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Usage du français et préférences politiques des néo-Québécois

Published online by Cambridge University Press:  18 February 2016

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Abstract

This study examines the link between new Quebecers’ use of the French language and their relationship with the Quebec and Canadian political communities; more specifically, the study examines the case of first and second generations of visible minorities living in Quebec. As in earlier studies, the findings indicate that new Quebecers who use French more frequently in their daily lives have a more positive relationship with the Quebec political community. Similarly, new Quebecers who attended French schools express a more positive relationship with the Quebec political community. In both cases, the relationships are observed for first and second generations of new Quebecers. However, even when they use French in most spheres of life and attended French schools, new Quebecers still express a weaker preference for the Quebec political community than other French-speaking Quebecers.

Résumé

Cette étude examine l'hypothèse qu'il existe un lien entre l'usage de la langue française chez les néo-Québécois et leurs relations aux communautés politiques québécoise et canadienne. L’étude examine séparément la première et la seconde génération de néo-Québécois appartenant à une minorité visible. Conformément aux autres études sur le sujet, la présente recherche montre qu'un plus grand usage du français est associé à une plus forte préférence pour la communauté politique québécoise. L’étude suggère également que la fréquentation de l’école francophone est associée à une plus forte préférence pour la communauté politique québécoise. Dans les deux cas, les relations sont observées autant chez la première que chez la seconde génération. Néanmoins, les résultats montrent que même lorsqu'ils ont fréquenté l’école francophone et qu'ils font usage de la langue française dans leur vie quotidienne, les néo-Québécois affichent une préférence pour la communauté politique québécoise plus faible que celle observée chez la population majoritaire francophone.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2016 

Usage du français et préférences politiques des néo-Québécois

La question de l'intégration linguistique n'est pas nouvelle dans la recherche sur les immigrants. Elle est depuis longtemps étudiée en tant que variable à expliquer ; les chercheurs tentent alors de déterminer dans quelle mesure les immigrants parlent la langue de la société d'accueil (Pagé et Lamarre, Reference Pagé and Lamarre2010). L'intégration linguistique est aussi étudiée en tant que variable explicative ; les chercheurs d'ici et d'ailleurs tentent alors de déterminer si l'intégration linguistique (ou plus précisément la compétence linguistique dans la langue de la société d'accueil) est garante d'une meilleure intégration (Blaser, Reference Blaser2006 ; Grenier, Reference Grenier2001). La présente étude aborde aussi la question de l'intégration linguistique. L'objet ici n'est pas celui de la compétence linguistique, mais plutôt celui du lien entre l'usage de la langue française et les préférences politiques des néo-Québécois.

Parmi les néo-Québécois, certains sont francophones (de plus en plus depuis que le Québec exerce un plus grand contrôle sur la sélection des immigrants), d'autres sont anglophones, et plusieurs sont allophones, c'est-à-dire que leur langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais. Une fois les immigrants installés au Québec, les pratiques linguistiques d'un certain nombre d'entre eux, ainsi que celles de leurs enfants, changeront. Certains adopteront le français comme langue d'usage à la maison, avec les amis et au travail, alors que d'autres se tourneront vers l'anglais, enfin plusieurs continueront à parler la langue de leurs ancêtres. Jusqu'aux années soixante, les immigrants qui choisissaient le Québec comme terre d'accueil adoptaient en grande proportion la langue anglaise, à tout le moins parmi ceux qui délaissaient la langue de leur pays d'origine ; peu adoptaient le français comme langue d'usage à la maison. L'adoption de la Charte de la langue française en 1977 a depuis contribué à favoriser un plus grand usage du français chez les néo-Québécois (Statistique Canada, 2007 : 22). Même aujourd'hui, tous les néo-Québécois n'utilisent pas également le français dans leur vie quotidienne et leurs pratiques linguistiques sont hautement diversifiées (Pagé et Lamarre, Reference Pagé and Lamarre2010).Footnote 1

Y a-t-il un lien entre l'usage du français par les néo-Québécois et la relation que ceux-ci développent avec les communautés politiques québécoise et canadienne? La question se pose, car depuis les années soixante, les gouvernements québécois et fédéral se disputent la loyauté politique des Québécois (McRoberts, Reference McRoberts1997). Nombre d’études ont démontré que la langue est une variable clé pour mieux comprendre les préférences des Québécois dans ce contexte de polarisation politique (Bélanger et Nadeau, Reference Bélanger and Nadeau2009 ; Nadeau et Bélanger, Reference Nadeau, Bélanger and Boily1999 ; Blais et Nadeau, Reference Blais, Nadeau and Crête1984). Lorsque les néo-Québécois adoptent le français, leurs préférences politiques convergent-elles vers celles des autres francophones ? Le chemin de l'intégration politique emprunte-t-il celui de l'intégration linguistique ? L’étude tente de répondre à ces questions en examinant le cas des néo-Québécois appartenant à une minorité visible.Footnote 2 Un tel choix permet de jeter un coup d’œil sur les vagues d'immigration plus récentes. Selon le recensement de 2011, environ 10% de la population québécoise est issue d'une minorité visible; la proportion grimpe à 20% à Montréal. À l’échelle canadienne, environ 78% des immigrants arrivés au pays entre 2006 et 2011 appartenaient à une minorité visible (Statistique Canada, 2013). Les données utilisées sont tirées du sondage des minorités visibles des élections québécoises de 2012.

Pratiques linguistiques et préférences politiques : Y a-t-il un lien ?

Différentes approches théoriques portent à croire que le chemin de l'intégration politique pourrait être lié à l'intégration linguistique des néo-Québécois. Bon nombre d’études démontrent que les individus tendent à développer des préférences politiques qui convergent vers celles qui prédominent dans leur environnement immédiat. Ainsi, certaines recherches ont démontré que les Américains qui migrent d'un État vers un autre tendent à développer des affiliations partisanes ou même des attitudes envers les groupes raciaux et ethniques qui ressemblent à celles qui prédominent dans leur nouvel État de résidence (Glaser et Gilens, Reference Glaser and Gilens1997; McBurnett, Reference McBurnett1991; MacKuen et Brown, Reference MacKuen and Brown1987). Il est par conséquent permis de penser qu'une dynamique similaire de convergence vers la communauté d'accueil majoritaire pourrait s'exercer sur les préférences politiques des néo-Québécois.

