En 2010, un colloque international portant sur le français parlé en Acadie a été organisé à l'Université de Moncton pour rendre hommage à la contribution scientifique de Louise Péronnet, linguiste et professeure retraitée à cette même université. Cet ouvrage regroupe quinze articles originalement présentés à ce colloque et aborde la situation minoritaire acadienne sous plusieurs perspectives théoriques. En passant par la description des usages jusqu’à la caractérisation des dynamiques sociales, politiques et juridiques, l'ensemble de ces articles dresse un portrait très clair et subtil des différents enjeux entourant la francophonie acadienne à l'heure actuelle.
Le premier texte, « Les droits linguistiques, la démocratie et la judiciarisation » (pp. 23–42), de Michel Doucet, traite principalement des dispositions constitutionnelles et législatives entourant l'aménagement du français au Nouveau-Brunswick. Il propose de mieux définir la nécessité de la judiciarisation du français pour assurer l’épanouissement et le développement des communautés minoritaires de langue officielle. Selon lui, les droits fondamentaux sont en lien étroit avec les droits linguistiques dans la mesure où ces derniers ne représentent pas une catégorie inférieure de normes juridiques. Il conviendrait donc de considérer sérieusement l'ensemble de ces dispositions juridiques, tant décriées par certains.
Pour sa part, Luc Léger, dans son chapitre « Les limites de l'aménagement linguistique actuel du Nouveau-Brunswick : Quelles incidences pour les travailleuses et les travailleurs des entreprises du secteur privé? » (pp. 43–59), s'interroge sur les rapports de force entre le français et l'anglais au sein des entreprises du secteur privé au Nouveau-Brunswick. Sur la base d'entretiens avec plusieurs employés de centres d'appel de la ville de Moncton, l'auteur démontre que l'anglais reste la langue dominante sur ces lieux de travail et que l'absence de documentation en français ne fait que renforcer l'inégalité sociale entre ces langues. Par son article, Léger relance le débat sur la nécessité d’étendre l'aménagement du français au sein du secteur privé.
Françoise Gadet propose une réflexion sur la notion de variété linguistique dans « Quelques réflexions sur la notion de variété, en référence à l'acadien » (pp. 61–79). En prenant l'exemple de l'Acadie, elle souligne les défis que pose la définition des traits propres à une variété. Le français acadien étant lui-même hétérogène d'une région à l'autre, Gadet nous met en garde contre une utilisation maladroite du terme variété et appuie l'idée d'une (re)définition qui tiendrait compte autant des dimensions sociologiques et interactionnelles que des dimensions linguistiques.
Pierre-Don Giancarli, dans « La forme pronominale en québécois (se + être) et en acadien (se + avoir) » (pp. 81–105), présente une analyse syntaxique du choix des auxiliaires dans les constructions pronominales. À partir de résultats basés sur des données de corpus oraux et écrits du français acadien et du français québécois, Giancarli démontre que l'auxiliaire avoir est sélectionné presque catégoriquement en Acadie, alors qu'au Québec c'est plutôt l'auxiliaire être qui est choisi. Il explique que cette différence est attribuable au double statut du se pronominal : cet élément serait une marque morphologique de réduction de valence en français acadien, mais un argument syntaxique en français québécois.
S'intéressant à la relation entre le français acadien et le français parlé en Louisiane, Julia Hennemann et Ingrid Neumann-Holzschuh proposent une analyse descriptive de voir et de -ti. Dans leur chapitre « Les particules voir et -ti dans le français acadien et louisianais : Deux particules à cheval entre lexique et syntaxe » (pp. 107–134), les auteures traitent du fait que ces formes postposées en français acadien renforcent les phrases impératives, interrogatives et exclamatives. Dans le cas du français louisianais, leur emploi s'avère beaucoup plus restreint. Ces auteures avancent que ces différences ne seraient pas le fruit d'une « désacadianisation », c'est-à-dire d'une dédialectalisation du français louisianais; ce parler serait plutôt un nouveau régiolecte. Elles suggèrent, tout comme Gadet, qu'il est difficile d'affirmer qu'un phénomène linguistique est l'apanage du français acadien.
