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Hélène Belleau et Agnès Martial Aimer et compter? Droits et pratiques des solidarités conjugales dans les nouvelles trajectoires familiales. Québec : Presses de l’Université du Québec, 2011. 247 pp.

Published online by Cambridge University Press:  12 September 2013

Aurélie Fillod-Chabaud*
Affiliation:
Institut Universitaire Européen, Florence (Italie)
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Abstract

Type
Book Reviews / Compte rendus
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association / Association Canadienne Droit et Société 2013 

L’ouvrage collectif proposé par Hélène Belleau et Agnès Martial est l’aboutissement d’une réflexion engagée en 2006 au sein d’une recherche Footnote 1 internationale (France, Belgique, Québec et Suisse) et pluridisciplinaire (sociologie et droit) sur la notion de « solidarité conjugale ». Les auteures proposent d’analyser cette notion au prisme de différentes configurations familiales contemporaines et s’inspirent pour ce faire d’une littérature variée (anthropologie de la parenté, sociologie économique et sociologie du droit) autour des usages conjugaux de l’argent et des solidarités familiales post-conjugales.

Qu’entendent-elles par « solidarité conjugale » ? Si « l’existence d’une entité fusionnelle, complémentaire et hiérarchisée » (p. 3) tend à s’amoindrir au sein des couples depuis les années 1970, la « norme égalitaire » est encore loin d’être universelle. En proposant la notion de solidarité conjugale, les auteures cherchent à malmener la théorie de l’individualisation des liens conjugaux, défendue notamment par les auteurs de la modernité tels qu’Anthony Giddens ou François de Singly. Les auteures souhaitent ici « réintroduire dans l’étude de la conjugalité une dimension institutionnelle qui s’exprime notamment à travers le droit et son évolution, sans oublier cependant d’interroger la relation qu’entretiennent les individus à la norme juridique » (p. 4).

Juristes (droit privé, droit de la famille, droit patrimonial) et sociologues (de la famille, du genre, de l’argent) contribuent pour moitié à cet ouvrage. Celui-ci questionne cette notion de solidarité conjugale de manière à « étayer une compréhension plus juste des rapports conjugaux contemporains » (p. 4). Comment est alors traitée cette notion au fil des contributions et selon la formation des auteurs ?

Marianne Kempeneers, sociologue de la famille, analyse dans le premier chapitre le caractère particulièrement polysémique de cette forme de solidarité, au sein de laquelle il lui semble important de dissocier sa portée statutaire et volontaire, afin de ne pas céder aux analyses qui préfèrent les concepts de « coopération » ou de « communauté », relatifs aux échanges au sein de la parenté Footnote 2 .

Une partie des contributions (chapitres 2, 5 et 6), rédigées par des juristes de la famille, s’attache à montrer la perspective contractuelle des solidarités conjugales, au sein d’unions, encadrées ou non par le mariage. Le mariage semble tout d’abord de moins en moins réguler la solidarité économique des couples. En effet, Nathalie Baugniet (chapitre 5) note un recours croissant au régime de la séparation des biens dans les contrats de mariage chez les jeunes couples belges, et Jean-Louis Renchon (chapitre 2) constate un rétrécissement progressif des solidarités conjugales assurées par le mariage, notamment au regard de la légitimation progressive du concubinage en Belgique. L’union libre n’est pas pour autant le lieu d’un encadrement juridique des solidarités conjugales, bien au contraire. En Belgique, la création d’un statut juridique pour les couples non mariés, appelé « cohabitation légale », « n’organise rien d’autre qu’une solidarité parfaitement libre » (chapitre 2, p. 53). Au Québec, selon Alain Roy, le législateur s’est volontairement attaché « au principe du libre choix et de l’autonomie de la volonté » (chapitre 6, p. 135). Loin de vouloir modifier ce dispositif législatif, l’auteur préconise que l’Etat s’assure de la « diffusion de sa politique législative de manière à ce que les justiciables puissent en comprendre la portée » (p. 136). Selon les auteurs, le droit protègerait donc à minima les couples qui décident d’encadrer leur union par le biais du mariage, même si cette protection semble de moins en moins effective.