L'approche théorique de l'influence personnelle et des réseaux sociaux aide à identifier plus précisément les mécanismes qui pourraient lier les préférences politiques des néo-Québécois à leurs pratiques linguistiques. Les travaux de l’école de pensée Columbia ont depuis longtemps mis en lumière l'importance des processus d'influence personnelle dans la transmission de l'information politique et dans le développement de préférences politiques ressemblant à celles des autres membres du groupe (Lazarsfeld, Berelson et Gaudet, Reference Lazarsfeld, Berelson and Gaudet1968). Des travaux plus récents montrent encore la pertinence d'une telle approche théorique ; ainsi les rapports interpersonnels seraient encore aujourd'hui un mode privilégié d’échanges d'information politique (Beck et coll., Reference Beck, Dalton, Greene and Huckfeldt2002 ; Huckfeldt et Sprague, Reference Huckfeldt and Sprague1987). Étant donné que les individus tendent à acquérir leur information politique via des réseaux interpersonnels, que la langue est un élément incontournable qui structure les échanges entre individus, et que les préférences politiques des francophones et non-francophones au Québec tendent à diverger substantiellement lorsqu'il s'agit de la vision du Canada et de l'avenir du Québec au sein de la fédération canadienne, il y a lieu de penser que les néo-Québécois qui adoptent le français de manière prépondérante comme langue d'usage dans leur vie quotidienne seront plus à même de développer des préférences politiques qui convergent vers celles de la population majoritaire francophone que les néo-Québécois qui adoptent une langue autre que le français. Les interactions sociales et dynamiques d'influences interpersonnelles (au travers les échanges linguistiques) seraient ainsi au cœur du développement des préférences politiques des néo-Québécois.

Les études portant sur le lien entre intégration linguistique et intégration politique au Québec sont peu nombreuses, mais les résultats de celles-ci tendent à appuyer l'hypothèse énoncée ci-dessus. Lavoie et Serré (Reference Lavoie and Serré2002) démontrent que plus les néo-Québécois sont « francisés », c'est-à-dire qu'ils utilisent le français dans plusieurs contextes, plus grande est leur propension à voter pour le Parti québécois et à appuyer la souveraineté du Québec. Bilodeau, White et Nevitte (Reference Bilodeau, White and Nevitte2010) montrent quant à eux que les immigrants de quatre provinces (Québec, Ontario, Alberta et Colombie-Britannique) affichent des loyautés politiques un peu plus fortes pour le gouvernement fédéral que pour le gouvernement de leur province par rapport à la population locale. L’étude démontre aussi que c'est au Québec que cet écart entre les immigrants et le reste de la population est le plus grand, mais que les immigrants qui parlent principalement le français à la maison ont un profil de loyautés politiques pratiquement semblable à la population non immigrante.

Ces conclusions sont aussi appuyées par l’étude de Bilodeau, Turgeon, White et Henderson (Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015). Examinant à nouveau la question des préférences politiques des néo-Canadiens (définis ici comme les membres d'une minorité visible) au Québec, en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, Bilodeau et coll. (Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) confirment l'hypothèse que c'est au Québec que les clivages entre les minorités visibles et le reste de la population sont les plus importants en ce qui concerne leur vision de la fédération canadienne. Cependant, les auteurs observent que les clivages sont quelque peu atténués lorsque les minorités visibles utilisent principalement le français à la maison. Il semble donc y avoir un certain lien entre les pratiques linguistiques des néo-Québécois et leurs préférences politiques.

Fréquentation de l’école francophone et préférences politiques des néo-Québécois

La question des pratiques linguistiques des néo-Québécois soulève irrémédiablement la question de la fréquentation de l’école francophone au Québec. En effet, on peut se demander si les néo-Québécois qui ont fréquenté l’école francophone, sans égard à leurs pratiques linguistiques actuelles, affichent des préférences politiques qui convergent davantage vers celles de la population majoritaire francophone que les néo-Québécois qui n'ont pas fréquenté l’école francophone. Si les interactions sociales avec la population majoritaire francophone discutées dans la section précédente nous permettent d'entrevoir un lien entre pratiques linguistiques et préférences politiques, il en est de même avec la fréquentation de l’école francophone pour les niveaux d’éducation primaire et secondaire. Un courant dominant de l’étude de la socialisation politique affirme en effet que la période qui s’étend de l'enfance à la fin de l'adolescence constitue un moment hautement structurant dans la formation des préférences politiques (voir Sears, Reference Sears and Ichilov1990). L'effet structurant de la socialisation politique durant cette période de la vie serait d'ailleurs tout particulièrement significatif en ce qui concerne les préférences ayant une dimension fortement symbolique ou affective — telles que les relations aux communautés politiques qui sont au cœur de cette étude — en comparaison de celles ayant une dimension plus cognitive (Sears, Reference Sears, Iyengar and McGuire1993). Ainsi, en interagissant dans un milieu scolaire francophone durant l'enfance ou l'adolescence, les jeunes néo-Québécois pourraient développer des préférences politiques qui tendent davantage vers celles du reste de la population francophone que ceux qui n'ont pas vécu une telle expérience de socialisation politique.