Dans son chapitre « Lorsque la reformulation joue sur deux langues : L'exemple du discours d'une radio communautaire de la Nouvelle-Écosse » (pp. 135–161), Cristina Petras se penche sur une émission de radio communautaire de la Nouvelle-Écosse et aborde spécifiquement la façon dont les animateurs et les invités reformulent des énoncés traduits de l'anglais vers le français (ou vice versa). Alors que les locuteurs de son corpus comprennent l'importance de s'exprimer en français (conformément à la politique linguistique de cette radio), ils reconnaissent toutefois la légitimation de plusieurs termes anglais au sein de leur communauté. Ainsi, Petras met de l'avant le rapport complexe qu’éprouvent ces Acadiens vis-à-vis du français et de l'anglais.
Sylvia Kasparian et Pierre Gérin examinent les termes d'adresse et les marqueurs de politesse dans le sud-est du Nouveau-Brunswick dans leur chapitre « La politesse et les variations culturelles : Description des termes d'adresse dans les parlers acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick » (pp. 163–182). Après avoir analysé deux corpus de conversations spontanées (à l'oral et à l’écrit), ces auteurs proposent un continuum qui rassemble les formes d'adresse, allant des moins formelles aux plus formelles. Un constat qui se dégage de l’étude est que les locuteurs semblent utiliser des formes mixtes, c'est-à-dire des formes qui sont à cheval entre le standard et la familiarité.
Marie-Ève Perrot, dans son chapitre « Représentations du chiac dans L'Acadie Nouvelle contemporaine (2000–2010) : Définition, désignation, évaluation » (pp. 183–204), se penche sur un corpus d'articles paru dans le quotidien L'Acadie Nouvelle entre 2000 et 2010. Son analyse montre que le nombre d'articles abordant ce parler s'est largement accru à partir de 2007 pour atteindre son apogée en 2009 (suite à la création du super-héros Acadieman). Perrot souligne deux aspects qui ressortent de l'ensemble des discours sur le chiac : une dénonciation de l'appauvrissement du français et une réflexion sur les limites (linguistiques et sociales) à reconnaître à ce parler.
Dans sa contribution « Des langues d'oïl à l'acadien : Projet d'enquêtes sociolinguistiques parallèles » (pp. 205–222), Lilianne Jagueneau propose d'inclure le français acadien au sein d'un projet de grande envergure mené en Europe et portant sur l'aménagement linguistique des langues d'oïl. Même s'il y a des ressemblances entre la situation des langues d'oïl et celle du français acadien, Jagueneau reconnaît aussi des différences : le français acadien se distingue par la diversité de ses usages, le contact très fréquent avec l'anglais et un fort sentiment identitaire chez les Acadien(ne)s. Par conséquent, elle souligne l'importance d'adapter l'enquête aux divers contextes dans lesquels se trouvent ces langues.
Dans « La francisation dans les écoles du Nouveau-Brunswick : Défis et moyens » (pp. 223–245), Marianne Cormier et Anne Lowe présentent les avantages et les inconvénients de quatre modèles de francisation mis en place dans différentes écoles francophones du Nouveau-Brunswick. Bien que l'hétérogénéité des profils langagiers des élèves rende la situation compliquée pour le personnel scolaire – en effet, le milieu scolaire comprend des locuteurs natifs comme des locuteurs non natifs du français –, les auteures suggèrent que ces modèles de francisation sont nécessaires pour assurer la vitalité ethnolinguistique du français. L'analyse qu'elles font de ces modèles se veut un guide pour les enseignants travaillant dans les écoles de langue française en milieu minoritaire.
