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D'un référendum à l'autre. Le Québec face à son destin, Alain-G. Gagnon (dir.), Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2008, 222 pages

Published online by Cambridge University Press:  24 March 2010

François-Olivier Dorais
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Dans l'ouvrage collectif D'un référendum à l'autre. Le Québec face à son destin, quinze auteurs aux allégeances politiques et aux parcours de carrière variés offrent une rétrospective de l'ère postréférendaire au Québec et analysent différents enjeux à l'aune d'un possible troisième référendum sur la souveraineté. Poursuivant les réflexions entamées dans le cadre d'un colloque organisé en octobre 2005 à l'UQAM, l'ouvrage témoigne à la fois de la nature changeante des enjeux liés à la question nationale depuis 1995 et de leur complexification. En privilégiant une lecture politique de ces mutations, les collaborateurs naviguent entre la redécouverte des événements de la campagne référendaire de 1995, l'évolution de l'appui à la souveraineté, l'impact des facteurs générationnels, la situation du Québec dans le Canada et les cheminements de la pensée souverainiste. Tous des sujets qui ravivent immanquablement un corpus d'idées laissé en plan dans un Québec à peine extirpé d'une douloureuse séance de thérapie identitaire au moment de la Commission Bouchard-Taylor.

L'ouvrage rassemble des textes de spécialistes et d'acteurs déjà bien connus du paysage politique et intellectuel canadien et québécois. On retiendra parmi ceux-ci les textes de Gilles Duceppe, Jean-François Lisée, Benoît Pelletier, Pierre F. Côté, Éric Bédard et Joseph Facal, et les entrevues avec Bernard Landry et Thomas Mulcair, dont les vues sur ces questions nous sont, dans l'ensemble, très familières, voire déjà digérées dans certains cas. L'ouvrage n'en perd pas moins toute sa pertinence «au moment où le Québec se penche sur la construction de son identité nationale et sur son devenir comme nation sur la scène internationale» (1), pour reprendre les propos d'Alain-G. Gagnon, directeur du collectif. Les notes liminaires rédigées par Bernard Descôteaux, directeur général du journal Le Devoir, en font également foi; ce recueil a bien cela d'original qu'il propose une relecture du référendum de 1995 et de ses suites par des acteurs politiques, des stratèges et des conseillers qui y ont participé de près comme de loin. On garde également à l'esprit les changements majeurs survenus au cours de la dernière décennie et qui obligent une réflexion sur une nouvelle donne politique marquée, entre autres, par un Parti Québécois en mal d'idéaux et refroidi par une fulgurante baisse de popularité et par la mise en veilleuse du projet référendaire, la tentation momentanée des Québécois vers la voie de «l'affirmation nationale» aux élections de mars 2007 et, par-dessus tout, la mode contre-offensive des fédéralistes marquée par le Renvoi relatif à la sécession du Québec et l'adoption de la Loi sur la clarté référendaire.

L'ouvrage se décline en cinq parties : le contexte référendaire, l'évolution de l'électorat, les rapports Québec-Canada, la quête de souveraineté et de reconnaissance ainsi qu'une section comprenant des témoignages de Bernard Landry et Thomas Mulcair, deux politiciens issus de familles politiques différentes. Jean-François Lisée lance le bal en y allant d'une analyse introspective de la période préréférendaire de 1994 et 1995, relatant ses défis, ses bons coups et ses erreurs. L'ancien directeur général des élections du Québec, Pierre-F. Côté, poursuit en explorant les règles du jeu et les stratégies référendaires qui étaient en place en 1995. Il en dégage des pistes de solutions politiques et juridiques afin de pallier «aux graves problèmes que pose le respect de la Loi sur la consultation populaire du Québec» (17) en prévision d'un troisième référendum.

La deuxième partie explore l'évolution de l'électorat. Les lecteurs intéressés par ce type d'étude quantitative seront davantage portés vers la lecture du texte des professeurs Gilles Gagné et Simon Langlois qui, en mettant l'accent sur divers aspects du comportement électoral, démontrent, à rebours de la croyance populaire, que l'appui à la souveraineté est en hausse au sein de la population québécoise et que l'appui ferme au OUI dans le cadre d'un prochain référendum oscillerait autour de 52 à 54 pour cent. Claire Durand et Jack Jewab bouclent le chapitre en revisitant à leur façon certaines généralisations et idées reçues relativement à la campagne référendaire de 1995 telles que «l'effet Bouchard», le vote ethnique, l'argent et les groupes démographiques, entre autres.