Les études sur le sujet sont rarissimes. Isabelle Beaulieu affirme que les jeunes néo-Québécois de 18 à 35 ans qui ont fréquenté l’école francophone développent des valeurs et des attentes qui convergent vers celles du reste de la population québécoise (Reference Beaulieu2003 : 261). L’étude de Beaulieu, par contre, n'examine que les jeunes qui ont fréquenté l’école francophone et n'offre donc pas de point de comparaison avec les autres jeunes Québécois issus de l'immigration, mais qui n'ont pas fréquenté l’école francophone. Bélanger et Perrella (Reference Bélanger and Perrella2008), quant à eux, offrent une comparaison entre jeunes francophones, anglophones et allophones. Leur étude montre dans un premier temps que les allophones n'appuient pas la souveraineté du Québec (30%) autant que les francophones (59%), mais significativement plus que les anglophones (9%), ce qui suggère un certain lien entre pratiques linguistiques et préférences politiques (Bélanger et Perrella, Reference Bélanger and Perrella2008 : 21). Ces différences entre groupes linguistiques amènent les auteurs à conclure que « le rôle de la Loi 101 (Charte de la langue française) comme facteur d'intégration politique a peut-être été exagéré » et que d'autres facteurs doivent être pris en compte (Reference Bélanger and Perrella2008 : 40).Footnote 3 Il est important de noter, par contre, que leur étude catégorise les répondants selon leur langue maternelle — et non selon leur langue d'usage ou leurs pratiques linguistiques — et ne fournit pas d'information sur la fréquentation de l’école francophone au Québec ou même sur le statut d'immigrant des répondants (Bélanger et Perrella, Reference Bélanger and Perrella2008 : 21). Leur étude ne permet donc pas d’évaluer directement le lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques.

Évidemment, étudier le lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques des néo-Québécois soulève certains défis méthodologiques incontournables puisque la Loi 101 stipule que tous les enfants — autres que ceux de la minorité anglophone — doivent fréquenter l’école francophone. Ceci devrait donc inclure la vaste majorité des néo-Québécois. Par conséquent, il est difficile d’évaluer si la fréquentation de l’école francophone structure les préférences politiques des néo-Québécois. Néanmoins, il existe certaines exceptions. Ce ne sont pas tous les néo-Québécois qui fréquentent l’école francophone au Québec. Tout d'abord, de nombreux néo-Québécois arrivent au Québec après l’âge de la scolarisation primaire ou secondaire. Ceux-ci n'ont fréquenté ni l’école francophone ni l’école anglophone au Québec. D'autres ont vécu dans une autre province canadienne avant de s’établir au Québec ; ils auront ainsi soit complété leur éducation avant de s’établir au Québec ou auront acquis le droit de fréquenter l’école anglophone au Québec. Enfin, un dernier groupe de néo-Québécois utilisent ce qu'on appelle communément les « écoles passerelles », c'est-à-dire des écoles qui sont complètement privées et échappent ainsi à l'application de la Loi 101. Il est difficile de chiffrer le nombre de néo-Québécois qui vivent une expérience de scolarisation suivant une de ces trois exceptions. Néanmoins, cette étude propose d’étudier la possibilité d'un lien entre la fréquentation de l’école francophone au Québec et les préférences politiques grâce à des questions qui demandent explicitement aux participants de spécifier le nombre d'années de scolarité complétées dans le réseau scolaire francophone au Québec pour le primaire et le secondaire. L’étude tente ainsi de répondre à la question suivante : au-delà des pratiques linguistiques, y a-t-il un lien entre la fréquentation de l’école francophone au Québec (au primaire et au secondaire) et les préférences politiques des néo-Québécois?

Méthodologie de l’étude

Les données utilisées sont tirées du sondage des minorités visibles des élections québécoises de 2012 pour lequel 740 Québécois membres d'une minorité visible ont été interrogés.Footnote 4 Puisqu'il s'agit d'un sondage électoral, tous les répondants sont citoyens canadiens.

L’étude propose une contribution originale au débat sur le lien entre pratiques linguistiques et préférences politiques au Québec sous trois angles. Tout d'abord, l’étude examine séparément la première génération (née à l'extérieur du Canada) et la seconde génération de néo-Québécois (née au Canada de parents immigrants). Cette distinction n'est généralement pas abordée par les études existantes (Lavoie et Serré, Reference Lavoie and Serré2002; Beaulieu, Reference Beaulieu2003; Bélanger et Perrella, Reference Bélanger and Perrella2008; Bilodeau et coll., Reference Bilodeau, White and Nevitte2010; Bilodeau et coll. Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015).Footnote 5 La question de la seconde génération est pourtant fort instructive sur les dynamiques d'intégration à long terme. En effet, il est généralement attendu que si la première génération d'immigrants peut ne pas développer le même profil d'attitudes politiques que le reste de la population (entre autres, à cause d'expériences de socialisation politique vécues dans le pays d'origine), la seconde génération est souvent considérée comme un meilleur test des défis et barrières à l'intégration que peuvent rencontrer les immigrants et membres des minorités ethniques. À cet effet, au moins une étude suggère un profil d'intégration unique chez les néo-Québécois de seconde génération. Dans leur étude sur la vision de la fédération canadienne chez les minorités visibles, Bilodeau et coll. (Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) observent au Québec, mais nulle part ailleurs au Canada, des clivages chez les membres des minorités visibles nés au Canada. Cette étude entend donc réexaminer cette conclusion et vérifier si les dynamiques d'intégration au Québec sont les mêmes chez la première et la seconde génération.

Cette étude propose une deuxième contribution originale en offrant un portrait plus raffiné des pratiques linguistiques des néo-Québécois que celle de la plupart des études précédentes. Les pratiques linguistiques des néo-Québécois sont mesurées à l'aide d'une variable indiquant le nombre de contextes (0–3) dans lesquels les répondants utilisent principalement le français (à la maison, avec les amis et au travail). Cet indicateur se rapproche de celui utilisé par Lavoie et Serré (Reference Lavoie and Serré2002) et permet une évaluation plus nuancée du lien entre pratiques linguistiques et préférences politiques, au-delà de la dichotomie imposée par l'indicateur de la principale langue parlée à la maison tel qu'utilisé par Bilodeau et collègues (Reference Bilodeau, White and Nevitte2010, Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) ou celui de la langue maternelle tel qu'utilisé par Bélanger et Perrella (Reference Bélanger and Perrella2008), qui ne rend pas compte des pratiques linguistiques actuelles des néo-Québécois.Footnote 6 Le Tableau 1 montre que la majorité des néo-Québécois ayant participé à l'enquête utilisent le français, que ce soit à la maison (59% et 62% respectivement pour la première et la seconde génération), avec les amis (75% et 70%) ou au travail (71% et 69%). Au total, ce sont 47% et 52% des néo-Québécois de première et seconde génération de notre étude qui utilisent principalement le français dans ces trois contextes, alors que respectivement 14% et 18% d'entre eux utilisent une langue autre que le français dans ces trois contextes.Footnote 7

Tableau 1 Pratiques linguistiques des néo-Québécois

Source: Sondage des minorités visibles des élections québécoises de 2012.

