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Égales et différentes ? Identité et différence dans les théories féministes américaines (1970–1990) Nadine Jammal Athéna Éditions, Québec, 2015, 229 pages

Published online by Cambridge University Press:  26 October 2016

Léa Clermont-Dion*
Affiliation:
Université Laval
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Abstract

Type
Reviews/Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2016 

Dans Égales et différentes?, Nadine Jammal s'intéresse au féminisme américain de la différence, également qualifié de féminisme culturaliste, qui a marqué les décennies 1970 à 1990. Inspirée de sa thèse de doctorat, l'auteure aborde dans cet essai les débats théoriques entourant le féminisme occidental, notamment à travers les questions de l'identité, des rapports privés/publics et du rapport des femmes à la maternité (39).

Dans le premier chapitre, l'auteure approfondit la notion d'identité en soulignant les apports théoriques de Jürgen Habermas, Charles Taylor et Michel Foucault (18). Pour Habermas, l'identité se construit dans le cadre d'une intersubjectivité influencée par la famille, la culture, le langage (18). Taylor affirme que l'individu interprète son histoire influencée par le contexte socioculturel dans lequel il se positionne (19). L'auteure rappelle que la conception de l'identité chez Foucault est radicalement différente de celle de Taylor et d'Habermas. Foucault conçoit le sujet comme construit. Son identité est façonnée par le pouvoir (24). Ainsi Jammal pense, comme Taylor, que le sujet propose une théorie à partir de soi (35). C'est notamment le cas pour les féministes de la différence aux États-Unis.

Dans le deuxième chapitre, consacré aux débuts du féminisme culturaliste aux États-Unis, l'auteure retrace les origines de ce mouvement. Elle arrive à la conclusion que celui-ci s'inscrit au sein d'une perspective essentialiste offrant une image idéalisée des femmes, les représentant comme une « catégorie sociale exempte de contradictions, gommant les différences de classes et de cultures qui peuvent exister entre elles » (64). Ce faisant, le courant féministe culturaliste a cette tendance à récupérer les arguments du patriarcat pour reconfirmer le rôle traditionnel des femmes notamment par rapport à la vie privée, la famille et l’éthique (67).

Dans le troisième chapitre, l'auteure s'intéresse à la deuxième moitié des années 70, où le courant théorique du féminisme américain de la différence s'est complexifié et diversifié (70). Les féministes issues de cette période prennent en considération le fait que les femmes ont assumé leur fonction biologique et sociale de reproduction propre aux sociétés patriarcales. Cette prise de conscience a résolument influencé leur perspective sur des questions comme la sexualité ou sur les relations interpersonnelles (70). En clair, pour l'auteure, tous les discours féministes culturalistes ne peuvent pas être considérés purement et simplement comme essentialistes. Souvent, les féministes de la différence adoptent une analyse sociale de l'identité en basant leur théorie sur le concept d'interprétation, qui fait appel à la subjectivité des femmes. Les féministes culturalistes considèrent les femmes comme des sujets, capables d'agir sur leur corps et leurs conditions d'existence (120).

Dans le quatrième chapitre, qui porte sur les critiques des féministes matérialistes sur le féminisme de la différence, l'auteure s'intéresse aux perspectives de Colette Guillaumin, Christine Delphy et Nicole-Claude Mathieu. Le discours critique de ces féministes matérialistes s'adresse plus spécifiquement au courant féministe de la différence français représenté par Julia Kristeva, Luce Irigaray et Hélène Cixous (123). Celles-ci avancent que les femmes n'ont pas leur place dans l'univers symbolique du langage. Irigaray revendique notamment que c'est à travers la jouissance et le corps que les femmes peuvent réellement s'affirmer contre le Logos masculin (128). En résumé, les matérialistes critiquent le féminisme de la différence sur quelques éléments. D'abord, elles déplorent le fait que les théoriciennes de la différence se définissent en fonction des hommes. Ensuite, elles rappellent que la différenciation est façonnée par une hiérarchisation des rapports sociaux. De plus, les matérialistes déplorent que la revendication de la différence endosse l'idéologie qui marque cette hiérarchie inégale (146).

Dans le chapitre cinq, sur la sexualité, la pornographie et le féminisme libertaire, l'auteure présente une perspective anti-essentialiste sur la question de l’éthique sexuelle (165). Jammal rappelle qu'une certaine frange du courant féministe libertaire plaide pour l'idée qu'il n'existe pas une forme de sexualité plus morale qu'une autre. En effet, ce courant défend une éthique sexuelle pluraliste qui respecte les choix individuels. Contrairement aux féministes culturalistes, les féministes libertaires pensent notamment que les rapports sexuels entre les femmes ne sont pas exempts de domination. Néanmoins, les féminismes libertaire et culturaliste se rejoignent sur l'idée que le privé au sens large peut devenir un espace pour contrer la morale dominante patriarcale.

En conclusion, pour les matérialistes, revendiquer des droits en tant que femmes n'a pas de sens, car « ce n'est pas le sexe qui crée le genre, mais le genre qui crée le sexe » (202). Jammal souligne le problème de l'identité sexuée qui n'est pas résolue chez les féministes matérialistes et qui ne permet pas de rompre avec l'idéologie patriarcale imposée depuis toutes ces années. Or, les féministes libertaires, comme les matérialistes, refusent une idée homogène des femmes. Les féministes culturalistes offrent pour leur part une interprétation beaucoup large sur le rapport à la vie privée et sur le développement d'une éthique relationnelle que la perspective de classe de sexe mise de l'avant par les matérialistes (208). Les culturalistes considèrent la notion d'interdépendance affective dans le processus de formation de l'identité féminine (208). L'un des aspects heuristiques fondamentaux des théories féministes culturalistes se retrouve donc dans la notion d'expérience des femmes, qui s'ancre notamment dans le rapport au corps (209). Les théories culturalistes ont permis aux féministes libertaires et noires de dépasser la notion d'identité générale propre aux femmes en la confrontant à leurs propres expériences (210). Jammal propose ainsi un résumé pertinent et un éclairage théorique sur les débats entourant le féminisme de la différence des décennies 1970–1990 aux États-Unis qui a encore un écho au sein des théories féministes contemporaines.