En amont du droit, la dimension économique de la solidarité conjugale est indissociable des liens affectifs, comme le montrent les contributions d’Hélène Belleau et de Caroline Henchoz (chapitres 3 et 4). S’il s’avère que « dans le domaine des transactions conjugales, le sentiment amoureux se traduit par la valorisation du principe du don, et par la préséance des intérêts du couple et du conjoint sur les intérêts individuels » (p. 8), les jeunes générations auraient toutefois plus tendance à valoriser le principe d’indépendance au sein même des solidarités conjugales. Dès lors, comme le constate Nathalie Baugniet dans les contrats de mariages belges, les deux sociologues décrivent également des solidarités plus empreintes d’autonomie et d’individualisme chez les jeunes couples.

De manière peu surprenante, les solidarités semblent être particulièrement mises à mal par la fin du projet conjugal, lors de la désunion des couples. Tout d’abord, Veronika Nagy, sociologue du droit, soulève l’enjeu du logement conjugal (chapitre 7), ce bien étant principalement envisagé par le biais de son attribution après la séparation du couple. Encore une fois, la forte différence de protection entre couples mariés et non mariés est soulignée, les concubins étant appréhendés par le droit « comme n’importe quel litige entre deux colocataires ou deux propriétaires en indivision » (p. 159). Les chapitres 8, 9 et 10 décrivent les arrangements entre les couples désunis en matière de prise en charge des enfants et constatent la reproduction des inégalités économiques genrées. Sylvie Cadolle et Ingrid Voléry, toutes deux sociologues, présentent la difficile dissociation entre conjugalité et filiation au sein des solidarités post-conjugales. Cadolle démontre que, loin de mettre fin à la dichotomie « mère éducatrice, père pourvoyeur », la résidence alternée—pratique encore minoritaire aujourd’hui—entrainerait à la fois une perte économique pour les femmes et la reproduction des divisions sexuées des tâches parentales, les pères conservant des tâches valorisantes (loisirs, vacances) et les mères restant les garantes principales de la prise en charge quotidienne (soins médicaux, achat de vêtements). Cette reconduction asymétrique des rôles parentaux est également exposée par Voléry : la séparation entrainerait en effet la continuité des arrangements antérieurs à la désunion, au grand détriment des femmes. Ainsi, pour certaines d’entre elles, la fin de la solidarité conjugale est vécue comme une valeur d’individualisation : les transferts économiques qui devraient être assurés par le parent non gardien—généralement le père—pour l’entretien de l’enfant, sont perçus comme une aide conjugale et non une contribution proprement parentale, qui ne prend fin en aucun cas avec la séparation des parents de l’enfant. Selon la juriste Muriel Rebourg, le droit de la famille ne semble guère réguler l’entretien de l’enfant en résidence alternée, ce mode de garde entraînant généralement l’absence de pension alimentaire, sauf en cas de différence considérable de revenu entre les deux parents.

Qu’en est-il des solidarités au sein des familles recomposées ? Agnès Martial, anthropologue de la parenté, et Thuy Nam Trân Tran, juriste, abordent cette question dans le chapitre final en s’intéressant au devenir du patrimoine dans les familles recomposées québécoises. Encore une fois, conjugalité et filiation sont dissociées, les nouveaux conjoints ayant des legs différenciés des membres de la lignée du défunt.

Si l’ambition pluridisciplinaire de cet ouvrage est un atout indéniable au sein des analyses produites par les différents contributeurs et apporte des réponses alternatives à la théorie de l’individualisation des liens, le croisement du champ juridique et sociologique n’en est pas pour le moins problématique. En effet, les recommandations adressées aux praticiens du droit ou aux policymakers, ainsi que la tonalité parfois très normative et positiviste des contributions des juristes, s’articulent assez laborieusement avec les contributions des sociologues qui cherchent, quant à eux, à questionner ces normes en mobilisant des cadres analytiques tels que le genre ou—encore trop rarement dans ce livre—l’appartenance sociale. Au terme de ce travail, il semblerait intéressant de poser les jalons d’une réflexion sur l’écriture pluridisciplinaire et la mobilisation de cadres théoriques et analytiques proposés par le droit et la sociologie. Enfin, une conclusion générale de l’ouvrage aurait pu apporter une plus grande cohérence à cette réflexion passionnante, certes, mais assez peu harmonisée.

References

1 Cette recherche s’inscrit au sein du programme ATIP Jeunes Chercheurs (CNRS 2006–2008) intitulé « Les partages au sein des couples. Normes et usages de l’argent et des biens dans les nouvelles trajectoires familiales », coordonné par A. Martial. Elle a donné lieu à deux colloques, en France et au Québec, en 2008.

2 Voir par exemple les travaux de Jean Kellerhals sur les interactions dans la famille.