Finalement, l’étude propose une troisième contribution originale en examinant la question de la fréquentation de l’école francophone au Québec. La fréquentation de l’école francophone est mesurée à l'aide d'une question pour laquelle les répondants devaient indiquer le nombre d'années passées dans le réseau scolaire francophone québécois au primaire et au secondaire. Aux fins d'analyses, une variable dichotomique indique si les répondants ont fréquenté en totalité ou en partie l’école francophone au Québec (1) ou si les répondants n'ont jamais fréquenté l’école francophone au Québec (0). Alors que seulement 32% des néo-Québécois de première génération au sein de notre étude ont fréquenté l’école francophone au Québec, cette proportion passe à 77% chez ceux de la seconde génération.Footnote 8 Au sein de la première génération, la proportion ayant fréquenté l’école francophone au Québec est plus faible probablement parce que la plupart d'entre eux sont arrivés au Québec à l’âge adulte et ont ainsi complété leur éducation primaire et secondaire avant leur arrivée au Québec. Au sein de notre échantillon, cette proportion est de 65%.

Quatre indicateurs contrastant les relations aux communautés politiques québécoise et canadienne sont examinés. Premièrement, les participants devaient évaluer leur niveau de satisfaction envers la démocratie au Québec et au Canada en utilisant une échelle de 0 à 10, où 10 signifie une évaluation fort positive et 0 une évaluation fort négative. Les deux indicateurs sont combinés afin de déterminer si les répondants ont un niveau de satisfaction envers la démocratie plus élevé pour le Québec ou pour le Canada. Un score de 10 signifie une évaluation fortement plus positive pour la démocratie au Québec et un score de −10 signifie une évaluation fortement plus positive pour la démocratie au Canada.

Deuxièmement, les participants devaient évaluer leur attachement au Québec et au Canada sur une échelle de 0 à 10 où 10 signifie un très fort attachement et 0 un très faible attachement. L'indicateur utilisé pour les analyses mesure la différence entre l'attachement au Québec et l'attachement au Canada, où un score de 10 signifie un attachement beaucoup plus fort au Québec qu'au Canada et un score de −10 signifie un attachement beaucoup plus fort au Canada qu'au Québec.

Troisièmement, les participants devaient indiquer s'ils se sentent davantage Québécois ou Canadiens. Les choix suivants étaient offerts aux participants : 1) Québécois uniquement, 2) plus Québécois que Canadien, 3) également Québécois et Canadien, 4) plus Canadien que Québécois, ou 5) Canadien uniquement. Pour simplifier l'analyse et l'interprétation des résultats, la variable distingue les participants qui se disent uniquement Québécois ou plus Québécois que Canadien (1), de tous les autres participants (0). Finalement, les participants devaient indiquer s'ils voteraient oui (1) ou non (0) à un référendum sur l'indépendance du Québec.

Afin de déterminer si les préférences politiques des néo-Québécois sont corrélées à l'usage prépondérant du français et à la fréquentation de l’école francophone, des analyses multivariées ont été réalisées. La recherche sur l'appui au Parti québécois et à l'indépendance ayant montré des variations selon plusieurs variables socio-économiques (Bélanger et Nadeau, Reference Bélanger and Nadeau2009 ; Nadeau et Bélanger, Reference Nadeau, Bélanger and Boily1999 ; Blais et Nadeau, Reference Blais, Nadeau and Crête1984), des variables de contrôle pour l’âge, le sexe, le revenu familial, le niveau d’éducation ainsi que la région de résidence sont incluses dans les analyses. Les analyses sont réalisées séparément pour les néo-Québécois de première et de seconde génération afin de tenir compte de possibles dynamiques uniques à chacun des deux groupes et afin de permettre une modélisation qui soit adaptée aux réalités de chacun des deux groupes. Ainsi, la modélisation pour les néo-Québécois de première génération inclut le nombre d'années vécues au Québec, alors que cette information n'est pas pertinente pour la seconde génération.Footnote 9

Les préférences politiques de la première génération de néo-Québécois

Le Tableau 2 présente les résultats des analyses multivariées pour la première génération de néo-Québécois. Les résultats sont sans équivoque en ce qui concerne le lien entre l'usage prépondérant du français (à la maison, avec les amis et au travail) et les relations aux communautés politiques québécoise et canadienne. Pour les quatre indicateurs de préférences politiques, les analyses démontrent que les néo-Québécois de première génération qui adoptent le français de manière prépondérante ont une préférence politique plus marquée pour la communauté politique québécoise que ceux qui adoptent une langue autre que le français.

Tableau 2 Usage du français, fréquentation de l’école francophone et préférences politiques (1ère génération)

Source: Sondage des minorités visibles des élections québécoises de 2012. *** : p < .001; ** : p < .01; * : p < .05

Le tableau rapporte les coefficients B non-standardisés pour des analyses de régression MCO (1) et régressions logistiques (2).

