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Être maya et travailler dans une maquiladora., Marie France Labrècque., Québec : Presses de l'Université Laval, 2005, 189 pp.

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Être maya et travailler dans une maquiladora., Marie France Labrècque., Québec : Presses de l'Université Laval, 2005, 189 pp.

Published online by Cambridge University Press:  08 June 2006

Edith Mora Castelán*
Affiliation:
Université du Québec à Montréal
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Abstract

Type
Recensions / Reviews
Copyright
Copyright © 2006 Cambridge University Press

Pour faire connaître la réalité économique et sociale d'un fragment de la société maya, l'auteure emmène le lecteur dans des maquiladoras établies à la frontière sud du Mexique, sur le sol du Yucatan. Comme le titre le suggère, ce livre veut illustrer une des problématiques contemporaines les plus courantes : la collision de sens entre un monde « traditionnel » et la modernité forcée. Même si cette dichotomie d'archétypes sociétaux est caduque, elle est utile pour comprendre les implications de la conjoncture globale de néolibéralisme économique et des idéologies politiques d'État. Par corollaire, il faut comprendre la conjoncture générale, c'est-à-dire, saisir les intentions des entreprises étrangères et du gouvernement mexicain qui aboutissent à la création de maquiladoras non seulement au nord mais aussi au sud du pays, ainsi que les conséquences de cette « nouvelle réalité » pour les principaux intéressés : les mayas. Or, les mayas sont loin d'être un groupe homogène. D'ailleurs l'arrivée des maquiladoras a contribué à la disparition du maya « traditionnel », car la métisation ou désindianisation provoque une perte d'identité chez les indigènes qui ne se revendiquent plus comme tels.

Labrècque aborde le problème avec les outils théoriques et méthodologiques de l'anthropologie économique, ce qui implique une approche structuraliste de construction des genres et de la division internationale du travail dans le contexte duel du local-global. La tradition mexicaine est une tradition patriarcale qui se reflète dans le paternalisme du gouvernement envers les indigènes et se manifeste particulièrement dans les foyers de la campagne yucatèque. Pour les représentants d'une tradition politique clientéliste, il est hors de question d'avouer que l'adoption de programmes d'aide – qui n'atteignent presque jamais leurs objectifs – ne suffit pas à garantir le bien-être social de la population. L'ALENA de son côté a contribué à rendre l'économie mexicaine plus complexe et plus vulnérable : le pays a dû s'adapter à une mondialisation forcée, ce qui s'est ajouté aux contraintes extérieures imposées par la Banque Mondiale et d'autres organismes internationaux. Très influencés par l'idéologie néolibérale et le libre échange, les dirigeants gouvernementaux ont rajusté les institutions et les politiques publiques, au nom du développement économique de libre marché. Des projets comme le Plan Puebla Panama (PPP) en sont la preuve. Sous prétexte de créer des emplois pour « développer » la région, les pays qui y participent s'engagent à collaborer à la création d'autoroutes, de ponts intermodaux, de routes maritimes et surtout à l'installation de nouvelles maquiladoras dans toute la région. Cette collaboration implique l'octroi de « facilités » aux entreprises étrangères, telles que l'exemption de taxes ou la vente de terrains à prix dérisoire. Par la suite, « visant la conservation » des ressources naturelles et des espèces de la région, le PPP prévoit aussi la création d'un corridor biologique mésoaméricain qui, dans le cadre des aires protégées, « assure » la protection in situ de la nature. Pour l'auteure, l'importance stratégique de ce plan est plus évidente si l'on considère le poids historique des maquiladoras, qui à la frontière nord du Mexique ont pratiquement joué un rôle de « sauveurs » pendant les crises à répétition de l'économie mexicaine. Les avantages des maquiladoras profitent aussi à deux groupes d'intervenants : aux entreprises qui fabriquent leurs produits aux prix les plus bas – car elles payent des salaires pitoyables à leurs employés – et au gouvernement qui peut annoncer des créations d'emplois et les inclure dans les statistiques macroéconomiques nationales.