Marie-Laure Tending, dans « L'immigration francophone en Acadie du Nouveau-Brunswick : Du pain béni pour les francophones minoritaires? » (pp. 247–267), se penche sur le processus d'inclusion des minorités socio-ethniques de langue française au sein de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. En privilégiant une approche qualitative basée sur les récits de vie et la biographie langagière de plusieurs individus, elle s'intéresse aux reconfigurations identitaires qui résultent de la mobilité géographique et de l'inclusion dans une nouvelle situation de francophonie minoritaire. De son point de vue, l'identité francophone est largement tributaire des rapports individuels et sociaux à la langue française.
Dans le chapitre « L'Acadie a dit ou des ateliers d’écriture entre Montpellier et Moncton : L'expérience d'une sociolinguistique transnationale impliquée » (pp. 269–288), après avoir présenté un projet collaboratif d'ateliers d’écriture entre la France et l'Acadie (mis de l'avant par le théâtre Jean Vilar de Montpellier), Claudine Moïse porte une attention particulière aux façons dont les textes d’élèves de Montpellier et de Moncton permettent une reconnaissance de la variation linguistique du français. Étant donné que ces élèves sont issus de milieux diglossiques semblables, elle démontre que ce type d'ateliers permet une écriture plus libre dans ses usages et favorise un sentiment de sécurité linguistique.
Dans son chapitre « Les représentations culturelles et linguistiques de l'Acadie sur Internet : Vers une nouvelle forme de discours identitaire? » (pp. 289–307), Adeline Vasquez-Parra s'interroge sur les façons dont l'identité acadienne francophone se définit sur le Net. En étudiant la valorisation de la langue et de la culture acadienne telle que représentée dans plusieurs sites Internet, elle démontre que les réseaux sociaux virtuels en sont les réels véhicules publicitaires. Dans tous les sites recensés, il y a alternance entre une représentation traditionnelle folklorique (plutôt conservatrice) de l'identité acadienne et une représentation qui valorise l'aspect distinctif de cette culture et de cette langue.
Émilie Urbain, s'attardant elle aussi à la question des représentations linguistiques dans sa contribution « Des représentations aux dénominations et des dénominations à l'histoire : Les enjeux de la glottonymie dans l'historiographie du français d'Acadie et de Louisiane » (pp. 309–335), concentre sa recherche sur les glottonymes et les étiquettes métalinguistiques utilisés dans les ouvrages portant sur l'histoire de la langue française en Acadie et en Louisiane. Son étude révèle que ces efforts de dénomination dépassent la simple description des usages et qu'ils contribuent à la mise en forme d'un discours sur la légitimité sociale du français et de ceux qui l'utilisent.
Finalement, Laurence Arrighi et Karine Gauvin, dans leur chapitre « Discours réflexifs de lexicographes acadiens : Entre description et justification de l’œuvre » (pp. 337–355), abordent le manque d'ouvrages lexicographiques de référence sur le français acadien. Après avoir présenté les trois principaux dictionnaires existants, soient ceux de Pascal Poirier (Reference Poirier1993), d’Éphrem Boudreau (Reference Boudreau2009) et d'Yves Cormier (Reference Cormier1999), les auteures démontrent que ces ouvrages n'illustrent que le vocabulaire archaïque ou patrimonial du français acadien. La valorisation du lexique acadien s'articule donc autour de l'idéologie du conservatisme linguistique; les items lexicaux qui y figurent ne sont pas nécessairement représentatifs de l'usage actuel et des changements survenus dans la langue.
Pour conclure, l'ensemble de ces contributions permet de contextualiser le français parlé en Acadie sous plusieurs facettes théoriques et descriptives. En plus de bien refléter l'interdisciplinarité des recherches de Louise Péronnet, cet ouvrage est superbement conçu et représente une excellente référence pour tous les étudiants et les chercheurs qui désirent être informés de la situation minoritaire acadienne.