Les prédictions présentées dans le Tableau 3 et obtenues à partir de l'analyse multivariée du Tableau 2 indiquent que les néo-Québécois nés à l’étranger ont sensiblement le même niveau de satisfaction envers la démocratie en ce qui concerne la politique québécoise et la politique fédérale (0) lorsqu'ils adoptent le français dans les trois contextes identifiés, mais que leur niveau de satisfaction est nettement plus positif envers le gouvernement fédéral que le gouvernement québécois (-1,5) lorsqu'ils adoptent une langue autre que le français.Footnote 10 La relation entre l'usage du français et les préférences politiques est plus marquée pour les trois autres indicateurs qui concernent directement les communautés politiques. Ainsi, les néo-Québécois qui adoptent le français dans les trois contextes identifiés expriment un attachement légèrement plus fort au Québec qu'au Canada (0,4), alors que ceux qui adoptent une langue autre que le français expriment un attachement beaucoup plus fort au Canada qu'au Québec (-2,0). De la même manière, les analyses montrent que lorsque les néo-Québécois adoptent le français à la maison, avec les amis et au travail, ils sont plus nombreux à s'identifier uniquement ou davantage au Québec qu'au Canada que ceux qui n'adoptent pas le français (24% vs 4%). Finalement, la relation entre l'usage du français et les préférences politiques est également observée en ce qui concerne l'appui à l'indépendance du Québec ; la proportion de ceux qui appuient l'indépendance du Québec n'est que de 3% chez les néo-Québécois qui adoptent une langue autre que le français et de 23% chez ceux qui adoptent le français dans les trois contextes identifiés.

Tableau 3 Prédictions pour la 1ère génération à partir des analyses du Tableau 2

Les prédictions sont obtenues à partir des analyses du Tableau 2 en maintenant à leur valeur moyenne toutes les autres variables du modèle.

Les données pour les Québécois francophones nés au Canada sont des données descriptives qui proviennent du sondage des élections québécoises de 2012 du projet Making Electoral Democracy Work qui a été réalisé auprès de l'ensemble de la population québécoise. Les deux sondages ont été effectués durant la même période de temps, suivant la même méthodologie, et ont employé, à quelques exceptions près, le même questionnaire.

Qu'en est-il de la fréquentation de l’école francophone ? Pour un des quatre indicateurs, les analyses ne révèlent pas de lien significatif entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques, soit la satisfaction envers la démocratie. Pour ce qui est des trois autres indicateurs, les analyses révèlent que ceux qui ont fréquenté l’école francophone ont des préférences politiques plus marquées envers la communauté politique québécoise. Ainsi, les néo-Québécois qui ont fréquenté l’école francophone expriment un attachement plus fort pour le Québec que pour le Canada (0,7) que ceux qui n'ont pas fréquenté l’école francophone (-0,9). De la même manière, les néo-Québécois qui ont fréquenté l’école francophone sont plus enclins à s'identifier uniquement ou davantage comme Québécois que ceux qui n'ont pas fréquenté l’école francophone (22% vs 11%) ou même d'exprimer une intention de voter « oui » à un éventuel référendum sur l'indépendance du Québec (28% vs 8%).

Évidemment, les données présentées ci-dessus ne permettent pas de conclure avec certitude qu'il existe un lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques. En effet, s'il est vrai qu'un lien est observé, il est possible que ce lien ne soit pas attribuable à la fréquentation de l’école francophone, mais plutôt attribuable à l’âge précoce d'arrivée au Québec des néo-Québécois qui ont fréquenté l’école francophone. Les néo-Québécois de première génération qui ont fréquenté l’école francophone au Québec sont presque tous arrivés en bas âge dans la province. Il est par conséquent possible que l’école n'ait que peu ou pas d'influence sur le développement de leurs préférences politiques et que le lien observé soit plutôt attribuable à l'ensemble des expériences de socialisation politique acquises en jeune âge, dont la fréquentation de l’école francophone fait partie.Footnote 11

Les néo-Québécois de première génération qui utilisent la langue française et qui ont fréquenté l’école francophone au Québec semblent donc afficher des préférences politiques qui convergent davantage avec celles de la population majoritaire francophone. Néanmoins, les données descriptives pour les Québécois francophones présentées dans le Tableau 3, obtenues à partir du sondage des élections québécoises de 2012 du projet Making Electoral Democracy Work, montrent que même lorsqu'ils ont fréquenté l’école francophone au Québec ou qu'ils utilisent le français à la maison, avec les amis et au travail, les néo-Québécois de première génération expriment une préférence politique pour le Québec nettement moins forte que celle exprimée par la population majoritaire francophone (que ce soit en lien avec l'attachement, l'identification ou l'appui à l'indépendance du Québec).Footnote 12 L'usage de la langue française et la fréquentation de l’école francophone semblent donc favoriser un rapprochement des préférences politiques avec la population majoritaire francophone, mais ne provoquent pas un conformisme politique.

Les préférences politiques de la seconde génération de néo-Québécois

Qu'en est-il de la seconde génération née au Canada de parents immigrants ? Les résultats des analyses présentés dans le Tableau 4 concordent avec ceux observés pour la première génération. Tout d'abord, pour les quatre indicateurs examinés, on observe que les néo-Québécois de seconde génération qui adoptent le français (à la maison, avec les amis et au travail) affichent des préférences politiques davantage orientées vers le pôle québécois que ceux qui adoptent une langue autre que le français. Les prédictions présentées dans le Tableau 5 montrent que les néo-Québécois qui adoptent ainsi le français dans les trois contextes identifiés semblent également satisfaits envers la démocratie au Québec et au Canada alors que ceux qui adoptent une langue autre que le français semblent beaucoup plus satisfaits envers l’état de la démocratie au Canada qu'au Québec (0,0 vs −1,4). La même relation est observée, et fortement marquée, pour l'attachement au Québec et au Canada (1,4 vs -1,7), l'identification au Québec et au Canada (44% vs 8%) et l'appui à l'indépendance du Québec (29% vs 4%).

Tableau 4 Usage du français, fréquentation de l’école francophone et préférences politiques (2e génération)

Source: Sondage des minorités visibles des élections québécoises de 2012. *** : p < .001; ** : p < .01; * : p < .05

Le tableau rapporte les coefficients B non-standardisés pour des analyses de régression MCO (1) et régressions logistiques (2).

