Le but de ce livre méconnu est de faire comprendre — par des exposés, des exemples et des études de cas — les manifestations et le fonctionnement de la désinformation et, par extension, de la violence idéologique (94). Ici, la désinformation est comprise par François Géré comme étant « l’élaboration et la communication délibérées d'une fausse information soigneusement travestie afin de présenter toutes les apparences de l'authenticité » (58). Plusieurs autres définitions sont fournies et critiquées, notamment celle, plus élaborée, tirée du Code pénal de France (58).
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, cet ouvrage de référence substantiel n'est pas un collectif ; il émane de la seule plume de François Géré, qui est président de l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS), chargé de mission à l'Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et rattaché à l'Université de Paris 3 (Sorbonne). Il s'agit du seul dictionnaire de ce genre en français — si on exclut La désinformation par les mots : les mots de la guerre, la guerre des mots (Monaco, Éditions du Rocher, 2004) de Maurice Peignier.
Ce huitième ouvrage de François Géré se subdivise en deux parties : d'abord une présentation approfondie sur les origines et le fonctionnement de la désinformation (5-106), suivie d'une section réunissant plus de 300 notices thématiques classées alphabétiquement et montrant différents exemples ou procédés comme le négationnisme, le cheval de Troie, le site WikiLeaks, ou encore la ville roumaine de Timişoara (d'où émanait un cas patent de désinformation lors de la révolution contre le régime Ceauşescu en 1989). Les principaux outils de la désinformation sont naturellement inclus dans cette présentation établie selon l'ordre alphabétique : « amalgame », « diabolisation », « écoutes », « mensonges d’état », « rumeur » et « secret ». En outre, quelques noms de personnes sont également inclus, par exemple Sun Tzu (ici épelé « Sun Zi »), premier promoteur de la désinformation et signataire du manifeste L'Art de la Guerre, mais également de Serge Tchakhotine (1883–1973), l'auteur du livre classique Le viol des foules par la propagande politique [1939].
Parmi les exemples les plus éloquents de désinformation, retenons le déni des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, que François Géré met en contexte pour désamorcer cette étonnante tentative qui trouve néanmoins des adeptes (264). Ailleurs, la notice de deux pages sur la « censure » permet d'apporter une articulation concise mais essentielle entre ce terme et la désinformation, tout en sachant bien que ce problème conceptuel autour de la censure pourrait être approfondi davantage (145). Plus fondamentalement, la question des sources pose également problème pour tout chercheur soucieux de vérité et de fiabilité : ici, François Géré traite d'emblée de « l'ambivalence de l'encyclopédie Wikipedia » (9) car cet énorme système, inégal et anonyme, est jugé vulnérable face aux risques de désinformation (10).
Chaque notice de ce premier Dictionnaire de la désinformation est complétée par quelques corrélats qui renvoient à d'autres termes connexes. Une chronologie, une courte bibliographie et une liste des notices (« Table des matières ») occupent les dernières pages. Un index aurait assurément été utile afin de pouvoir repérer toutes les mentions de certains termes n'ayant pas fait l'objet d'une notice comme l'antisémitisme et le Ku Klux Klan (tous deux étudiés dans la notice sur le racisme, 284). On reprochera aussi à l'auteur d'avoir parfois négligé de faire ce que nous exigeons de la part de nos étudiants en matière de sources : il n'y a pas de renvois systématiques en bas de page pour paginer les références bibliographiques des citations incluses, qu'il s'agisse de citer Descartes (240) ou Raymond Ruyer dans sa définition de l'information (40). Seule la notice sur « WikiLeaks » indique clairement qu'elle reprend celle parue initialement sur le site Wikipedia (337).
On pourrait certainement suggérer d'ajouter à cette liste déjà substantielle de notices une foule de termes non-inclus ici, que ce soit sur des concepts reliés à la désinformation mais sans en être synonymes (comme « idéologies », « nivellement par le bas », « propagande ») ou bien à propos d'auteurs essentiels comme Jacques Ellul (1912–1994), grand spécialiste de la propagande, ou même le romancier Vladimir Volkoff (1932–2005), parfois considéré comme le premier historien de la désinformation ; mais on peut supposer que ces absents n'ayant pas eu leur notice individuelle seront peut-être convoqués dans une réédition éventuelle de ce livre incomparable et indéniablement instructif. En revanche, tout un exposé de la première partie porte spécifiquement sur la propagande en temps de guerre et dans d'autres circonstances (70–84). Étonnamment, les termes mêmes de « désinformation » et de « contre-désinformation » n'ont pas droit à une notice en tant que telle, bien que ces concepts soient largement utilisés tout au long de l'ouvrage, mais sans toujours être définis de façon concise (310). Il n'est pas non plus question de variantes comme la « mésinformation ». Sur le plan éditorial, seulement quelques coquilles subsistent : on orthographie erronément « Wells » pour rediriger le lecteur à la notice sur le cinéaste Orson Welles (115).
Également disponible en format électronique, ce tout premier Dictionnaire de la désinformation constitue un outil de base sans pareil et d'une grande clarté pour les cours des trois cycles en études stratégiques, en diplomatie, en sociologie des médias, en éthique de la communication et en relations internationales.