M. Hutter et S. Hutter-Braunsar continuent d'organiser de stimulantes rencontres autour de l'Anatolie hittite et post-hittite. Le volume recensé rassemble les contributions d'un colloque ayant eu lieu en 2018 sur le thème de l’économie des religions anatoliennes. Je ne reviendrai ici que sur une partie des articles qui ont attiré mon attention. F. Barsacchi (pp. 5–19) se penche sur les échanges de denrées réalisés pendant les fêtes cultuelles hittites. Il rappelle que de nombreux participants à ces fêtes devaient contribuer aux offrandes divines en fournissant des biens provenant de leur propre maisonnée. Toutes ces denrées étaient collectées par l'organisation étatique, au moins en partie offertes aux dieux puis redistribuées aux participants (le cas échéant en tant que restes divins – aspect qui n'est pas évoqué par l'auteur). L'occasion la plus commune d'effectuer ces redistributions était la « grande assemblée » (šalli aššeššar), un vaste banquet auquel participaient les membres de l’élite du royaume. Comme le montre l'auteur, les textes de fêtes cultuelles ne décrivent presque jamais les modalités de redistribution. Quelques exceptions sont citées par l'auteur. Ainsi, un passage d'un texte relatif à la « fête de la hâte » indique que les ragoûts ou soupes sont divisés équitablement (takšan) entre les présents (pp. 8–9), ce qui tendrait à illustrer le statut équivalent de ceux-ci dans le contexte de cette « grande assemblée ». L'auteur montre que la distribution de nourriture ou de biens aux contributeurs d'une fête cultuelle avait le plus souvent lieu dans le hilammar (une sorte de portique). M. Cammarosano et J. Lorenz (pp. 21–8) étudient plus en détail la provenance des offrandes divines mentionnées dans les textes d'inventaires cultuels hittites. Ils montrent que la moitié environ de ces textes décrivent les villes hittites comme principales entités donatrices. Certains textes d'inventaires indiquent en outre que les différentes maisonnées au sein d'une même ville contribuaient équitablement aux donations (p. 23). Un autre point important relevé par les auteurs est le fait que le nombre d'offrandes attribuées à une divinité dépend de son importance au sein du panthéon local (p. 24). Examiner en détail le nombre d'offrandes par divinités poliades contribuerait donc à reconstituer plus avant les panthéons locaux. La nature de ces offrandes reflète aussi partiellement les fonctions de chaque divinité, selon les traditions en vigueur. La tenue de nombreuses fêtes cultuelles avec leurs lots d'offrandes pourrait avoir contribué à l'essoufflement du système économique hittite, selon les auteurs. M. Hutter (pp. 39–48) s'interroge sur la rémunération des intervenants à un rituel curatif ou une cérémonie cultuelle en Anatolie hittite. Il montre que, lors des rituels, l'expert ou experte rituelle s'approprie une part des biens du commanditaire du rituel en guise de paiement. La nature de ces biens et leur valeur dépendent, comme l'indique l'auteur, à la fois du degré d'implication de l'expert et des moyens financiers du commanditaire. J. Siegelová (pp. 103–12) revient en détail sur l'administration des biens des temples hittites, notamment. Une fois que le Grand Roi a doté un temple, c'est le gouverneur local qui en a la charge et doit, entre autres choses, ponctionner une partie des produits de ce temple pour les offrir aux dieux dans le cadre des grandes fêtes cultuelles étatiques. Toutefois, ces responsables locaux doivent rendre des comptes au roi, qui ne fait que déléguer son autorité sur le temple. Les fonctionnaires du palais sont rémunérés par le roi (notamment à l'occasion des fêtes). Les contributions des participants aux fêtes cultuelles sont détaillées dans plusieurs textes ; l'auteur décrit la nature habituelle de ces dons en fonction du statut social du donateur. Elles tiennent lieu d'impôts. C. Steitler (pp. 125–39) s'interroge sur l'existence de divinités hittites patronnant un secteur économique en particulier. Il explore plus précisément deux pistes : la divinité Hašamili en tant que patron des forgerons et la déesse Maliya et ses liens avec les travailleurs du cuir. M. Vigo (pp. 141–51) exploite la théorie développée par T. D'Altroy et T. Earle pour l’économie inca : il montre que le système économique hittite combinait la collecte et le stockage par l’État des biens produits par les communautés locales pour approvisionner les temples (« staple finance »), d'une part, et le paiement des employés des temples et palais sous forme de denrées de luxe (« wealth finance »), d'autre part. Les grandes fêtes religieuses étatiques sont autant d'outils politiques pour justifier ces donations populaires nécessaires au maintien des institutions. L. Warbinek (pp. 153–67) cherche à montrer que les oracles KIN constituent une technique divinatoire plus économique que les autres. À la suite d'A. Archi, il considère que les expressions « le deuxième/troisième jour » ne doivent pas être comprises littéralement, mais reflètent seulement différentes étapes se déroulant en un jour. Il pense que les interrogations KIN sont prédominantes en contexte militaire. Il aurait toutefois été souhaitable de préciser que d'autres techniques sont quand même utilisées dans ce même type de contexte (voir, par exemple, l'usage à l'ornithomancie dans la lettre de Maşat Höyük HKM 47, cf. H. Hoffner, Letters from the Hittite Kingdom, 2009, 180), où la situation est tout aussi urgente. Concernant le coût d'une interrogation KIN, il paraît clair qu'il était moindre comparé à celui de l'extispicine, par exemple, puisqu'elle ne nécessitait pas le sacrifice d'un animal. Ce que l'on pourrait ajouter à cela est que ce n'est sans doute pas un hasard que ce soit la Vieille Femme qui soit responsable de la technique KIN. Pour moi, il est tout à fait possible que cette pratique oraculaire provienne de la sphère populaire pour avoir, dans un second temps, été adoptée par l’élite hittite, à l'instar de certains rituels encadrés par la Vieille Femme. M. et C. Zinko (pp. 181–99) examinent l'inventaire cultuel hittite KBo 2.1 pour les données économiques qu'il fournit et, plus particulièrement, pour le rôle économique que le Grand Roi hittite y joue. Les auteurs rappellent la réflexion de H. Klengel, qui, en 1975, avait mis en avant l'unité du temple et du palais à travers le contrôle du roi hittite.
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