Tableau 5 Prédictions pour la 2e génération à partir des analyses du Tableau 4

Les prédictions sont obtenues à partir des analyses du Tableau 4 en maintenant à leur valeur moyenne toutes les autres variables du modèle.

Les données pour les Québécois francophones nés au Canada sont des données descriptives qui proviennent du sondage des élections québécoises de 2012 du projet Making Electoral Democracy Work qui a été réalisé auprès de l'ensemble de la population québécoise. Les deux sondages ont été effectués durant la même période de temps, suivant la même méthodologie, et ont employé, à quelques exceptions près, le même questionnaire.

En ce qui concerne le lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques des néo-Québécois, les données présentées appuient cette hypothèse pour trois des quatre indicateurs chez la seconde génération. Les néo-Québécois de seconde génération qui ont fréquenté l’école francophone ont des préférences politiques qui sont plus orientées vers le pôle québécois que ceux qui n'ont pas fréquenté l’école francophone, que ce soit en étant plus attaché au Québec qu'au Canada (0,8 vs -0,8), en affichant une plus grande propension à s'identifier au Québec qu'au Canada (37% vs 8%) ou encore en étant plus nombreux à exprimer un penchant pour l'indépendance du Québec (23% vs 5%).

Les données concernant un lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques des néo-Québécois de seconde génération sont-elles plus convaincantes que celles présentées pour la première génération ? La question de l’âge d'arrivée au Québec est moins pertinente pour ce groupe de néo-Québécois nés au pays.Footnote 13 L'interprétation du lien observé entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques doit néanmoins être nuancée. En effet, il y a fort à penser que les enfants qui n'ont pas fréquenté l’école francophone ont probablement grandi et évolué dans un milieu globalement plus anglophone. Les liens observés entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques sont intéressants et pertinents pour mieux comprendre les dynamiques de socialisation politique en bas âge et l'influence générale du milieu linguistique dans lequel les néo-Québécois ont grandi (milieu qui englobe mais dépasse l’école). Si une telle interprétation est juste, les résultats sont importants et renforcent l'hypothèse d'un lien entre pratiques linguistiques et préférences politiques. Les liens observés, par contre, ne permettent pas d’établir un lien de causalité direct entre la langue du milieu scolaire et les préférences politiques des néo-Québécois. Finalement, comme cela a été observé pour la première génération, s'il est vrai que les néo-Québécois de seconde génération qui font usage du français et qui ont fréquenté l’école francophone affichent des préférences politiques qui convergent davantage avec celles du groupe majoritaire francophone, leur préférence pour la communauté politique québécoise demeure nettement plus faible.

Conclusion

Un certain nombre d’études sur l'intégration linguistique examinent l'impact de la compétence linguistique sur l'intégration des immigrants (Blaser, Reference Blaser2006 ; Grenier, Reference Grenier2001); cette étude et d'autres avant elle menées au Québec examinent plutôt la question sous l'angle du lien entre l'usage de la langue française chez les néo-Québécois et leurs relations aux communautés politiques québécoise et canadienne. Conformément aux autres études sur le sujet, la présente recherche montre qu'un plus grand usage du français, autant chez la première que chez la seconde génération, est associé à une préférence plus forte pour la communauté politique québécoise. Les néo-Québécois appartenant à une minorité visible demeurent généralement plus positifs envers la communauté politique canadienne que la communauté politique québécoise, mais leur préférence pour cette dernière est plus forte et tend à converger vers celle de la population majoritaire francophone lorsqu'ils adoptent le français dans leur vie quotidienne.

La présente étude aborde également la question du lien entre la fréquentation de l’école francophone au Québec et les relations aux communautés politiques québécoise et canadienne. Les résultats montrent que la fréquentation de l’école francophone est associée à une plus forte préférence pour la communauté politique québécoise ; là encore, la relation est observée autant chez la première que chez la seconde génération. Fait intéressant, la relation semble plus forte pour les indicateurs plus affectifs et symboliques (attachement, identité et appui à l'indépendance du Québec) que pour l'indicateur plus cognitif (satisfaction envers la démocratie). Ces résultats sont cohérents avec les théories qui stipulent que les expériences de socialisation politique en bas âge ont un effet plus structurant sur les attitudes plus affectives et symboliques que sur les attitudes plus cognitives (Sears, Reference Sears, Iyengar and McGuire1993).

Il faut être prudent, par contre, avant de conclure à un lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques des néo-Québécois. En effet, des considérations d'ordre méthodologique nous obligent à nuancer l'interprétation des résultats, et ce, autant pour la première que pour la seconde génération de néo-Québécois. Pour la première génération, beaucoup parmi ceux qui n'ont pas fréquenté l’école francophone sont arrivés au Québec (et au Canada) à un âge tardif. Le lien entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques pourrait ainsi refléter l'effet de l’âge d'arrivée au Québec et non pas celui de la fréquentation de l’école francophone. Chez la seconde génération, étant donné les dispositions de la Loi 101, on peut penser que ceux qui ne fréquentent pas l’école francophone baignent déjà dans un milieu principalement anglophone. Ainsi, le lien observé entre la fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques pourrait refléter davantage l'influence de l'ensemble du milieu de socialisation politique en bas âge (dont fait partie le milieu scolaire) plutôt que l'effet spécifique et unique du milieu scolaire.

