constitutionnelles et législatives mises en place pour accroître le nombre des femmes élues (entre autres, la réservation d'un taux de sièges à la Chambre des députés, p. 115) et des actions conjointes des organisations de femmes et du gouvernement rwandais (plus précisément, du Front patriotique rwandais au pouvoir). Plusieurs États de l'Afrique sub-saharienne ont adopté, au cours des dernières années, des formes de quotas et le taux des femmes parlementaires s'accroît dans cette partie du monde plus rapidement que dans d'autres régions (p. 126). Cette avancée dans le champ de la représentation politique peut cependant cacher le fait qu'un rôle secondaire continue à être assigné aux femmes dans la société, comme le laissent entendre Ba et Diop dans leur texte sur le Sénégal. Parmi les pays du Maghreb et les pays d'Asie qui ont incorporé des lois religieuses islamiques à l'ordre public, la Tunisie fait figure d'exception avec un taux de 22,8 % de femmes parlementaires. K. Cherif considère que ce chiffre est peu indicatif de l'exercice de la citoyenneté de plein droit par les femmes tunisiennes et que les femmes qui entrent au parlement sont tenues à l'écart des décisions significatives qui pèsent sur l'ensemble de la société. L'État tunisien, soucieux de se présenter sur la scène internationale comme un État “ moderne ” et de contrer à l'intérieur la contestation islamiste, instrumentalise l'intégration des femmes dans l'espace politique.
En Asie, le Bangladesh et le Pakistan ont établi un système de “ sièges réservés ” aux femmes. L'Inde utilise la même méthode dans les instances locales. Au Pakistan, cette politique a permis de passer, selon Abou Zahab, de 1,8 % en 1993 à 21,3 % de femmes parlementaires en 2005. Elle signale néanmoins que les femmes élues aux sièges généraux sont pour la plupart le “ prête-nom ” de leur mari, ou d'un parent qui est dans l'incapacité de se présenter (p. 281). Les sièges réservés conduisent à produire une classe politique de femmes élues par “ procuration ”, privées de base électorale réelle et recrutées dans des familles politiques établies (p. 285). Un large éventail de pays d'Asie et d'Océanie aux réalités sociales, économiques et politiques très diverses sont abordés dans cette section du volume (Israël, Palestine, Iran, Corée du Sud, Japon, Taiwan, Nouvelle-Zélande et Australie). L'Australie et la Nouvelle-Zélande affichent les plus forts taux de femmes parlementaires parmi ces pays (24,7 % et 28,3 %). Le nombre de femmes députées est bas en Israël (15 %) où en dépit de la rhétorique nationale sur l'égalité entre hommes et femmes (Golan et Hermann, p. 253), les femmes sont systématiquement tenues à l'écart des décisions importantes et, jusqu'à nos jours, les femmes élues font rarement partie des comités chargés d'examiner les questions de “ haute politique ”, telles que les finances et les affaires étrangères (p. 265).
En Amérique latine, le taux de participation des femmes aux institutions représentatives reste bas, mais il a augmenté au cours des années 1990. Les trois pays sud-américains étudiés, le Brésil, le Pérou, et le Mexique, ont adopté un système de quotas législatifs pour favoriser l'élection des femmes, qui établit un plancher de 30 % de chaque sexe dans les listes électorales. Cette politique a donné des résultats, mais comme le souligne Navarro Swain pour le Brésil, il ne faut pas surestimer la portée de ces mesures. Dans ce pays, loin d'atteindre le taux de 30 %, les femmes élues n'ont pas dépassé le seuil de 10 % à la Chambre basse aux premières élections après la mise en application des quotas en 2002.
En 2005, le taux de femmes parlementaires était de 21,1 % au Canada et de 15 % aux États-Unis. Ces deux pays n'ont introduit aucune mesure législative pour accroître le nombre de femmes élues. Swers décrit les blocages que le système électoral des États-Unis oppose aux candidates en favorisant les membres sortants du Congrès, mais signale aussi la pénurie de femmes qualifiées disposées à se porter candidates, du fait d'une division sexuelle du travail qui les rend les principales responsables du soin des enfants (p. 444).
