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Marianne Doury. 2016. Argumentation. Analyser textes et discours. Collection Portail. Paris : Armand Colin. P. 192. 20,50 € (broché)

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Marianne Doury. 2016. Argumentation. Analyser textes et discours. Collection Portail. Paris : Armand Colin. P. 192. 20,50 € (broché)

Published online by Cambridge University Press:  16 April 2018

Laurence Arrighi*
Affiliation:
Université de Moncton
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Abstract

Type
Review/Compte rendu
Copyright
Copyright © Canadian Linguistic Association/Association canadienne de linguistique 2018 

Argumentation. Analyser textes et discours affiche d'emblée sa vocation didactique. Publié dans une collection destinée aux étudiants et aux étudiantes de premier cycle (coll. Portail, chez Armand Colin), sa présentation formelle et visuelle fait largement appel à la couleur, sa mise en page est aérée, le découpage en sections est fort bien organisé, les notions clés sont reprises sous forme d'encadrés, enfin des exercices et leurs corrigés accompagnent chaque chapitre. L'ouvrage est également assorti de ressources numériques, déposées sur le site de l’éditeur, comprenant un chapitre supplémentaire intitulé « La structure de l'argumentation », une bibliographie et un glossaire. Une écriture des plus claires parachève de rendre le contenu le plus accessible possible.

Le souci d'accessibilité est tout aussi manifeste. Si la couverture est des plus classiques (on y voit – sur une reproduction d'une peinture du 18e siècle – un député s'adressant à la Chambre des communes), le livre ne puise pas ses exemples dans les grands monologues des orateurs politiques, juridiques ou encore écrivains, mais s'appuie sur des extraits de journaux ou de magazines contemporains, des transcriptions d'entretiens radiophoniques et des fils de discussions sur le Web. Ce faisant, l'ouvrage se détache du parti pris de la plupart des ouvrages d'introduction à l'argumentation disponibles sur le marché pour lesquels argumenter est une pratique rhétorique héritée des Grecs et qui se consacrent, dans cette lignée, aux textes oratoires monologaux (tel Reboul Reference Reboul1991). Contrecoup toutefois – et cela constitue mon seul bémol – de ce choix en faveur du quotidien et du populaire, les exemples, pour la majorité contemporains et judicieusement choisis qu'ils soient, sont presque tous issus de l'actualité « franco-française ». Conséquemment, ils font souvent état de débats aux implications essentiellement hexagonales, ce qui pour un public canadien peut représenter une gêne dans la mesure où l'argumentation se construit aussi autour d'enjeux et d'implicites culturellement situés.

Il n'en reste pas moins que l'on ne peut qu'apprécier la démarche empirique appliquée à des données écrites ou orales en interaction sur des débats de société, ce qui est précisément la « marque de fabrique » de bien des travaux scientifiques de l'auteure. Marianne Doury – chercheuse au Centre national de recherche scientifique (CNRS), responsable de l'axe « Médias, espace public, discours » du Laboratoire Communication et Politique (LCP) – est en effet connue depuis plus de 20 ans pour ses travaux, tel L'argumentation aujourd'hui. Positions théoriques en confrontation (Doury et Moirand Reference Doury and Moirand2004), qui portent une attention particulière à des mécanismes argumentatifs spécifiques (argument d'autorité, témoignage, accusation d'amalgame, etc.) et à l'activité critique des locuteurs, telle qu'elle transparaît dans les échanges argumentatifs quotidiens ou plus spécialisés. S’éloignant aussi en cela de bien des ouvrages traitant d'argumentation (ainsi Meyer Reference Meyer2011 qui propose d'apprendre à ses lecteurs à défendre et imposer leur point de vue), l'ambition du travail de Doury n'est jamais de « guider la production d'argumentations, mais [d’]outiller ceux qui, confrontés à des échanges argumentatifs, cherchent à en extraire la structure et la dynamique, en identifiant les principaux nœuds de désaccord et les procédés qui contribuent à les renforcer ou à les résoudre » (p. 5, c'est l'auteure qui souligne).

L'ouvrage est organisé en quatre parties et divisé en six chapitres. Dans la première partie, introductive, intitulée « Vers une définition de l'argumentation », le chapitre 1 « Qu'est-ce que l'argumentation ? » propose une définition du concept. Pour Doury, l'argumentation est avant tout la confrontation d'un discours et d'un contre-discours qui ne vise pas forcément la persuasion (ce qui rappelle la notion de « coexistence dans le désaccord » définie par Amossy Reference Amossy2011). L'argumentation présente aussi une grande variété de manifestations, dans la mesure où, comme Doury le souligne, elle « se développe dans et par le langage » (p. 16). Cette pétition de principe est encore l'une des spécificités des travaux de Doury qui, inscrits dans le champ des études d'argumentation, sont fortement enracinés dans les sciences du langage. Pour le dire autrement, argumenter est vu ici comme une pratique langagière et non comme un genre quasi-littéraire répondant à des codes spécifiques à identifier et à reproduire au besoin. L'abord empirique est ici (ré)affirmé, a contrario d'une visée normative; il s'agit de « comprendre comment les locuteurs s'y prennent (et non comment les locuteurs devraient s'y prendre) lorsque se manifeste une divergence d'opinions, et qu'ils sont amenés à consolider leur position face à une opposition » (p. 5, c'est l'auteure qui souligne).