Qu'il s'agisse de l'usage de la langue française ou de la fréquentation de l’école francophone, à quels mécanismes peut-on attribuer le lien observé entre l'intégration linguistique et l'intégration politique? Il n'est pas possible de fournir une réponse définitive à cette question, mais la littérature existante sur le sujet suggère que les choix linguistiques sous-tendent des réseaux sociaux et par conséquent des réseaux d’échanges d'information politique. En adoptant le français à la maison, avec les amis ou au travail, les néo-Québécois s'insèrent dans des réseaux sociaux fortement ancrés dans cette communauté linguistique. Au sein de ces réseaux sociaux, les néo-Québécois partagent des expériences de socialisation politique avec les autres membres de cette communauté linguistique, sont exposés aux mêmes informations et opinions politiques, et en viennent à développer des préférences politiques qui convergent davantage avec celles des autres membres de cette communauté linguistique. L’école de pensée Columbia nous apprenait, il y a bien longtemps, que les clivages sociaux contribuent à créer et à entretenir des clivages politiques via un processus d'influence interpersonnelle (Lazarsfeld, Berelson et Gaudet, Reference Lazarsfeld, Berelson and Gaudet1968), et la recherche plus récente montre le rôle structurant des réseaux sociaux pour l’échange d'information politique (Beck et coll., Reference Beck, Dalton, Greene and Huckfeldt2002 ; Huckfeldt et Sprague, Reference Huckfeldt and Sprague1987). Ces prémisses théoriques apparaissent fort pertinentes pour le cas d’étude proposé. L'usage du français au Québec structure les réseaux sociaux, les échanges d'information politique et en fin de compte les préférences politiques (Bélanger et Nadeau, Reference Bélanger and Nadeau2009 ; Nadeau et Bélanger, Reference Nadeau, Bélanger and Boily1999 ; Blais et Nadeau, Reference Blais, Nadeau and Crête1984); de la même manière, l'usage du français semble agir comme une force structurante pour l'intégration des néo-Québécois aux dynamiques politiques québécoises.

Par contre, le lien entre l'usage de la langue et les préférences politiques des néo-Québécois a ses limites. En effet, même lorsque les néo-Québécois utilisent le français dans leur vie quotidienne et ont fréquenté l’école francophone, on remarque des écarts importants avec le reste de la population majoritaire francophone; les néo-Québécois expriment une préférence plus faible pour la communauté politique québécoise. La pertinence de distinguer la première et la seconde génération prend toute son importance afin de bien cerner les limites de la langue comme force structurante des préférences politiques des néo-Québécois. Que les néo-Québécois de première génération n'affichent pas le même profil de préférences politiques que la population francophone majoritaire, même lorsqu'ils utilisent le français dans leur vie quotidienne, n'est pas tellement surprenant. Lorsque la première génération arrive au Québec, elle a déjà acquis un bagage d'expériences politiques ; la socialisation politique en bas âge étant distincte, on peut s'attendre à ce que les préférences politiques soient distinctes aussi.

La situation est différente pour la seconde génération puisque celle-ci est née au Québec et a, en théorie, acquis un lot d'expériences politiques comparable à celui du reste de la population. La socialisation politique en bas âge étant relativement semblable à celle de la population majoritaire francophone, on peut s'attendre à ce que les préférences politiques soient relativement semblables elles aussi. Les analyses montrent pourtant que la seconde génération de néo-Québécois ne développe pas un profil de préférences politiques similaire à celui de la population majoritaire francophone, et ce, même lorsqu'elle fait usage du français et a fréquenté l’école francophone. Lavoie et Serré (Reference Lavoie and Serré2002) montraient des écarts persistants entre les néo-Québécois et la population majoritaire francophone en ce qui concerne l'appui à la souveraineté et au Parti québécois, même lorsque les néo-Québécois utilisent le français ; les auteurs ne pouvaient pas, par contre, faire un examen rigoureux de la distinction entre la première et la seconde génération. La présente étude fait cette distinction et montre ainsi les limites du lien entre l'usage du français et les préférences politiques autant chez la première que chez la seconde génération de néo-Québécois. Ces résultats concordent aussi avec ceux de Bilodeau et coll. (Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) qui montraient que les néo-Québécois de première et seconde génération au Québec affichent une vision de la fédération canadienne plus orientée vers une vision nationale que régionale en comparaison du reste de la population, même lorsqu'ils parlent le français à la maison.

La question est : « pourquoi les néo-Québécois affichent-ils cette plus forte préférence pour la communauté politique canadienne, même lorsqu'ils ont fréquenté l’école francophone, font usage du français et sont membres de la seconde génération ? » Cette étude ne peut répondre à cette question. Bilodeau et coll. (Reference Bilodeau, White and Nevitte2010, Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) spéculaient sur l'attrait du modèle multiculturaliste du gouvernement fédéral, modèle qui n'a jamais été officiellement accepté par le gouvernement du Québec et qui offrirait une définition flexible de l'identité canadienne favorisant ainsi le sentiment d'appartenance des néo-Québécois envers la communauté politique canadienne. Bilodeau et coll. (Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) démontraient d'ailleurs le fort appui à la politique de multiculturalisme chez les Canadiens membres d'une minorité visible — plus fort que dans le reste de la population — non seulement au Québec, mais aussi dans les trois autres provinces étudiées (Ontario, Alberta et Colombie-Britannique). D'autres interprétations mériteraient d’être examinées. Entre autres, on peut s'interroger sur les rapports minorités-majorité au Québec. Les épisodes tels que la crise des accommodements raisonnables au début des années 2000 et la proposition de la Charte des valeurs du gouvernement du Parti québécois en 2013 sont peut-être symptomatiques d'un certain malaise dans les relations entre les minorités et la majorité. Dans ce contexte, les néo-Québécois perçoivent peut-être la communauté politique canadienne comme étant plus accueillante et plus ouverte à reconnaître leur contribution à la collectivité que la communauté politique québécoise.

Annexe. Construction des variables

Footnotes

1 Le pouvoir d'attraction de l'anglais peut s'expliquer en partie par le fait que bien que le gouvernement fédéral soit bilingue, c'est l'anglais qui est principalement parlé au Canada. Si le français est la langue officielle au Québec depuis 1974, les autres provinces ont de facto l'anglais pour langue officielle, sauf pour le Nouveau-Brunswick qui est la seule province officiellement bilingue.