En Europe (16 pays européens sont analysés dans le volume), les pays scandinaves ont été pendant de nombreuses années considérés comme des modèles quant à la promotion de l'égalité des sexes. Bergqvist attribue l'entrée d'un grand nombre de femmes en politique, depuis les années 1970, à leur participation massive au marché du travail dans un contexte d'expansion du modèle scandinave de l'État-providence, mais aussi à la mobilisation des mouvements sociaux. Le recul des femmes élues de 38 % à 33 % aux élections de 1991 en Suède, perçu comme une menace pour la démocratie et l'égalité des sexes, provoqua une vaste mobilisation (p. 549). Rueschemeyer affirme que la transition à l'économie de marché en Europe de l'Est de l'après 1989 a particulièrement touché une grande partie des femmes, qui ont dû faire face à l'interruption des services sociaux et aux problèmes de chômage (p. 563). Elle émet l'hypothèse que la baisse de la proportion de femmes dans les assemblées législatives qu'on y observe est imputable au retrait des structures alternatives à la famille. L'indépendance économique des femmes et surtout le partage des tâches ménagères et de la responsabilité des soins aux enfants sont des conditions nécessaires, mais pas suffisantes, à l'entrée des femmes en politique, comme le montre le cas de la France. Il faut également que les femmes aspirant à la politique brisent des traditions politiques bien ancrées. En France, les premiers résultats de la loi passée en 2000, qui impose 50 % de candidats de chaque sexe pour toutes les élections au scrutin de liste, ont été peu spectaculaires (le taux de femmes parlementaires y est de 12,2 %). Aux élections législatives de juin 2002, les grands partis ont préféré encourir les sanctions financières que prévoit la loi lorsque les listes ne sont pas paritaires (Dauphin et Praud, 597).
Les femmes élues vont-elles changer la politique ? La question de savoir si les femmes sont porteuses d'une “ spécificité ” a opposé et oppose encore dans les mouvements féministes, et en dehors d'eux, différentialistes et universalistes. La position universaliste considère que femmes et hommes appartiennent à la même humanité; toute affirmation d'une spécificité sexuée est rejetée, parce qu'elle est susceptible de renforcer l'idée de la complémentarité des sexes et de favoriser la hiérarchisation. La position différentialiste soutient que les femmes, tout en appartenant à la même humanité que les hommes, ont des qualités spécifiques qui pourraient enrichir le monde commun (sur ce point, voir Collin, F., 1999 Le différend des sexes. De Platon à la parité). Les études de cas de ce volume attestent que cette opposition n'est pas décisive pour prendre position pour ou contre les mesures qui visent l'augmentation du nombre de femmes dans les instances de décision. L'objectif de “ parité ” est parvenu à rallier des mouvements féministes malgré leurs différences idéologiques. D'ailleurs, les auteurs du livre ont des opinions divergentes quant à la question de savoir si les femmes au pouvoir sont soucieuses d'améliorer les conditions de vie des femmes dans le domaine qui leur est imparti. La “ parité ” ne révolutionne pas les rapports sociaux de sexe, mais le fait que les femmes investissent de plus en plus les instances de prise de décision témoigne de changements majeurs survenus dans les rôles des sexes dans de larges parties du monde. Les contributions de ce volume indiquent qu'il s'agit néanmoins d'une évolution lente et parfois ambiguë puisque les femmes politiques sont confrontées aux mécanismes de ségrégation internes des partis politiques et des parlements.
Le lecteur trouvera dans les textes rassemblés un matériel riche d'analyses concrètes et d'interrogations cruciales sur la question des femmes et du pouvoir et y rencontrera des approches variées, parfois complémentaires, parfois divergentes.