Au Yucatan, certaines particularités ont donné lieu à implantation de maquiladoras à la campagne; c'est une région pauvre où la principale activité économique jusqu'aux années 80 était la culture d'henequén – cactus qui sert à faire des cordes et des textiles. Dans les années qui précédèrent « l'ouverture économique », le gouvernement mexicain a réordonné le territoire henequero et a promulgué des lois pour démanteler les ejidos. Petit à petit, les emplois dans les milpas – champs de maïs – ont tant diminué que l'émigration et les sous-emplois à la ville sont devenus les seuls choix possibles. Par la suite, le gouvernement a réussi à attirer les entreprises étrangères qui ne considéraient pas le Yucatan comme une destination prometteuse, en faisant la promotion de la « culture » yucatèque – lire, de mayas dociles et travailleurs. Or, pour les gestionnaires des maquiladoras c'est l'efficacité, contrainte par le temps, et non la qualité qui compte. Les emplois sont donc temporaires en fonction des commandes. La rotation de personnel est rapide et, pendant les périodes creuses, le gens acceptent parfois de travailler dans les champs. Attirés par des promesses de sécurité, de stabilité, d'assurance maladie et d'une bonne ambiance de travail, les anciens agriculteurs ont décidé, non sans méfiance, de s'enrôler dans les maquiladoras et beaucoup d'entre eux y sont restés car « faire des sous » vaut mieux que de « rester à la maison à ne rien faire ». Parallèlement, un simulacre de communauté participative – air climatisé, cartes pour la fête des mères – s'est installé dans l'imaginaire collectif. Dans la marche vers le développement, la population qui vivait de l'henequen travaille maintenant dans des usines, sans aucune organisation syndicale, sans le salaire promis, avec en prime un strict contrôle de fertilité imposé aux femmes.

L'approche constructiviste et l'information empirique de Labrècque mettent l'accent sur l'importance du genre, de l'identité et des générations. Étant donné leur dextérité, les femmes sont mieux adaptées au travail dans l'industrie textile et, au début des maquiladoras, seules les femmes ont été embauchées. En plus d'être plus disciplinées, elles sont plus méticuleuses, plus attentives et plus dévouées. Plus tard cependant, les hommes ont été engagés aussi, avec des salaires moins bas, résultat d'une tradition patriarcale qui se poursuit. Les conséquences les plus importantes de cette nouvelle réalité se jouent au niveau familial, quand les femmes ne prennent plus soin de leurs familles comme auparavant, ce qui brise le modèle de la famille traditionnelle. Par ailleurs, les mayas ne se conçoivent plus eux-mêmes comme tels, quelquefois pas même comme agriculteurs, car l'agriculture, « c'est pour les ânes » (p. 137). Les tendances générationnelles sont évidentes lorsque Labrècque se sert des entrevues pour montrer l'aversion que ressentent les personnes âgées quand elles doivent suivre des ordres et abandonner leurs champs, simplement pour s'ajuster à une longue et dure routine de travail. Par contre, les jeunes générations, influencées par le rapport d'autrui, veulent « améliorer leur condition » et, par conséquent, préfèrent abandonner l'agriculture et travailler dans des usines dont elles acceptent facilement la routine. Devant cette tendance, on peut se demander quelles sont les conséquences de cette « facile » adaptation. Quels sont les effets de cette tendance sur l'imaginaire culturel des mayas travaillant dans une maquiladora? Alors que les changements culturels sont évidents dans un capitalisme globalisé, comment conçoit-on l'avenir des mayas qui sont une population clairement marginalisée? Malheureusement, l'auteure laisse ces questions dans l'ombre, même si dans d'autres travaux elle insiste sur la culture des mayas, les stéréotypes et l'importance de ne pas généraliser l'emploi du mot « maya ». Pour Labrècque, dans cet ouvrage, le résultat de la dynamique des maquiladoras est une fragmentation intergénérationnelle, interidentitaire et inter genres.

Peut-être Nietzsche n'avait-il pas tort en affirmant « quand la grande ville se transporte à la campagne, ce n'est pas de l'engrais qu'elle apporte aux champs, c'est de la pourriture et de l'horreur ». (La volonté de la puissance). Il semble que la structure économique mondiale ne puisse être conçue en dehors de la représentation duelle de la réalité capitaliste : quelques-uns en profitent, d'autres en sont victimes. Il n'y a pas de doute que les maquiladoras ont complètement modifié le paysage culturel, social et économique du Yucatan. Désormais, la pression, le stress, le contrôle et la perte des rituels traditionnels font partie du vécu de la population yucatèque qui travaille dans les maquiladoras. Dans l'enquête, un informateur affirme que (p. 139) « si la culture du maïs est plus difficile aujourd'hui et qu'il ne pleut pas assez, c'est que les personnes qui pratiquaient la cérémonie du Ch'a'a cháak, – rituel de la pluie – ont disparu. » Peut être la pluie des maquiladoras disparaîtra-t-elle un jour, elle aussi.