La troisième partie de l'ouvrage offre un portrait des relations Québec-Canada depuis 1995, une dimension que l'on peut de fait difficilement écarter à l'heure du fédéralisme asymétrique et des retombées politiques du scandale des commandites et du déséquilibre fiscal. Le texte de Benoît Pelletier donne le ton au chapitre en y apportant, à n'en point douter, l'analyse la plus intéressante de «l'expérience canadienne» depuis 1995 et de ses défis pour l'avenir. Pour articuler son propos, l'ex-ministre québécois et aujourd'hui professeur de droit à l'Université d'Ottawa considère que la décision des Québécois en 2003 de porter le Parti libéral au pouvoir signifie l'endossement d'une vision fédéraliste de l'avenir de la province (97). «Au risque d'étonner, je crois sincèrement que les Québécois sont les plus fédéralistes de tous les Canadiens» (99), affirme-t-il en insistant sur cette propension du régime fédéral à permettre une «action commune des partenaires fédérés sans brimer leurs particularités» (100). Par la suite, la réplique est donnée aux indépendantistes Gilles Duceppe et Joseph Facal. Le chef du Bloc Québécois en appelle à la réussite du projet de souveraineté en faisant le pari de la diversité, de la mondialisation et de l'ouverture aux autres tout en apprenant des erreurs de 1995. Son texte témoigne avec brio de la transformation progressive de la nature du nationalisme québécois depuis cette date; préférant se distancier d'une définition trop culturelle et historique de la communauté politique québécoise, le Bloc, comme le Parti Québécois d'ailleurs, préfère désormais épouser les contours d'une vision «civique» et pluraliste de la nation québécoise. De son côté, l'ex-ministre péquiste Facal propose une lecture peu réjouissante de l'évolution plus générale des rapports politiques entre le Québec et le Canada depuis le dernier référendum, arguant que les efforts du gouvernement fédéral furent essentiellement voués à éviter la tenue d'un troisième référendum. Au menu, trois cibles québécoises auraient été dans le collimateur d'Ottawa : l'identité québécoise, la capacité fiscale du Québec de faire ses choix sociaux distincts, et ses institutions démocratiques. Aux yeux de Facal, le fédéralisme canadien se présenterait plutôt sous les traits d'une «relique», ayant échoué à favoriser la coexistence des identités des deux communautés fondatrices du Canada et renié ses idéaux fondateurs.

Dans la quatrième partie, on se tourne vers la pensée souverainiste et les problématiques liées à la reconnaissance chez les Québécois. L'historien Éric Bédard présente sa thèse de la «trudeauisation des esprits». Succinctement, l'historien expose un constat de convergence entre les pensées trudeauiste et «néosouverainiste», cette dernière renvoyant au «tournant moderniste» opéré par une branche de l'intelligentsia souverainiste préférant liquider tout ancrage historique précédant la Révolution tranquille au profit d'une refondation du projet de souveraineté dans l'idée de «citoyenneté». Au final, nous dit Bédard, cette approche purement civique de la nation québécoise participerait à une désubstantialisation du projet indépendantiste. Alain-G. Gagnon et Jacques Hérivault poursuivent à leur tour avec le thème de la reconnaissance appliqué au cas du Québec. Les auteurs posent notamment l'urgence de «reconnaître le Québec comme entité nationale et étatique» (3), facteur essentiel au bon fonctionnement de la fédération canadienne.

Somme toute, en présentant une bonne synthèse de différents enjeux entourant la campagne référendaire de 1995 et ses déclinaisons politiques et idéelles, ce collectif, accessible tant au grand public qu'aux spécialistes, demeure un apport indéniable à une période phare de l'histoire du Québec. Un livre ne peut tout couvrir, bien évidemment, mais on pourrait toutefois lui reprocher d'avoir omis d'intégrer la perspective d'acteurs incontournables des débats référendaires et postréférendaires, à commencer par Gérard Bouchard, l'un des principaux intellectuels du courant «néosouverainiste» critiqué par Bédard. En ne donnant pas de voix à cet important champ de la pensée souverainiste, dont on se doit de reconnaître les propriétés novatrices malgré le ton polémique, on sent que l'ouvrage néglige de présenter les dimensions d'un débat constitutif du questionnement sur la souveraineté du Québec qu'est celui de la définition de la nation. Ne sont posées aucunes réflexions ni voies de réponses audacieuses au sujet des multiples paradoxes inhérents au concept de «nation québécoise». À ce sujet, les commentaires d'un Michel Venne, d'un Jacques Beauchemin, d'un Joseph-Yvon Thériault, d'un Michel Seymour, d'un Jocelyn Létourneau ou encore d'un Charles Taylor auraient été appréciés.

D'autres critiqueront cet ouvrage pour avoir omis d'y inclure une réflexion sur la voie de «l'autonomisme», creusée – et aussitôt enterrée – par l'Action démocratique du Québec (ADQ). On suppose peut-être que le sujet était négligeable compte tenu de la piètre performance de l'ex-parti de Mario Dumont aux dernières élections, symptôme d'un ancrage plus ou moins certain de la droite au Québec. Et pourtant, plusieurs occurrences – les élections de 2007 et Bouchard-Taylor entre autres – ont confirmé l'affirmation d'une droite québécoise que l'on croyait éteinte depuis la Révolution tranquille. Or, comment se réinvente cette droite à l'aune d'un possible troisième référendum? Quelle est sa contribution au débat national? Quel avenir pour cette troisième voie qu'est l'ADQ, parti en qui certains intellectuels comme Guy Laforest ont vu la possible réhabilitation du projet modernisateur de la droite québécoise? Que nous dit cette voie sécurisante de l'entre-deux – s'affirmer sans se séparer – sur l'intention nationale des Québécois? Ces questions demeurent toujours ouvertes, dans l'attente de propositions de réponses.