2 À partir de ce point dans le texte, l'expression « néo-Québécois » signifie « néo-Québécois appartenant à une minorité visible ». La définition de minorité visible correspond à celle que l'on trouve dans la Loi sur l’équité en matière d'emploi. Il s'agit « de personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n'ont pas la peau blanche. Il s'agit de Chinois, de Sud-Asiatiques, de Noirs, de Philippins, de Latino-Américains, d'Asiatiques du Sud-Est, d'Arabes, d'Asiatiques occidentaux, de Japonais, de Coréens et d'autres minorités visibles et de minorités visibles multiples. » Voir : http://www.statcan.gc.ca/pub/81-004-x/def/4068739-fra.htm.

3 Il est important de noter que les conclusions de Bélanger et Perrella s'appuient aussi sur des différences notoires dans les facteurs structurant l'appui à la souveraineté entre les différents groupes linguistiques.

4 Cette étude repose sur le sondage pré-électoral effectué pendant la campagne électorale du 21 au 31 août 2012. Le sondage électoral était d'une durée de 25 minutes et tous les participants sont membres du panel internet de Léger. Comme il s'agit d'un sondage internet, il n'est pas possible de calculer un taux similaire à ceux calculés pour les sondages téléphoniques. 11026 invitations à participer au sondage ont été faites à des membres du panel web qui appartenaient à une minorité visible. La question suivante a été utilisée comme filtre par la firme de sondage pour identifier si les participants étaient membres d'une minorité visible : « Parmi les groupes raciaux ou ethniques sur la liste suivante, auquel appartenez-vous? Blanc/Blanche ; Sud-Asiatique (p. ex. Indien de l'Inde, Pakistanais, Sri-Lankais) ; Chinois(e) ; Noir(e) ; Philippin(e) ; Latino-Américain(e) ; Arabe ; Asiatique du Sud-Est (p. ex. Vietnamien, Cambodgien, Malaisien, Laotien); Asiatique occidental (p. ex. Iranien, Afghan) ; Coréen(ne) ; Japonais(e) ; Premières Nations ou Autochtone. »

5 Bilodeau et coll. (Reference Bilodeau, Turgeon, White and Henderson2015) n'offrent pas de comparaison de la première et seconde génération des minorités visibles lorsqu'ils examinent la question de la langue au Québec. Lavoie et Serré (Reference Lavoie and Serré2002) se limitent à un examen très sommaire de la seconde génération à cause d'un échantillon de très petite taille.

6 La langue maternelle est une caractéristique immuable qui ne reflète pas nécessairement la langue utilisée dans la vie de tous les jours par ces jeunes Québécois issus de l'immigration.

7 Il est possible que l’échantillonnage surreprésente la population francophone. Néanmoins, l'objectif de cette étude est d’évaluer si les pratiques linguistiques sont associées avec certaines préférences politiques, et non de présenter un portrait représentatif des pratiques linguistiques des néo-Québécois.

8 Cette proportion (77%) peut néanmoins sembler faible compte tenu du caractère obligatoire de la fréquentation de l’école francophone. Il est possible que la proportion de répondants ayant fréquenté l’école francophone soit sous-estimée. En effet, les répondants devaient remplir des cases pour indiquer le nombre d'années d’éducation réalisées dans les réseaux francophones et anglophones. Alors que certains répondants indiquaient « 0 » lorsqu'ils n'avaient pas fréquenté un réseau scolaire, d'autres laissaient la case vide. Cette particularité nous empêche malheureusement de distinguer ceux qui ont laissé une case vide parce qu'ils n'ont pas fréquenté un réseau scolaire et ceux qui ont laissé une case vide parce qu'ils préféraient ne pas répondre à la question.

9 Pour la première génération, la variable d’âge d'arrivée au Canada n'est pas incluse puisqu'elle est fortement corrélée avec la fréquentation de l’école francophone. Alors que 76% des immigrants qui sont arrivés avant l’âge adulte ont fréquenté l’école francophone, cette proportion n'est que de 7% chez ceux qui sont arrivés alors qu'ils avaient déjà atteint l’âge de 18 ans. Une discussion à cet effet est proposée plus loin.

10 Les nombres entre parenthèses représentent les prédictions présentées dans le Tableau 3. Les prédictions sont obtenues en comparant les préférences des répondants qui utilisent le français dans les trois contextes (3) et ceux qui ne l'utilisent dans aucun des trois contextes (0), et en maintenant à leur valeur moyenne toutes les autres variables du modèle. La même méthode est employée pour toutes les autres prédictions présentées ci-dessous.

11 Les analyses du Tableau 2 révèlent très peu d'autres déterminants des préférences politiques des néo-Québécois. À noter, le nombre d'années vécues au Québec est négativement corrélé à l'appui à l'indépendance du Québec, mais avec aucune autre des trois variables examinées. L'attachement au Québec (par rapport au Canada) et l'appui à l'indépendance du Québec semblent augmenter avec l’âge. On ne note pas de différence significative entre les préférences politiques des néo-Québécois qui résident à Montréal, Québec ou dans une autre région administrative.

12 Il n'est pas possible d’évaluer le lien entre pratiques linguistiques ou fréquentation de l’école francophone et les préférences politiques des Québécois qui ne sont pas membres d'une minorité visible puisque les questions sur ces pratiques n'ont été posées que dans le sondage des Québécois membres d'une minorité visible.

13 Certains peuvent être nés ailleurs au Canada et s’être ensuite installés au Québec.

References

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Figure 0

Tableau 1 Pratiques linguistiques des néo-Québécois

Figure 1

Tableau 2 Usage du français, fréquentation de l’école francophone et préférences politiques (1ère génération)

Figure 2

Tableau 3 Prédictions pour la 1ère génération à partir des analyses du Tableau 2

Figure 3

Tableau 4 Usage du français, fréquentation de l’école francophone et préférences politiques (2e génération)

Figure 4

Tableau 5 Prédictions pour la 2e génération à partir des analyses du Tableau 4