La deuxième partie, « L'articulation du discours et du contre-discours au cœur de l'argumentation », rassemble deux chapitres. « Argumentation et énonciation » (chapitre 2) met de l'avant le caractère dialogique de l'argumentation où le locuteur donne aussi voix à ses alliés et adversaires. On reconnaît ici la pâte de la linguistique de l’énonciation et sa notion d'hétérogénéité énonciative (Authier-Revuz Reference Authier-Revuz1984). Le chapitre 3 envisage, comme l'indique son titre, « [l]e traitement du contre-discours » à travers les « figures » de la concession, du raisonnement par l'absurde, de l'antilogie, de la stratégie de rétorsion, etc.

La troisième partie, « Les principaux ressorts de l'argumentation », comprend elle aussi deux chapitres. Le chapitre 4, « Les types d'arguments » propose un classement des principales catégories d'arguments : arguments fondés sur la ressemblance, sur la relation de causalité, sur la personne, chacun à leur tour divisé en sous-catégories. Le chapitre 5 (« Argumentation et rhétorique : les preuves oratoires ») fait une part au dispositif rhétorique traditionnel, celui hérité des Grecs et fondé sur la trilogie aristotélicienne logos (le discours lui-même), ethos (l'image discursive de l'argumenteur) et pathos (la construction émotionnelle du discours).

La quatrième partie, « Le langage de l'argumentation » avec le chapitre 6 intitulé « Inventaire raisonné des marqueurs langagiers de l'argumentation », s'inscrit encore de plain-pied dans la linguistique de l’énonciation. L'auteure se penche sur les connecteurs et les opérateurs argumentatifs (ces « petits mots » qui, tels presque, peu/un peu sont susceptibles par leur insertion dans un énoncé d'en modifier l'orientation argumentative), et souligne le marquage linguistique des types d'arguments, notamment par la mise de l'avant de choix lexicaux et d'expressions figées qui guident subtilement la réception de l'argumentaire. Si ce chapitre est typique de la façon dont les sciences du langage (dans le monde francophone) abordent l'argumentation, c'est-à-dire par l'intermédiaire de l’étude de l'inscription langagière du sujet choisissant judicieusement ses « petits mots » dans son discours, Marianne Doury en souligne les limites. On « dérive » (selon son mot) lorsque le « repérage de ces derniers [connecteurs et opérateurs argumentatifs] tient lieu d'analyse argumentative » (p. 149), comme c'est couramment le cas en linguistique selon une tradition héritée de Ducrot et al. (Reference Ducrot1980) (bien qu'il ne puisse en « être tenu pour responsable ! », p. 149).

In fine, ce livre combine ensemble trois dimensions : une méthodologie empirique, une ambition descriptive et surtout une approche langagière telle que l’énonce et le souligne Doury, c'est-à-dire que « [l’] argumentation n'est pas qu’“accidentellement” langagière : elle n'est pas avant tout une activité de pensée, ou une structure logique qu'il s'agirait de dépouiller de ses oripeaux langagiers pour atteindre son essence véritable. L'argumentation se développe dans et par le langage, elle lui est coextensive » (p. 16). Cette triple dimension de l'ouvrage en fait une œuvre particulièrement précieuse pour des étudiants et des étudiantes de tous cycles, mais aussi des chercheurs et chercheuses issus de différentes disciplines (linguistique, sociologie, sciences politiques ou sciences de l'information) qui entendent comprendre les grands ressorts de l'argumentation. Manuel rédigé par une spécialiste, Argumentation. Analyser textes et discours s'avère un outil de première ligne pour saisir les procédés langagiers mis à l’œuvre par les locuteurs argumentant. Ce faisant, il offre également une arme pour faire face à bien des discours qui, pour neutres et équilibrés qu'ils se donnent, sont des discours orientés et axiologiquement chargés.

References

Références

Amossy, Ruth. 2011. La coexistence dans le dissensus, la polémique dans les forums de discussion. Semen 31 : 2542. <https://semen.revues.org./9051>>Google Scholar
Authier-Revuz, Jacqueline. 1984. Hétérogénéité(s) énonciative(s). Langages 19(73) : 98111.Google Scholar
Doury, Marianne et Moirand, Sophie, sous la dir. 2004. L'argumentation aujourd'hui. Positions théoriques en confrontation. Paris : Presses Sorbonne Nouvelle.Google Scholar
Ducrot, Oswald et al. 1980. Les mots du discours. Paris : Les Éditions de Minuit.Google Scholar
Meyer, Michel. 2011. Maîtriser l'argumentation. Paris : Armand Colin.Google Scholar
Reboul, Olivier. 1991. Introduction à la rhétorique. Paris : Presses universitaires de France.Google Scholar